Le terrorisme en Afrique a augmenté de 100.000% pendant la guerre contre le terrorisme
Article originel :
Par Nick Turse
Responsible Statecraft, 12.02.24
Un nouveau rapport du Département de la Défense étatsunien (DoD) indique que la violence sur le continent est aujourd’hui bien pire que lorsque l’armée étatsunienne est allée « aider »
Selon une nouvelle étude réalisée par l’Africa Center for Strategic Studies, une institution de recherche du Pentagone, les décès dus au terrorisme en Afrique ont explosé de plus de 100.000 % pendant la guerre contre le terrorisme. Ces conclusions contredisent les affirmations du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) selon lesquelles il contrecarre les menaces terroristes sur le continent et promeut la sécurité et la stabilité.
Dans toute l’Afrique, le département d’État n’a recensé que neuf attaques terroristes en 2002 et 2003, faisant 23 victimes. À l’époque, les États-Unis commençaient à peine un effort de plusieurs décennies pour fournir des milliards de dollars en aide à la sécurité, former plusieurs milliers de militaires africains, mettre en place des dizaines d’avant-postes, envoyer ses propres commandos sur un large éventail de missions, créer des forces supplétive, lancer des frappes de drones et même s’engager dans des combats au sol avec des militants en Afrique.
La plupart des Etatsuniens, y compris les membres du Congrès, ne sont pas conscients de l’ampleur de ces opérations - ou du peu qu’ils ont fait pour protéger la vie des Africains.
L’année dernière, le nombre de victimes de la violence islamiste militante en Afrique a augmenté de 20 %, passant de 19 412 en 2022 à 23 322, pour atteindre « un niveau record de violence meurtrière », selon le Centre pour l’Afrique. Cela représente presque le double des décès depuis 2021 et un bond de 101.300 % depuis 2002-2003.
Pendant des décennies, les efforts de lutte contre le terrorisme des États-Unis en Afrique ont été centrés sur deux fronts principaux : la Somalie et le Sahel ouest-africain. Chacun d’eux a connu des pics importants de terrorisme l’année dernière.
Les forces d’opérations spéciales des États-Unis ont été déployées pour la première fois en Somalie en 2002, suivies de l’aide militaire, de conseillers et d’entrepreneurs privés. Plus de 20 ans plus tard, les troupes étatsuniennes y mènent toujours des opérations antiterroristes, principalement contre le groupe militant islamiste al-Shabaab. À cette fin, Washington a fourni des milliards de dollars en aide antiterroriste, selon un rapport de 2023 du projet Costs of War de l’Université Brown. Les Etatsuniens y ont également mené plus de 280 frappes aériennes et raids de commandos et créé de nombreuses forces par procuration pour mener des opérations militaires discrètes.
La Somalie a connu, selon le Centre pour l’Afrique, « une augmentation de 22 % des décès en 2023, atteignant un record de 7 643 décès ». Cela représente un triplement des décès depuis 2020.
Les résultats sont encore plus accablants pour le Sahel. En 2002 et 2003, le département d’État n’a recensé que neuf attaques terroristes en Afrique. Aujourd’hui, les nations du Sahel ouest-africain sont en proie à des groupes terroristes qui se sont développés, évolués, fragmentés et reconstitués. Sous les bannières noires du militantisme djihadiste, des hommes à moto — portant des lunettes de soleil et des turbans et armés d’AK-47 — se ruent dans les villages pour imposer leur marque de la charia et terroriser, attaquer et tuer des civils. Les attaques incessantes de ces djihadistes ont déstabilisé le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
« Le nombre de décès au Sahel a presque triplé par rapport à 2020 », selon le rapport du Centre africain. « Les décès au Sahel représentaient 50 pour cent de tous les décès liés aux militants islamistes signalés sur le continent en 2023. »
Au moins 15 officiers qui ont bénéficié de l’aide sécuritaire des États-Unis ont participé à 12 coups d’État en Afrique de l’Ouest et dans le Grand Sahel pendant la guerre contre le terrorisme. La liste comprend des agents du Burkina Faso (2014, 2015 et deux fois en 2022), du Tchad (2021), de la Gambie (2014), de la Guinée (2021), du Mali (2012, 2020 et 2021), de la Mauritanie (2008) et du Niger (2023). Au moins cinq dirigeants de la junte nigérienne, par exemple, ont reçu une aide étatsunienne, selon un responsable étatsunien. Ils ont à leur tour nommé cinq membres des forces de sécurité nigériennes formés aux États-Unis pour servir de gouverneurs de ce pays.
De tels coups d’État militaires ont sapé les objectifs étatsuniens d’assurer la stabilité et la sécurité aux Africains, mais les États-Unis ont hésité à couper les liens avec ces régimes voyous. Malgré le coup d’État nigérien, par exemple, les États-Unis continuent de placer des troupes en garnison et de mener des missions à partir de leur vaste base de drones.
Les juntes ont aussi amplifié les atrocités. Prenons l’exemple du colonel Assimi Goïta, qui a travaillé avec les forces d’opérations spéciales des États-Unis, qui a participé à des exercices d’entraînement aux États-Unis et qui a participé à l’Université interarmées d’opérations spéciales en Floride avant de renverser le gouvernement du Mali en 2020. Goïta a ensuite pris le poste de vice-président dans un gouvernement de transition officiellement chargé de ramener le pays au pouvoir civil, pour reprendre le pouvoir en 2021.
La même année, la junte de Goita aurait autorisé le déploiement de forces mercenaires de Wagner liées à la Russie pour combattre les militants islamistes après près de deux décennies d’efforts de lutte antiterroriste soutenus par l’Occident. Wagner, un groupe paramilitaire fondé par feu Yevgeny Prigozhin, ancien vendeur de hot-dogs devenu chef de guerre, a ensuite été impliqué dans des centaines de violations des droits de l’homme aux côtés de l’armée malienne de longue date, soutenue par les États-Unis, y compris un massacre en 2022 qui a tué 500 civils.
La loi étatsunienne empêche généralement les pays de recevoir de l’aide militaire à la suite de coups d’État, mais les États-Unis continuent de fournir de l’aide aux juntes sahéliennes. Alors que les coups d’État de Goïta en 2020 et 2021 ont déclenché des interdictions sur certaines formes d’aide à la sécurité étatsunienne, les deniers publics étatsuniens ont continué à financer ses forces. Selon le département d’État, les États-Unis ont fourni plus de 16 millions de dollars en aide à la sécurité au Mali en 2020 et près de 5 millions de dollars en 2021. En juillet 2023, le Bureau de la lutte contre le terrorisme du ministère attendait l’approbation du Congrès pour transférer 2 millions de dollars supplémentaires au Mali. (Le département d’État n’a pas répondu à la demande de Responsible Statecraft de faire le point sur l’état de ce financement.)
De même, l’armée du Burkina Faso a tué des dizaines de civils lors de frappes de drones l’année dernière, selon un récent rapport publié par Human Rights Watch. Les attaques, ciblant des militants islamistes sur des places de marché bondées et lors d’un enterrement, ont fait au moins 60 morts et des dizaines de blessés parmi les civils.
Pendant plus d’une décennie, les États-Unis ont versé des dizaines de millions de dollars dans l’aide à la sécurité au Burkina Faso. Le Commandement des États-Unis pour l’Afrique ou AFRICOM, selon le porte-parole Kelly Cahalan, « ne fournit actuellement aucune aide au Burkina Faso ». Mais elle n’a pas répondu aux questions pour préciser ce que cela signifie exactement.
L’an dernier, en fait, le commandant de l’AFRICOM, le général Michael Langley, a admis que les États-Unis continuaient de fournir une formation militaire aux forces burkinabè. Ces troupes, par exemple, ont participé à Flintlock 2023, un exercice d’entraînement annuel parrainé par le U.S. Special Operations Command Africa. Pourtant, le Burkina Faso a subi 67 pour cent des décès liés aux militants islamistes au Sahel (7662) en 2023, selon le Centre africain.
Le Commandement des États-Unis pour l’Afrique se vante de « contrer les menaces transnationales et les acteurs malveillants » et de promouvoir « la sécurité, la stabilité et la prospérité régionales » en aidant ses partenaires africains à assurer « la sécurité et la sûreté » de leur population. Le fait que les morts civiles dues à la violence islamiste militante aient atteint des niveaux records, selon le Centre africain, et atteint 101.300 pour cent pendant la guerre contre le terrorisme démontre le contraire.
L’AFRICOM a adressé des questions sur les conclusions du nouveau rapport du Centre pour l’Afrique au Bureau du Secrétaire à la Défense. Le Pentagone n’a pas répondu aux questions avant la publication.
* Nick Turse est rédacteur en chef de TomDispatch et membre du Type Media Center.
Traduction SLT