La base socio-économique de la politique identitaire : L’inégalité et la montée d’une élite afro-américaine Par David Walsh WSWS
À en juger par de nombreux reportages dans les médias et des déclarations de leaders politiques américains, la race est une question centrale dans les élections de 2016.
À un moment où le peuple américain est plus tolérant que jamais auparavant dans l’histoire des opinions sociales, on l’informe quotidiennement que les États-Unis bouillonnent de haines raciales et ethniques, ainsi que de misogynie et d’homophobie violentes.
Le Parti démocrate, soutenu par toutes les différentes tendances de la gauche libérale et de la pseudo-gauche, est particulièrement agressif et bruyant à ce sujet. La politique identitaire, l’obsession égocentrique de la classe moyenne supérieure par rapport à la race, au genre et à l’identité sexuelle, est devenue l’un des principaux piliers de ce parti.
Contrairement aux périodes précédentes, aujourd’hui la question de race n’est plus associée aux droits civiques, avec un programme important de réformes sociales, ni avec des améliorations dans les conditions sociales de la classe ouvrière dans son ensemble et certainement pas avec le socialisme. Le débat sur la race est en grande partie construit autour de revendications pour l’attribution de plus de ressources économiques à des sections de la petite bourgeoisie noire. Il y a une absence marquée et visible de revendications et de sentiments démocratiques au sein de la direction de ces mouvements de la classe moyenne supérieure.
Le caractère des campagnes actuelles, y compris le ton borné et hargneux de la majeure partie de la rhétorique sur la race, peut être expliqué si l’on examine un fait singulier : la forte croissance de l’inégalité sociale au sein de la population afro-américaine.
Les données suggèrent que, bien que les afro-américains jouent encore un rôle très limité dans les hauteurs de la hiérarchie des entreprises, il y a une section très importante et influente qui a énormément profité au cours des dernières décennies. Ces gens vivent dans un autre univers et sont profondément éloignés de larges couches de la classe ouvrière noire, qui subissent un appauvrissement continu.
Depuis le gouvernement de Richard Nixon, la politique de la classe dirigeante américaine a été de cultiver une classe moyenne supérieure noire qui serait fidèle au statu quo. En retour, cette couche a abandonné toute connexion à la lutte de masse, à la protestation sociale et à l’opposition au capitalisme. Cela contribue à expliquer pourquoi il n’y a pas aujourd’hui de dirigeant afro-américain, dans tous les domaines, qui défende les intérêts des larges masses du peuple.
Les faits et les chiffres sont frappants.
Nielsen, la société mondiale d’informations professionnelles, a produit un rapport en 2015, « De plus en plus influents, éduqués et diverses », qui « s’est focalisé spécifiquement sur un segment des afro-américains qui sont souvent négligés, ceux dont le revenu annuel du ménage est de 75 000 dollars ou plus. Leur importance et leur influence croissent plus rapidement que chez les blancs non-hispaniques à travers tous les segments de revenus supérieurs à 60 000 dollars ». (Les données proviennent du recensement des États-Unis, l’American Community Survey, 2014.)
En fait, les ménages noirs qui gagnent plus de 75 000 dollars sont la tranche de revenu qui a la plus forte croissance du pays. Selon Nielsen, « Dans les années 2005-2013, la tranche de revenu avec la plus forte hausse chez les ménages noirs s’est trouvée dans le nombre de ménages qui gagnent plus de 200 000 dollars, avec une augmentation de 138 pour cent, par rapport à une augmentation de 74 pour cent pour la population totale ».
En 1960, à l’époque où E. Franklin Frazier a écrit son travail de pionnier, La bourgeoisie noire, il y avait environ 25 millionnaires noirs aux États-Unis. Ce nombre a été multiplié par 1400. Aujourd’hui, il y a environ 35 000 millionnaires noirs.
La concentration de la richesse parmi les afro-américains est extrême. Selon l’étude de Pew Research, le patrimoine de 35 pour cent des ménages noirs est négatif ou non-existant. 15 autres pour cent ont un patrimoine total de moins de 6000 dollars. Près de 7 millions du total de 14 millions de ménages noirs ont peu ou rien.
Le chroniqueur Antonio Moore dans le Huffington Post a fait remarquer en mai dernier que la différence de richesse entre un ménage noir américain dans le 1 pour cent le plus haut et le ménage noir moyen était plusieurs fois supérieur à celle des ménages blancs comparables.
« [L]e patrimoine net médian des quelques ménages noirs dans le top 1 pour cent était de 1,2 millions de dollars, alors que, selon le recensement, le patrimoine net médian de l’ensemble des ménages noirs était d’environ 6000 dollars au total. Une famille noire dans le 1 pour cent possède un patrimoine stupéfiant de 200 fois plus important que celui d’une famille noire moyenne. Si l’Amérique noire était un pays, nous serions parmi les plus stratifiés du monde en termes de richesse ».
« La ségrégation en termes de revenu », à savoir la tendance des gens à vivre soit dans les quartiers pauvres ou riches, a fortement progressé parmi les familles noires depuis 1970. « La ségrégation par le revenu chez les familles noires était plus faible que chez les familles blanches en 1970, mais s’est multipliée par quatre entre 1970 et 2009. En 2009, la ségrégation par revenu entre les familles noires était 65 pour cent plus élevée que chez les familles blanches » (Residential Segregation by Income, 1970-2009 par Kendra Bischoff de l’Université Cornell et Sean F. Reardon de Stanford).
Selon le Washington Post en 2013, la classe moyenne noire, mesurée par le nombre de familles qui gagnent au moins 100 000 dollars par an, a été multiplié par cinq au cours des 50 dernières années. Environ un ménage noir sur 10 est maintenant dans cette catégorie de revenu. Entre 1970 et 1990, le pourcentage de médecins, avocats et ingénieurs noirs avait doublé. De 1990 à 2013, il y avait une augmentation de 30 pour cent de la proportion de cadres et PDG noirs et une augmentation de 38 pour cent de la proportion d’avocats noirs et d’ingénieurs.
Des décennies de « capitalisme noir » et de la discrimination positive ont bénéficié à une couche restreinte, quoique importante, de la population afro-américaine. C’est l’élément social qui recherche le plus agressivement la richesse et les avantage économique aujourd’hui. Il n’est pas possible que ce soit une simple coïncidence que la personnalité centrale dans les manifestations de l’Université du Missouri en novembre 2015, celui qui faisait une grève de la faim, Jonathan Butler, soit issu de ce milieu. Son père, Eric Butler, est vice-président exécutif pour le marketing et les ventes à Union Pacific Corp. et a engrangé 2,9 millions de dollars en rémunérations totales en 2015.
Fait important, les afro-américains ont obtenu presque la parité avec des blancs dans les échelons professionnels supérieurs. En 2004, les noirs ayant un doctorat avaient un revenu médian de 74 207 dollars, légèrement plus élevé que le revenu médian des blancs titulaires d’un doctorat (73 993 dollars), d’après The Journal of Blacks in Higher Education.
Comme l’a fait valoir un récent rapport « Closing the Race Gap : Alleviating Young African American Unemployment Through Education » (Combler l’écart racial : Atténuer le chômage des jeunes afro-américains par l’éducation), « les afro-américains et les Blancs ont des probabilités d’obtenir un emploi presque égales au niveau de l’enseignement supérieur ».
Quelles sont les implications de cette parité relative ?
L’obsession de l’ethnicité et du genre implique la recherche de privilèges par une couche de professionnels noirs et féminins, résolus à se tailler une carrière et des revenus, dans des conditions d’un « marché » très concurrentiel – au détriment de leurs homologues blancs ou de sexe masculin. La stridence et la fausseté des campagnes actuelles sur l’ethnicité et la violence sexuelle a beaucoup à voir avec la nécessité, compte tenu du fait qu’il n’y a pas d’écart significatif raciale ou de genre de rémunération pour ces couches déjà riches, de mettre à profit les crimes passés et les injustices, et d’exagérer les conditions actuelles, pour justifier la continuation ou l’augmentation de ces privilèges. C’est un conflit implacable qui a lieu parmi les 5 à 10 pour cent les plus riches (environ 130 000 à 190 000 dollars en revenu annuel) de la population.
Il n’y a rien de « progressiste » ou « de gauche » dans ces campagnes et ces conflits. Que le président des États-Unis soit un homme ou une femme, ou que le PDG d’une société ou une banque majeure soit blanc ou noir ne présente aucun intérêt quel qu’il soit pour la classe ouvrière. E. Franklin Frazier fit remarquer il y a un demi-siècle que les entreprises et les intérêts politiques noirs avaient « exploité les masses noires aussi impitoyablement que ceux des Blancs ».
Les socialistes rejettent la politique raciale sous quelque forme que ce soit. Dans le contexte des élections de 2016, cela signifie répudier la saleté nationaliste et raciste promulguée tant par les démocrates que les républicains que par tous ceux qui fréquentent la politique bourgeoise. Seule la campagne électorale du Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste) représente les intérêts politiques et historiques indépendants de la classe ouvrière.