Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L’Arabie Saoudite prévoyait d’envahir le Qatar l’été dernier. Rex Tillerson a probablement perdu son poste en l’empêchant (The Intercept)

par Alex Emmons 26 Octobre 2018, 11:10 Tillerson Qatar Arabie saoudite Licenciement USA EAU Impérialisme

Tillerson (c) Getty image / AFP

Tillerson (c) Getty image / AFP

Treize heures avant que le secrétaire d’État Rex Tillerson n’apprenne, par le biais du fil Twitter présidentiel, qu’il était congédié, il avait fait quelque chose que le président Donald Trump avait été réticent à faire. À la suite d’un appel téléphonique avec son homologue britannique, M.Tillerson a condamné une attaque mortelle à l’agent neurotoxique au Royaume-Uni, affirmant qu’il avait « une confiance totale dans l’enquête du Royaume-Uni et son estimation que la Russie était probablement responsable ».

Sarah Sanders, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, avait qualifié l’attaque de « irréfléchie, aveugle et irresponsable », mais elle n’était pas allée jusqu’à à accuser la Russie, ce qui a amené de nombreux médias à penser que Tillerson avait été licencié pour avoir critiqué la Russie.

Mais dans les mois qui ont suivi son départ, la presse a fortement suggéré que les pays qui faisaient le plus pression pour la mise à l’écart de Tillerson étaient l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, tous deux frustrés par les tentatives de Tillerson de faire office de médiateur et de mettre fin à leur blocus du Qatar. Un rapport du New York Times a même suggéré que l’ambassadeur des Émirats arabes unis à Washington savait que Tillerson serait écarté de force trois mois avant d’être effectivement renvoyé au mois de mars.

The Intercept a été informé d’un événement qui n’avait pas été signalé jusqu’à présent et qui a provoqué la colère des EAU et de l’Arabie Saoudite contre Tillerson, un événement qui pourrait avoir joué un rôle clé dans sa mise à l’écart. Au cours de l’été 2017, plusieurs mois avant que les alliés du Golfe ne commencent à faire pression pour son éviction, Tillerson est intervenu pour contrecarrer un plan secret initié par les Saoudiens et soutenu par les Émirats arabes unis pour envahir le Qatar, selon un membre actuel de la communauté du renseignement américaine et deux anciens fonctionnaires du département d’État, qui ont tous refusé d’être nommés, invoquant le caractère sensible de cette question.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi la coupure des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, Bahreïn et le Qatar, et la fermeture de leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes avec ce pays, M. Tillerson a passé une série d’appels téléphoniques pour exhorter les autorités saoudiennes à ne pas prendre de mesures militaires contre ce pays. La vague d’appels de juin 2017 a été signalée, mais le département d’État et la presse de l’époque les ont décrits comme faisant partie d’un vaste effort pour résoudre les tensions dans le Golfe, et non comme une tentative de Tillerson pour éviter une opération militaire dirigée par les Saoudiens.

 

M. Tillerson a passé une série d’appels téléphoniques exhortant les autorités saoudiennes à ne pas engager d’action militaire contre le Qatar.

Selon les sources de The Intercept, lors de ces appels, M. Tillerson, qui a eu de nombreux contacts avec le gouvernement qatari en tant que PDG d’Exxon Mobil, a exhorté le roi saoudien Salmane, son bras droit le prince héritier Mohammed ben Salmane, et le ministre des Affaires étrangères Adel al-Jubeir à ne pas attaquer le Qatar ni à intensifier les hostilités. M. Tillerson a également encouragé le ministre de la défense Jim Mattis à appeler ses homologues en Arabie saoudite pour leur expliquer les dangers d’une telle invasion. La base aérienne d’Al Udeid, près de Doha, la capitale du Qatar, est le quartier général avancé du Commandement central américain et abrite quelque 10 000 soldats américains.

Les pressions exercées par Tillerson ont fait reculer Mohammed ben Salmane, le dirigeant de fait du pays, qui craignait que l’invasion ne porte atteinte aux relations à long terme entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. Mais l’intervention de Tillerson a rendu furieux Mohammed ben Zayed, le prince héritier d’Abu Dhabi et véritable dirigeant du pays, selon un responsable des renseignements américains et une source proche de la famille royale émiratie, qui n’a pas voulu être identifiée, invoquant des préoccupations sur sa sécurité

A la fin de ce même mois de juin, Mohammed ben Salmane sera nommé prince héritier, passant par dessus son cousin pour devenir le prochain prétendant au trône à la suite de son père âgé. Son ascension a marqué son influence croissante sur les affaires du royaume.

Des agents des services de renseignement qataris travaillant en Arabie saoudite ont, selon l’agent de renseignement américain, découvert le plan au début de l’été 2017. M. Tillerson a agi après avoir été informé, ainsi que l’ambassade des États-Unis à Doha, par le gouvernement qatarien. Plusieurs mois plus tard, des rapports des services de renseignement américains et britanniques ont confirmé l’existence de ce plan.

Ce plan, en grande partie conçu par les princes héritiers d’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis, et qui était probablement à quelques semaines de sa mise en œuvre, prévoyait le franchissement de la frontière terrestre du Qatar par des troupes terrestres saoudiennes et, avec le soutien militaire des Émirats arabes unis, la progression vers Doha sur une centaine de kilomètres. En contournant la base aérienne américaine, les forces saoudiennes se seraient alors emparé de la capitale.

Le 20 juin, la porte-parole du département d’État, Mme Heather Nauert, a déclaré aux journalistes que M. Tillerson avait eu « plus de 20 contacts téléphoniques et réunions avec des acteurs du Golfe et d’autres acteurs régionaux et intermédiaires », dont trois appels téléphoniques et deux réunions avec Adel al-Jubeir. « Plus le temps passe, plus le doute s’installe sur les mesures prises par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis », a-t-elle dit.

Un porte-parole du département d’État a déclaré à The Intercept la semaine dernière que « tout au long du différend, toutes les parties se sont explicitement engagées à ne pas recourir à la violence ou à des actions militaires ». Tillerson, joint par l’intermédiaire d’un assistant personnel, n’a pas répondu aux demandes d’interviews.

La porte-parole du Pentagone, la capitaine de corvette Rebecca Rebarich, a déclaré à The Intercept que bien que Mattis rencontre régulièrement le secrétaire d’État, « les détails et la fréquence de ces réunions sont confidentiels. »

« Le Département de la défense a clairement indiqué que les désaccords persistants dans le Golfe mettent en péril les priorités mutuelles en matière de sécurité régionale et il a encouragé toutes les parties à rechercher une solution », a dit Mme Rebarich. « Il est essentiel que le [Conseil de coopération du Golfe] retrouve sa cohésion et que les fiers pays du Golfe renouent avec un soutien mutuel grâce à un règlement pacifique qui assure une stabilité et une prospérité régionales accrues. »

Les porte-parole des ambassades d’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis n’ont pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Un porte-parole de l’ambassade du Qatar à Washington n’a pas non plus répondu aux demandes d’entretiens de The Intercept. Aucune des informations contenues dans cet article n’a été fournie par des représentants du gouvernement qatari ou par des consultants en relations publiques rémunérés par ce pays.

Le plan d’invasion soulève des questions sur les tendances interventionnistes de deux des plus proches alliés des États-Unis et plus gros clients en armement. Ces dernières années, les deux pays ont montré leur volonté d’utiliser la force militaire pour remodeler la politique dans le Golfe, en intervenant au Bahreïn pour réprimer un soulèvement du « printemps arabe » en 2011 et en menant depuis trois ans, avec le soutien des États-Unis, une guerre qui a dévasté le Yémen.

Robert Malley, président-directeur général de Crisis Group et ancien conseiller du président Barack Obama pour le Moyen-Orient, a déclaré que depuis l’été 2017, les autorités qataries lui ont constamment dit que leur pays était menacé d’invasion.

« Il ne fait guère de doute que les hauts responsables qataris à qui j’ai parlé étaient convaincus – ou du moins agissaient comme s’ils étaient convaincus – que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avaient planifié une attaque militaire contre leur pays qui a été stoppée suite à l’intervention des États-Unis », a déclaré M. Malley à The Intercept.

Les tentatives de Tillerson pour désamorcer le conflit dans le Golfe divergeaient des signaux envoyés par la Maison Blanche. M. Trump a offert un soutien public sans réserve au blocus, tweetant que « ce sera peut-être le début de la fin de l’horreur du terrorisme ». Alors que M.Tillerson appelait les pays du Golfe à lever leur embargo, M. Trump déclarait aux journalistes que « le Qatar, malheureusement, a toujours financé le terrorisme à un très haut niveau ».

Selon un reportage, Tillerson était agacé par le fait que la Maison-Blanche sape ses efforts, et ses assistants soupçonnaient que la phrase figurant parmi les observations préparées de Trump dans la Roseraie de la Maison Blanche avait été écrite par l’ambassadeur des Émirats arabes unis, Yousef Al Otaiba, un acteur de poids à Washington qui, selon Politico, avait maintenu « un contact par téléphone et par email presque constant » avec Jared Kushner, le beau-fils de Trump, selon Politico.

 

« Des hauts responsables qataris à qui j’ai parlé étaient convaincus – ou du moins agissaient comme s’ils étaient convaincus – que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avaient planifié une attaque militaire contre leur pays. »

A l’époque, Kushner s’occupait personnellement d’une grande partie de la diplomatie de l’administration avec les États du Golfe, et les dirigeants de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis choisissaient de passer par lui plutôt que par les services de défense ou de renseignement américains. Kushner a communiqué directement avec les princes héritiers d’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis en utilisant le service de messagerie cryptée WhatsApp.

Certains observateurs du Golfe pensent que l’incitation à l’invasion prévue pourrait avoir été en partie financière. Le système de protection sociale de l’Arabie saoudite, « du berceau à la tombe », repose sur les prix élevés du pétrole, qui ont chuté en 2014 et ne se sont pas complètement rétablis. Depuis l’arrivée au pouvoir du roi actuel en 2015, le pays a dépensé plus du tiers de ses réserves de 737 milliards de dollars et, l’année dernière, l’économie saoudienne est entrée dans une récession douloureuse. En réponse, le gouvernement a cherché des moyens de lever des fonds, notamment en vendant des actions de la compagnie pétrolière publique Saudi Aramco

« Cela n’est pas viable », a déclaré Bruce Riedel, chercheur émérite à l’Institut Brookings et agent de la CIA pendant 30 ans, lors d’une conférence en novembre dernier. « Au cours des trois années qui se sont écoulées depuis que [le roi Salmane] est monté sur le trône, un tiers des réserves de l’Arabie saoudite a déjà été dépensé. Pas besoin d’avoir un MBA de la Wharton School pour comprendre ce que ça veut dire d’ici six ans. »

Si les Saoudiens avaient réussi à s’emparer de Doha, ils auraient pu avoir accès au fonds souverain de 320 milliards de dollars du pays. En novembre de l’année dernière, des mois après l’effondrement du plan, le prince héritier saoudien a rassemblé et détenu des dizaines de ses proches dans le Ritz-Carlton de Riyad, les obligeant à céder des milliards de dollars d’actifs détenus à titre privé. Le gouvernement a justifié ces détentions comme une mesure de répression contre la corruption, mais il a permis à l’État de récupérer des milliards de dollars d’actifs destinés au gouvernement.

A partir de l’automne 2017, les princes héritiers de Riyad et d’Abou Dhabi ont commencé à faire pression sur la Maison-Blanche pour que Tillerson soit démis de ses fonctions, selon une source proche de la famille royale émiratie et une autre source proche de la famille royale saoudienne.

Aucun des fonctionnaires actuels ou anciens interrogés par The Intercept n’avait une idée directe des raisons pour lesquelles Trump avait décidé de congédier Tillerson. Mais une source a dit à The Intercept que le timing – une semaine avant l’arrivée du prince héritier saoudien pour une visite très médiatisée à Washington – était important. Au cours de cette visite, MBS, comme on appelle le prince héritier, devait discuter de la crise du Qatar et des futures ventes d’armes avec l’administration.

 

Quatre des sources interrogées par The Intercept ont également fait état d’une campagne menée actuellement par les Émirats arabes unis pour tenter de provoquer le Qatar et une escalade de la crise. Le Qatar a continué de se plaindre des violations de son espace aérien par des avions des Émirats arabes unis, en détaillant ses accusations dans une lettre adressée à l’ONU plus tôt cette année.

Le harcèlement du Qatar par les Émirats arabes unis comprend également des insultes publiques grossières proférées par les dirigeants des Émirats contre la famille royale qatarienne. Ces moqueries émanent fréquemment du compte Twitter certifié de Hamad al Mazrouei, un haut responsable des services de renseignement émiratis et bras droit du prince héritier Mohammed ben Zayed. Le compte de Mazrouei publie fréquemment des tweets sexuellement suggestifs adressés à Mozah bint Nasser, la mère de l’émir du Qatar. Pas plus tard que la semaine dernière, Mazrouei a tweeté une vidéo d’un homme et d’une femme – avec les visages de Mazrouei et de Cheikha Mozah photoshoppés sur leur corps – se livrant à des ébats torrides.

Le contenu et l’effronterie des tweets de Mazrouei ont donné lieu à des spéculations dans les médias qataris selon lesquelles le compte serait en fait contrôlé par le prince héritier d’Abu Dhabi lui-même.

Photo du haut : Rex Tillerson, secrétaire d’État américain sortant, fait une déclaration après sa démission du département d’État à Washington, D.C., le 13 mars 2018.

Source : The Intercept, Alex Emmons, 01-08-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Les articles du blog subissent encore les fourches caudines de la censure cachée via leur déréférencement par des moteurs de recherche tels que Yahoo, Qwant, Bing, Duckduckgo...Si vous appréciez notre blog, soutenez-le, faites le connaître ! Merci.
-
Contrairement à Google, Yahoo & Co boycottent et censurent les articles de SLT en les déréférençant complètement !
- Censure sur SLT : Les moteurs de recherche Yahoo, Bing et Duckduckgo déréférencent la quasi-totalité des articles du blog SLT !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page