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Document de l'armée US : La stratégie étatsunienne visant à "détrôner" Poutine pour des oléoducs pourrait provoquer la troisième guerre mondiale (Medium.com)

par Nafeez Ahmed 10 Mars 2018, 21:48 Armée US Pétrole Oléoduc Russie Tensions Impérialisme Géopolitique Poutine Trump Nucléaire USA Afghanistan OTAN Articles de Sam La Touch

Document de l'armée US : La stratégie étatsunienne visant à "détrôner" Poutine pour des oléoducs pourrait provoquer la troisième guerre mondiale
Article originel : Army document: US strategy to ‘dethrone’ Putin for oil pipelines might provoke WW3
Par Nafeez Ahmed
Medium.com


    Publié par INSURGE intelligence, une plateforme de journalisme d'investigation pour les gens et la planète. Aidez-nous à travailler dans les endroits où d'autres craignent de se rendre.



Traduction SLT

De hauts responsables de la DIA, des forces aériennes et de l'armée admettent que l'expansionnisme de l'OTAN et l'ingérence secrète des États-Unis dans la politique intérieure russe peuvent déclencher un "prochain conflit mondial".

Des soldats français déchargent des chars d'un train dans le nord de la Pologne pour un exercice militaire de l'OTAN (Source: LA Times)

Des soldats français déchargent des chars d'un train dans le nord de la Pologne pour un exercice militaire de l'OTAN (Source: LA Times)

Un document de l'armée étatsunienne concède les véritables intérêts qui sous-tendent la stratégie militaire étatsunienne à l'égard de la Russie : dominer les routes d'oléoducs, accéder aux vastes ressources naturelles de l'Asie centrale et imposer l'expansion du capitalisme étatsunien dans le monde entier.

 

Les Russes arrivent. Ils ont piraté nos élections. Ils se cachent derrière de nombreux mouvements politiques alternatifs et des organes d'information. Telle est l'écrasante majorité des reportages traditionnels sur la Russie, qui considèrent que les États-Unis sont menacés par le fanatisme de l'expansionnisme russe - l'expansionnisme qui est allé jusqu' à interférer de façon dramatique dans les élections présidentielles de 2016.

La Russie est certainement un régime autoritaire avec ses propres ambitions impériales régionales. Le président Vladimir Poutine et ses compagnons sont responsables de morts massives et de violations des droits de l'homme contre les populations dans le pays et à l'étranger (pour le dernier dans les théâtres de guerre comme en Syrie et ailleurs). Poutine a renforcé un système de capitalisme prédateur oligarchique dominé par l'État, qui a élargi les inégalités extrêmes et concentré la richesse de l'élite. Et nous en apprendrons sans doute plus sur ce que la Russie a fait, ou n'a pas fait, en ce qui concerne les élections étatsuniennes.

Dans la plupart des cas, ce ne sont pas des sujets particulièrement dangereux dont il faut rendre compte dans le confort de l'Occident. D'un autre côté, les reportages classiques manquent quelque peu de réflexion sérieuse sur la question de savoir si les politiques étatsunienne à l'égard de la Russie ont contribué directement à la détérioration des relations entre les États-Unis et la Russie.

Alors que la plupart des membres de la classe des experts occidentaux sont bravement obsédés par les innombrables maux de Poutine, il s'avère que les hauts gradés de l'armée étatsunienne posent des questions inconfortables sur la façon dont nous sommes arrivés là où nous en sommes.

Une étude réalisée par le Command and General Staff College Press de l'US Army's Command and General Staff College Press du Combined Arms Center de Fort Leavenworth révèle que la stratégie étatsunienne à l'égard de la Russie a été fortement motivée par l'objectif de dominer les ressources pétrolières et gazières d'Asie centrale et les trajets de gazoducs connexes.

Le remarquable document préparé par le Bureau de la culture, de l'expertise régionale et de la gestion linguistique (CRELMO) de l'armée étatsunienne reconnaît que les politiques expansionnistes de l'OTAN ont joué un rôle clé dans la provocation du militarisme russe. Il examine également comment les antagonismes actuels entre les États-Unis et la Russie pourraient déclencher un conflit nucléaire mondial entre les deux superpuissances.

Document de l'armée US : La stratégie étatsunienne visant à "détrôner" Poutine pour des oléoducs pourrait provoquer la troisième guerre mondiale (Medium.com)

Le document demeure farouchement critique à l'égard de la Russie et de Poutine, mais il constate que la belligérance russe ne peut être comprise sans tenir compte du contexte de l'ingérence continue des États-Unis dans ce que la Russie perçoit comme sa "sphère d'influence" légitime.

Simultanément, le document admet que, loin d'être une victime innocente et malheureuse de l'ingérence russe, les États-Unis ont mené à plusieurs reprises des campagnes secrètes d'information, d'économie et de diplomatie pour "détrôner Poutine" ou du moins ébranler son pouvoir.

L'ironie du document est que, malgré la reconnaissance répétée du rôle propre de l'OTAN dans la provocation du militarisme russe, l'étude de l'armée étatsunienne refuse d'envisager un changement de cap fondamental en ce qui concerne les politiques et les intérêts de l'OTAN.

Le document contient la mise en garde habituelle incluse dans ces types d'études militaires étatsuniennes internes, notant que ses conclusions représentent les vues "du (des) auteur (s) et pas nécessairement celles du Département de l'Armée ou du Département de la Défense". Pourtant, dans son avant-propos, le major-général John S. Kem, commandant du Collège de guerre de l'armée étatsunienne à Carlisle, note que les idées du volume" sont importantes pour les professionnels de l'armée qui dirigent les soldats dans diverses missions à travers le monde", et devraient être considérées "par les planificateurs comme par les décideurs politiques".

Intitulée Perspectives culturelles, géopolitique et sécurité énergétique de l'Eurasie: le prochain conflit mondial est-il imminent ? l'étude - publiée en mars 2017 et qui n' a pas été rendue publique jusqu' à présent - met en lumière le rôle des intérêts énergétiques concurrents étatsuniens, européens et russes dans la stimulation des tensions croissantes qui pourraient transformer les points d'éclair régionaux en une nouvelle guerre mondiale.

Mahir J. Ibrahimov, directeur de programme au CREMLO de l'Armée de terre étatsunienne, écrit que le principal rédacteur en chef et collaborateur clé de l'étude, Mahir J. Ibrahimov, responsable de programme au CREMLO de l'Armée de terre étatsunienne, écrit :" Le changement stratégique de la Russie est principalement motivé par sa préoccupation face à l'expansion de l'OTAN au détriment des anciens pays du Pacte de Varsovie (Europe de l'Est) et des anciennes républiques soviétiques (Lettonie)".

Le Dr Mahir J. Ibrahimova, directeur de programme au Centre d'armement combiné de l'armée de terre des États-Unis (CRELMO), dirige une session sur la façon d'être un leader culturellement conscient lors du Symposium 2015 sur le leadership et le développement professionnel de l'armée de terre des États-Unis.

Le Dr Mahir J. Ibrahimova, directeur de programme au Centre d'armement combiné de l'armée de terre des États-Unis (CRELMO), dirige une session sur la façon d'être un leader culturellement conscient lors du Symposium 2015 sur le leadership et le développement professionnel de l'armée de terre des États-Unis.

Ibrahimov était auparavant conseiller principal de l'armée pour la culture et les langues étrangères, et il a enseigné la langue et les cultures aux diplomates étatsuniens au département d'État. Il avait plusieurs années de service dans l'armée soviétique et avait été témoin de l'éclatement de l'URSS.

Dans l'étude de l'armée étatsunienne, il note que "les relations entre l'Occident et la Russie se sont détériorées à leur point le plus bas depuis la fin de la guerre froide, érodant la stabilité géopolitique mondiale et endommageant les relations commerciales et économiques entre les grandes puissances mondiales et régionales".

Mais, écrit-il, des documents officiels russes, y compris sa stratégie de sécurité nationale et ses doctrines militaires, montrent que la force motrice du militarisme russe "est la réactivité à l'élargissement de l'OTAN". C'est le principe fondamental qui guide les efforts stratégiques de la Russie dans la région et au-delà."


Protéger le Pipelinistan

Et quel est le moteur de l'expansionnisme de l'OTAN ? Alors que l'étude de l'Armée US met en lumière les préoccupations concernant l'autoritarisme russe, elle reste étonnamment franche en signalant les intérêts énergétiques étatsuniens comme étant le principal problème :

"La réalité et la justification les plus importantes de la politique des Etats-Unis et de l'Eurasie à l'époque[1990], cependant, était peut-être l'interdépendance mondiale croissante de l'énergie et du commerce", écrit Ibrahimov.

"De vastes réserves de pétrole et de gaz naturel dans la mer Caspienne et aux alentours ont constitué la principale source d'intérêt initial des États-Unis pour la région. Cet intérêt pourrait jeter les bases d'un resserrement des liens entre les États-Unis et les États de la région, les États-Unis fournissant une protection pour assurer la stabilité régionale et l'indépendance politique des pays riverains ". (p. 8)

L'intervention humanitaire et les opérations militaires de maintien de la paix dans la région ont donc toujours eu un programme géostratégique plus vaste lié à la "protection" de l'accès des États-Unis au pétrole et au gaz de la mer Caspienne.

L'étude souligne que les efforts des États-Unis pour résoudre le conflit azerbaïdjanais-arménien, par exemple, étaient moins axés sur les préoccupations pour la paix et les droits de l'homme que sur "les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis et des pays occidentaux en Azerbaïdjan".

Ibrahimov note qu'"un consortium de compagnies pétrolières occidentales, dont cinq étatsuniennes, a signé un contrat pétrolier de 7,5 milliards de dollars avec l'Azerbaïdjan", ce qui prouve l'attachement de ce dernier "à une économie de marché et sa ferme intention d'adhérer au système économique international".

De même, le pétrole azerbaïdjanais a été un facteur clé de l'invasion russe de la Tchétchénie. Alors que les sociétés étatsuniennes et occidentales, rapporte l'étude, "avaient envisagé plusieurs itinéraires possibles pour le futur gazoduc ", la Russie voulait que le gazoduc traverse son propre territoire et celui de la Tchétchénie, sapant "les intérêts commerciaux étatsuniens et occidentaux dans cette région... La Russie avait déjà une telle politique dans le cas du Kazakhstan, où les sociétés pétrolières étatsuniennes étaient également impliquées (c'est-à-dire Chevron),  " ajoute Ibrahimov. (p. 10)

La rivalité géopolitique du gazoduc a finalement été gagnée par les États-Unis.

Dans une section intitulée "Pipeline Politics and its Regional and Global Implications", l'étude de l'armée étatsunienne note que le gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) - qui relie la capitale azerbaïdjanaise de Bakou à la Géorgie en passant par le port turc de Ceyhan - "a été le premier gazoduc d'importance à contourner le territoire russe".

Carte du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC)

Carte du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC)

Transportant jusqu'à un million de barils par jour sur les marchés mondiaux, le pipeline a pour principale implication stratégique d'être :

"... renforcer l'indépendance politique et économique des pays de la région face aux ambitions russes qui pourraient renaître. Mais avant même son achèvement, elle avait également marqué le début du nouveau "Grand Jeu", avec des puissances mondiales et régionales telles que les Etats-Unis, la Chine et la Russie qui rivalisaient d'influence dans la région. Une fois de plus, la région est devenue très attrayante pour la géopolitique mondiale, renforcée par les découvertes de ressources naturelles en Afghanistan comme le gaz naturel, le pétrole, le marbre, l'or, le cuivre, la chromite, etc."

L' étude reconnaît également que les intérêts étatsuniens en Afghanistan étaient préoccupés par le fait que le pays fonctionnait comme une porte d'entrée vers les réserves de pétrole et de gaz d'Asie centrale :

"En même temps, l'importance de l'Afghanistan tient à sa position géopolitique en tant que voie de transit potentielle pour les exportations de pétrole et de gaz naturel de l'Asie centrale vers la mer d'Arabie. Ce potentiel comprend la construction possible de pipelines d'exportation de pétrole et de gaz naturel à travers l'Afghanistan, qui était sérieusement envisagée au milieu des années 1990. L'idée a depuis été sapée par l'instabilité de l'Afghanistan."

Néanmoins, le projet d'oléoduc Trans-Afghan, connu sous le nom de TAPI pour sa route à travers le Turkménistan, l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde, a été négocié et poursuivi par toutes les administrations étatsuniennes depuis Clinton.

La construction a finalement commencé le mois dernier sous la présidence de Donald Trump.

Le gazoduc Trans-Afghan (également connu sous le nom de gazoduc TAPI pour relier le Turkménistan, l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde)

Le gazoduc Trans-Afghan (également connu sous le nom de gazoduc TAPI pour relier le Turkménistan, l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde)

Le document cite le témoignage de l'ancien ambassadeur étatsunien James Maresca, qui a également été vice-président des relations internationales de la compagnie pétrolière UNOCAL, alors principal bailleur de fonds du pipeline TAPI. Ibrahimov se souvient qu'à l'époque, il était au courant des discussions de haut niveau du Département d'État sur cette politique :

"Pendant mon service diplomatique à Washington DC et mon mandat d'ambassadeur Maresca au département d'État, nous avons eu de nombreuses discussions sur les questions de la politique des pipelines et de la politique étatsunienne dans la région."

Ce que le document ne reconnaît pas, c'est que l'engagement du gouvernement étatsunien à l'égard du gazoduc TAPI était, à l'époque, fondé sur une victoire des talibans - une politique qui a échoué de façon plutôt catastrophique - comme je l'avais documenté six mois avant le 11 septembre.

"Awash" dans les ressources naturelles

Une contribution particulièrement extraordinaire à l'étude de l'armée étatsunienne est une section rédigée par l'Ambassadeur Richard E. Hoagland, qui a pris sa retraite en août dernier du poste de coprésident étatsunien du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération. Auparavant, il a été sous-secrétaire d'État adjoint principal aux affaires de l'Asie centrale et du Sud, après avoir occupé diverses fonctions diplomatiques dans la région depuis le début des années 1990.

Ambassadeur (retraité) Richard E. Hoagland

Ambassadeur (retraité) Richard E. Hoagland

Parmi les objectifs stratégiques des États-Unis en Asie centrale, Hoagland énumère la prévention du terrorisme, la stabilisation de l'Afghanistan, la préservation de l'"indépendance" des républiques d'Asie centrale, la promotion de la bonne gouvernance et ce qui suit:

    "... sauvegarder les intérêts économiques des États-Unis et continuer à promouvoir la réforme économique afin que les cinq nations puissent être mieux intégrées dans l'économie mondiale."

Soulignant la centralité des intérêts économiques étatsuniens, Hoagland prône une abondance de détails sur les abondantes réserves d'énergie, de minerais et de matières premières de la région :

"Mais aussi, la région regorge de ressources naturelles. Le Turkménistan possède la quatrième plus grande réserve de gaz naturel au monde. Le Kazakhstan possède les deuxièmes plus grandes réserves pétrolières de l'ex-Union soviétique, juste derrière la Russie, et les compagnies pétrolières internationales étatsuniennes et européennes y ont rapidement fait des investissements majeurs qui se poursuivent encore aujourd'hui. L'Ouzbékistan est un important producteur d'uranium, tout comme le Kazakhstan, et possède d'importantes réserves de gaz naturel, tout comme le Tadjikistan. Le Kirghizistan et l'Ouzbékistan possèdent d'importants gisements aurifères. En outre, le Kirghizistan et le Tadjikistan disposent d'un potentiel hydroélectrique de classe mondiale, comme en témoigne le projet Casa-1000 en cours, qui vise à acheminer l'électricité excédentaire qu'ils produisent cet été dans tout l'Afghanistan vers le Pakistan, qui manque d'électricité."

Ces pays sont donc mûrs pour une intégration politique dans l'économie de marché dominée par les États-Unis :

"Pour ajouter un peu plus de nuance, les économies d'Asie centrale sont plus que la somme de leurs ressources naturelles et de leur potentiel énergétique. Vingt ans plus tard, l'engagement précoce du Kazakhstan en faveur de la réforme macroéconomique a créé un centre de services financiers pour la région. La population instruite de l'Ouzbékistan, qui compte environ 30 millions d'habitants, a un réel potentiel de croissance économique entrepreneuriale et innovante." (pp. 28-29)

Malgré le service obligatoire de Hoagland en faveur de la "bonne gouvernance" et des "libertés civiles", ni l'un ni l'autre ne figurent de manière significative dans les priorités de l'OTAN. Les républiques d'Asie centrale comptent parmi les régimes les plus répressifs et antidémocratiques du monde, constamment attristés par les organisations de défense des droits de l'homme pour la torture et les persécutions horribles qu'ils infligent aux dissidents politiques. La promotion de la "démocratie" ne signifie évidemment pas une véritable "démocratie", mais simplement un alignement géopolitique avec l'OTAN, l'hostilité envers la Russie et une ouverture de l'économie aux investisseurs étrangers étatsuniens et occidentaux, peu importe les droits de l'homme".

L'intransigeance de l'indépendance

Dans ce contexte, l'une des principales motivations de l'hostilité des Etats-Unis à l'égard de la Russie est son effort constant d'intégration des pays intéressés dans d'autres structures politiques et économiques régionales.

"Subissant les pressions de l'Occident par l'élargissement de l'OTAN, et surtout à cause de la situation en Ukraine, qui a conduit aux sanctions occidentales, la Russie cherche à se rapprocher de la Chine sur les plans économique et politique ", observe le rédacteur en chef Ibrahimov:

"La Russie cherche actuellement à créer des organisations sécuritaires et économiques qui pourraient être utilisées pour rivaliser avec les structures existantes telles que l'OTAN et la Banque mondiale. La Russie, la Chine, l'Iran et d'autres pays ont pris ces mesures qui ne sont pas dans l'intérêt de la sécurité nationale des États-Unis."

Selon l'étude de l'Armée étatsunienne, le principal défi auquel la Russie est confrontée est son rôle de chef de file dans la formation de coalitions alternatives aux systèmes politiques et économiques dominés par les États-Unis. La coalition de nouvelles alliances qui en a résulté - l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), la coalition du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud (BRICS), l'Union douanière eurasiatique (UDC) - "vise principalement à s'opposer à la domination économique et stratégique des Etats-Unis", note le document.

L'opposition à la domination étatsunienne semble être un péché capital pour les stratèges militaires étatsuniens :

"Il est évident que le rapprochement entre la Russie et la Chine représente un défi de taille pour les États-Unis. La question de la realpolitik pour les décideurs politiques étatsuniens serait de savoir comment empêcher cette alliance historiquement improbable entre les deux principaux acteurs mondiaux et régionaux."

L'une des grandes priorités de la stratégie géopolitique étatsunienne est donc de savoir comment briser ces alliances et ces coalitions entre rivaux des Etats-Unis, qui remettent en question la "domination économique et stratégique des États-Unis".

Un mécanisme utile est la carte nucléaire, qui contrairement à l'opinion conventionnelle, a été jouée beaucoup plus imprudemment par l'Occident que par la Russie.

Les provocations de l'OTAN aggravent la menace d'une guerre nucléaire mondiale.

On a beaucoup parlé récemment de la façon dont Poutine représente une grave menace nucléaire pour les États-Unis et le monde.

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Vladimir Poutine fait campagne sur la menace de guerre nucléaire.
Vladimir Poutine appartient à cette catégorie de leaders mondiaux qui mentent tout le temps. Ses mensonges ne sont peut-être pas aussi flamboyants que... www.newyorker.com

Pourtant, cela a ignoré le contexte du sabotage nucléaire russe dans des provocations persistantes de l'OTAN, comme cela a été souligné dans un chapitre distinct de l'étude de l'armée étatsunienne sur la façon dont le militarisme russe est systématiquement une réponse à l'expansion nucléaire de l'OTAN.

La section est rédigée par le colonel Lee G. Gentile, Jr., vice-commandant de la 71e Escadre d'entraînement en vol de la base aérienne de Vance, Oklahoma. Auparavant, il était chef de la planification opérationnelle au Centre d'opérations aériennes combinées du Commandement central des forces aériennes, puis il a servi en Irak.

Colonel Lee Gentile Jr.

Colonel Lee Gentile Jr.

Selon le colonel Gentile, co-rédacteur en chef de l'étude de l'armée étatsunienne, l'origine de la paranoïa russe sur les intentions occidentales remonte au début des années 1950, lorsque les États-Unis adoptèrent la stratégie de "première frappe", qui consistait à "menacer une frappe nucléaire pour"  convaincre  "le Kremlin que le fait de mener une autre guerre mondiale n'était pas bénéfique pour l'Union soviétique ".

En d'autres termes, ce sont les États-Unis qui ont d'abord menacé le Kremlin avec une politique nucléaire de première frappe.

L'étude de l'armée étatsunienne le reconnaît toutefois :

    "Des journaux, articles et comptes rendus de réunions soviétiques récemment déclassifiés indiquent que les dirigeants soviétiques n'avaient aucune intention d'envahir l'Europe."

C'est au contraire, il faut le rappeler, à la propagande officielle d'Etat de l'époque, méticuleusement portée par la presse occidentale.

Après l'expérience des guerres mondiales, la Russie craignait que l'Occident l'envahisse si l'URSS était trop faible sur le plan militaire, craintes aggravées par les progrès de la technologie des armes nucléaires de l'Occident :

    "Les Soviétiques ont donc développé et testé un dispositif nucléaire en 1949 pour contrer l'avantage de l'Occident."

L'Occident a ensuite amélioré sa politique en matière d'armes nucléaires. En 1954, l'administration d'Eisenhower adopta la "nouvelle politique" pour maintenir "une force conventionnelle plus petite, plus efficace, déployée dans l'avenir et renforcée par le pouvoir de rétorsion massif des armes nucléaires".

Il n'est pas surprenant de constater que cette situation a "maintenu les craintes soviétiques d'agression occidentale[...] les dirigeants soviétiques estimaient que les mesures de dissuasion occidentales étaient offensives et non défensives, et qu'elles étaient conçues pour"  obliger  "les dirigeants soviétiques à accepter les revendications politiques occidentales".

Plus récemment, selon le document, l'expansion militaire des Etats-Unis et de l'OTAN a également été un facteur important dans l'armement nucléaire russe.

Les États-Unis possèdent maintenant une "capacité mondiale de frappe de précision". Face à "une force militaire combinée de l'OTAN de 1,4 millions d'hommes à l'ouest et une armée chinoise de 2,3 millions d'hommes au sud", si le Kremlin essayait de "contrer la menace de façon conventionnelle", ses dépenses de défense atteindraient des "niveaux insoutenables".

Cela "aide à expliquer pourquoi le Kremlin utilise son arsenal nucléaire comme réserve stratégique pour protéger sa force conventionnelle plus petite tout en s'appuyant sur des méthodes non conventionnelles et asymétriques pour protéger les intérêts nationaux".

Dans cette mesure, la belligérance russe est à certains égards une réponse stratégique rationnelle à la perception de l'impérialisme de l'OTAN :

    "En termes simples, les dirigeants russes veulent limiter l'expansion et l'influence de l'OTAN, créer une zone tampon entre la Russie et l'OTAN, rétablir son influence dans les anciens États soviétiques et redevenir une puissance régionale et mondiale".

La Russie est également "paranoïaque au sujet d'une attaque surprise de l'OTAN ou des Etats-Unis", une crainte qui découle de "l'invasion allemande de la Russie occidentale au cours de l'opération Barbarossa" ainsi que des "opérations des Etats-Unis et de l'OTAN dans le Caucase et au Moyen-Orient".

 

Document de l'armée US : La stratégie étatsunienne visant à "détrôner" Poutine pour des oléoducs pourrait provoquer la troisième guerre mondiale (Medium.com)

"Si l'on considère le point de vue russe, ces craintes sont compréhensibles ", constate l'étude de l'armée  étatsunienne, qui note que l'empiètement implacable de l'OTAN le long des frontières russes a poussé la Russie dans un mouvement où le fait de jouer la carte nucléaire pour tenter de dissuader l'OTAN est sa seule option :

    "Étant donné que l'OTAN a été créée pour contrer l'expansion de l'Union soviétique, il n'est pas surprenant que le Kremlin considère l'expansion comme une menace. Chaque fois qu'un ancien État soviétique est intégré à l'OTAN, le tampon se rétrécit. Sans ce tampon physique, les forces militaires occidentales se rapprochent de Moscou, ce qui élimine la capacité du Kremlin d'échanger de l'espace pour le temps. De même, la défense antimissile érode les armes stratégiques et politiques les plus puissantes du Kremlin, ses missiles balistiques à pointe nucléaire. Du point de vue du Kremlin, l'Occident est prêt à attaquer tout pays "perturbateur" qui manque de capacités nucléaires afin de "forcer sa volonté politique" sur les questions internationales et régionales. Par conséquent, les dirigeants russes considèrent leurs armes nucléaires comme leur outil politique le plus important, car elles n'auraient pu influencer les affaires régionales et internationales sans elles."


"Le document compare ensuite la politique de l'OTAN qui consiste à coopter les anciens États soviétiques face à un effort imaginaire de la Russie pour intégrer le Mexique ou le Canada au Pacte de Varsovie, ou pour déployer des défenses antimissiles balistiques sur le continent américain - de telles actions n'ont jamais été envisagées par la Russie et ne seraient bien sûr jamais acceptables pour les États-Unis. Mais, selon le document, leur équivalence en Europe de l'Est et en Asie centrale est déjà réalisée par l'OTAN pour affaiblir la Russie. C'est pourquoi l'intégration de la Géorgie dans l'OTAN "a déclenché l'invasion russe de l'Ossétie du Sud en 2008 et le premier recours à la coercition nucléaire par le Kremlin". (p. 87)


Sur la base de cette analyse, l'étude préconise des efforts plus concertés de la part de l'Occident pour engager la Russie de manière constructive, en vue de "développer une compréhension commune de la situation avant qu'elle ne débouche sur une impasse". Cela pourrait "réduire les tensions sans poursuivre des actions que le Kremlin considérera comme menaçantes." Cette recommandation est toutefois accompagnée de l'avertissement suivant :

"Sans dialogue, le risque d'une autre guerre froide et d'une éventuelle confrontation nucléaire est élevé."

Changement de régime russe ?

Les déclarations nucléaires paranoïaques de Poutine s'inscrivent dans un autre contexte : la crainte justifiée des efforts occidentaux pour façonner la politique russe.

Malheureusement, l'analyse sobre et réfléchie contenue dans certaines parties de l'étude de l'armée étatsunienne s'accompagne d'une attitude agressive qui tente de justifier une politique active d'ingérence des États-Unis dans les affaires économiques et politiques russes.

Pourtant, ce matériel est important précisément pour confirmer dans quelle mesure les États-Unis sont prêts à s'immiscer dans les affaires intérieures de la Russie.

L'analyste culturel principal de l'armée étatsunienne, le Dr Ibrahimov, souligne qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, le gouvernement étatsunien a "développé un programme visant à renforcer la démocratie et le libre marché dans les républiques de l'ex-URSS". Le programme a été inauguré dans le cadre de la Freedom Support Act de 1992, engageant 12 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI) pour aider les États de l'ex-Union soviétique et la Russie à s'engager sur la voie de la réforme démocratique et du libre-échange.

Alors que l'une des motivations était d'éviter les menaces des " éventuels futurs régimes totalitaires ", l'autre était manifestement intéressée :

    "... une FSU économiquement ouverte et en croissance aurait probablement des avantages commerciaux et d'investissement importants pour les États-Unis."

Ibrahimov observe en outre qu'à travers ces politiques, les Etats-Unis ont activement tenté d'encourager certains dirigeants politiques russes considérés comme favorables aux intérêts étatsuniens :

    ".... le fait de s'appuyer sur des personnalités, plutôt que sur des principes de base, dans les relations étatsuniennes avec la Russie a lié l'avenir des intérêts étatsuniens à la viabilité politique de certains politiciens russes." (13–14)


Un article de Gustav A. Otto, co-rédacteur en chef de l'étude, titulaire de la chaire distinguée pour le renseignement de défense au Centre d'armes combinées de l'armée étatsunienne et chef de la formation à la Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone, explique comment se déroule aujourd'hui cette stratégie étatsuniennne d'ingérence politique, avec plusieurs références à une stratégie secrète et active de changement de régime contre Poutine.

Document de l'armée US : La stratégie étatsunienne visant à "détrôner" Poutine pour des oléoducs pourrait provoquer la troisième guerre mondiale (Medium.com)

Otto hésite entre le rejet de la viabilité d'une telle stratégie et la reconnaissance de sa nécessité sous une forme ou une autre, pour finalement s'entendre sur l'idée qu'un effort militaire direct pour évincer Poutine est hors de question, mais que des mécanismes clandestins peuvent être plus acceptables.

"Essayer de se débarrasser de Poutine n'est probablement pas la solution ", observe l'étude de l'armée étatsunienne. Nous ne devons pas chercher plus loin que la lignée de ses prédécesseurs, ou nous pouvons regarder les études de cas de l'Irak ou de la Libye. Enlever le roi de son trône, c'est beau dans les contes de fées, mais ça ne semble pas marcher dans le monde réel."

Et pourtant, le document observe que la Russie:

    "... pourrait bientôt ressentir la pression de la récession domestique. Ils deviendront de plus en plus vulnérables à mesure que le rouble s'affaiblit et que le pouvoir d'achat s'érode. L'Occident et les Etats-Unis sont-ils prêts à en profiter, ou allons-nous manquer une autre occasion ?" (p. 103)

Qu'entend-on par "profiter"? Le document semble suggérer une ingérence dans les prochaines élections en Russie :

   "Avec les élections présidentielles russes de 2018, attendez-vous à une quatrième élection présidentielle de Poutine, puis recherchez des changements possibles pour en permettre davantage. Comment commencer à y penser - être déviant et ne pas oublier les vieilles manières. La clé, c'est de créer sa propre stratégie, et non "tout sauf", comme la Russie semble l'avoir fait. Il sera réactif dans une certaine mesure, mais devrait se concentrer sur le report de l'équilibre de Poutine, sans devenir trop défensif... Les États-Unis et l'Occident doivent déterminer à quoi ils veulent que la Russie ressemble, comment ils veulent qu'elle se comporte et s'ils se soucient de savoir si Vladimir Poutine est président." (p. 106)

À aucun moment, Otto ne reconnaît l'ironie impériale des dirigeants occidentaux qui croient avoir le droit de déterminer à quoi la Russie devrait ressembler. Au lieu de cela, il déclare :

    "Alors que les Etats-Unis et l'Occident luttent avec ce à quoi ils veulent que la Russie ressemble, ils seraient bien servis pour poursuivre une stratégie étagée d'apaisement, de persuasion et de dissuasion sans chercher à augmenter les points de friction déjà sanglants."

Il ne semble pas tout à fait comprendre que l'hypothèse selon laquelle les Etats-Unis devraient être en mesure de façonner la politique et l'économie russes à travers une stratégie "étagée" de la carotte et du bâton pourrait être une cause principale de l'escalade de ces "points de friction".

Dans ce sens, le document reconnaît ouvertement que la politique étatsunienne intervient déjà activement dans la politique russe.

Notant que l'une des stratégies potentielles est de "détrôner Poutine" par le biais d'une campagne politique secrète, plutôt que d'une intervention manifeste, l'étude de l'armée étatsunienne souligne que cette stratégie a déjà été mise en œuvre par les États-Unis et, curieusement, d'autres pays occidentaux :

   "Une autre option stratégique possible pour les États-Unis serait de chercher à détrôner Poutine, dans l'espoir d'un successeur plus coopératif. Plutôt qu'une éviction militaire semblable à celle de l'Irak, les États-Unis et l'Occident pourraient mener une campagne d'information, économique et diplomatique cohésive pour aider les partisans de Poutine à choisir un nouveau chef... Cette stratégie semble avoir des obstacles et des stops de la part des États-Unis et de plusieurs autres pays occidentaux. Poutine est maître à gérer ce genre de menaces, et semble presque les inviter, sachant qu'il excelle dans ce jeu. Une campagne anti-Poutine n'est probablement pas ce que veulent vraiment les États-Unis et l'Occident. Il s'agit plutôt de minimiser les nouvelles agressions et d'atténuer les comportements à ce jour."

Dans cette optique, le document présente également des gestes plus conciliants pour apaiser la Russie, par exemple, dans "les négociations sur l'un des conflits gelés dans lesquels les Etats-Unis, l'Occident et la Russie sont impliqués... Une notion pourrait être un rôle plus important avec l'Iran, la Syrie ou même la Turquie.".

C'est en effet ce qui semble aujourd'hui être la politique égoïste adoptée en Syrie, où les États-Unis planifient activement un accommodement avec Bachar al-Assad. Pour reprendre les termes de l'Otto de la DIA, "il faut comprendre que certains pays peuvent souffrir de nos actes. Une stratégie de retrait partiel de la Syrie ou de l'Ukraine pourrait permettre de meilleures négociations futures. Le retrait printanier de la Russie de la Syrie a permis à Poutine et même à Assad de négocier."

Malgré cela, le document ajoute une menace à peine voilée au milieu de ce langage plus diplomatique :

    "Poutine est rationnel et il n'est pas encore faible..." Toutefois, les récents bouleversements économiques, la fragilité de l'industrie pétrolière et la difficulté de l'agriculture domestique pourraient éventuellement l'obliger à s'attaquer à certains de ces problèmes. Les lignes d'approvisionnement en Russie sont en diminution et les étagères deviennent de plus en plus vides. Nous devrions être prêts à frapper quand le moment viendra, et ça viendra." (p. 107)

*Le Dr Nafeez Ahmed est le rédacteur en chef fondateur d'INSURGE Intelligence. Nafeez est un journaliste d'investigation depuis 16 ans, anciennement pour The Guardian où il  faisait des reportages sur la géopolitique des crises sociales, économiques et environnementales. Nafeez fait un rapport sur le "changement de système mondial" pour VICE, et sur la géopolitique régionale pour Middle East Eye. Il a publié des articles dans The Independent on Sunday, The Independent, The Scotsman, Sydney Morning Herald, The Age, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, New York Observer, The New Statesman, Prospect, Le Monde diplomatique, entre autres. Il a remporté à deux reprises le Project Censored Award pour ses reportages d'investigation; il a figuré à deux reprises dans la liste des 1 000 Londoniens les plus influents du Evening Standard; et il a remporté le Naples Prize, le prix littéraire italien le plus prestigieux créé par le Président de la République. Nafeez est également un universitaire interdisciplinaire largement publié et cité qui applique l'analyse de systèmes complexes à la violence écologique et politique.

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