Riyad retarde l'inévitable ; les Houthis ont le pouvoir au Yémen, Hadi n'a aucune autorité
Article originel : Riyadh delays the inevitable; the Houthis have the power in Yemen, Hadi has no authority
Middle East Monitor
Cette semaine a vu la signature de l'accord de Riyad, très retardé, entre le gouvernement yéménite du président en exil Abdrabbuh Mansur Hadi, soutenu par les Saoudiens, et le Conseil de transition du Sud (CTS) soutenu par les EAU. Les Saoudiens espèrent que cette initiative de partage du pouvoir apaisera le différend entre les factions rivales afin que leur coalition puisse se concentrer sur la répression des Houthis dans le nord du Yémen pour rétablir Hadi dans la capitale Sanaa. Le problème est qu'il reste à voir si l'accord peut être pleinement réalisé sur le terrain, car il ne fait que retarder l'inévitable, qui est l'impossibilité imminente de la défaite des Houthis. C'est en partie parce qu'on peut soutenir qu'ils sont légitimes et que, dans la pratique, ils ont le vrai pouvoir, ce qui est le but ultime de la politique.
A la difficulté de comprendre la situation complexe du Yémen s'ajoute le langage souvent utilisé pour dépeindre les Houthis comme des "rebelles" dans le nord et les CTS comme des "séparatistes" dans le sud ; même MEMO est coupable de cela. Nous obtenons ainsi une fausse image du gouvernement yéménite en exil soutenu par les Saoudiens comme étant légitime et autoritaire, alors que les Houthis sont une milice agissant en tant que "supllétifs iraniens". La réalité est beaucoup plus nuancée.
Contrairement à l'image simpliste du mouvement Zaydi Houthi, qui se nomme AnsarAllah, ils se sont alliés à quelque 60 % de l'armée yéménite fidèle à l'ancien président Ali Abdullah Saleh, tué en 2017 par ses anciens alliés houthis après avoir tenté de passer chez les saoudiens. La prise de contrôle de Sanaa par les Houthis en 2014 n'aurait tout simplement pas été possible sans le soutien de l'armée yéménite et des réseaux de renseignements de Saleh, ni sans l'expérience au gouvernement du General People's Congress (GPC) de Saleh, aussi corrompu soit-il.
Il convient de rappeler que Hadi a été porté au "pouvoir" après l'éviction de Saleh, en remportant une "élection" dont il était le seul candidat. Il était censé être là pour une période de transition et " abandonner son poste après le vote ". Si ce sont là les normes de la communauté internationale en matière de légitimité et d'autorité, alors elles sont très faibles.
La marche de Rasul Azam (Grand Prophète) a eu lieu en présence de politiciens, dont Muhamad Ali al-Houthi et des commandants militaires du gouvernement de Sanaa et d'AnsarAllah.
En 2015, l'élite de la Garde républicaine yéménite (GRY) avait été cooptée dans la chaîne de commandement des Houthis en tant que formidable hybride GRY-Houthi, composé de " fantassins à motivation idéologique, d'une part, et d'opérateurs formées d'armes lourdes et de matériel avancé, d'autre part ". Non seulement ils ont fait preuve d'une grande résilience face à l'intervention militaire menée par les Saoudiens dans le pays, mais ils ont également intensifié leurs raids transfrontaliers audacieux en territoire saoudien.
Les descriptions des "Houthis" peuvent être à l'avantage du lecteur ordinaire ; ou bien il peut s'agir d'une tentative délibérée de nous induire en erreur sur qui détient réellement le pouvoir et l'autorité au Yémen. Peu d'attention est accordée par les médias occidentaux et du Golfe à l'existence d'un gouvernement rival à celui de Hadi, à savoir le gouvernement du salut national, issu de l'alliance GPC-Houthi et bénéficiant d'un pouvoir partiel. Mais le véritable pouvoir réside sans doute dans le "Comité révolutionnaire", dirigé par Mohammed Ali Al-Houthi ; c'est un organisme fondé uniquement par les Houthis qui fait autorité. Ainsi, dans les médias "alignés sur les Houthis", une distinction est faite entre les forces conjointes de l'armée yéménite et les "comités populaires" contre les actes d'agression de la coalition étrangère et du gouvernement fantoche.
Bien qu'il gouverne les régions les plus densément peuplées du Yémen et qu'il détienne le pouvoir au sens le plus brut du terme, aucun des deux n'a été reconnu par l'ONU.
Au lieu de cela, les grands médias occidentaux s'attendent à ce que nous croyions qu'Hadi basé à Riyad dirige le gouvernement légitime du Yémen, même s'il n'a pas d'armée propre sur le terrain, s'appuie fortement sur la milice du parti islamiste Islah armé saoudien et les mercenaires soudanais et a été chassé non d'une capitale mais de deux. Hadi a non seulement eu du mal à repousser les Houthis avec l'aide d'un soutien aérien étranger et d'un blocus naval, mais il a aussi subi les revers du conflit entre l'Arabie saoudite et les EAU qui avait le potentiel d'ouvrir un autre front dans le conflit déjà complexe du Yémen, divisant le pays en deux comme il était pendant la guerre froide et l'unifification en 1990.
Dans le sud, il y a de fréquentes escarmouches entre les milices islamistes alignées avec Hadi et la ceinture de sécurité et les forces d'élite formées par les Émiratis qui sont affiliées au CTS. Le point culminant a été la prise de contrôle par les sécessionnistes du sud de la ville portuaire d'Aden, leur future capitale, comme ce fut le cas pour l'État du sud du Yémen, et l'expulsion du gouvernement de Hadi de son siège provisoire du pouvoir en août.
Peu de temps avant le retrait progressif des troupes des Émirats arabes unis du sud et le transfert d'Aden aux forces saoudiennes au cours des semaines de négociations à Djeddah, le gouvernement hadi a annoncé qu'Ataq, la capitale de la province productrice de pétrole de Shabwa au Yémen, serait de facto sa prochaine capitale nationale. Essentiellement, elle est devenue la capitale numéro trois. Pour un gouvernement apparemment " légitime " et reconnu par l'ONU, il devient de plus en plus difficile de voir quelle sorte d'autorité ou de pouvoir l'administration de Hadi a réellement. La semaine dernière, deux ministres de l'équipe de Hadi ont survécu à une tentative d'assassinat dans la ville, ce qui ajoute encore à ses doutes quant à sa crédibilité.
Afin de mieux comprendre l'accord de Riyad, j'ai rencontré le porte-parole britannique du CTS, Saleh Al-Noud, à son bureau de Londres le lendemain de sa signature. "Ce n'est pas une solution à la question du Sud", a-t-il insisté.
Al-Noud a affirmé que le CTS n'avait accepté l'accord que pour une période transitoire seulement - "les Saoudiens sont très désireux de réunir tout le monde pour continuer la lutte contre les Houthis" - et de revenir ensuite sur les autres questions. Il était d'accord avec moi sur la prétendue légitimité du gouvernement de Hadi, affirmant qu'il était toujours fragile et qu'il cesserait d'exister si les Saoudiens ne l'accueillaient pas et ne le soutenaient pas.
Le gouvernement de Hadi manque de pouvoir et d'une base physique au Yémen et n'est pas vraiment populaire parmi la population. De plus, le leadership manque de charisme. Le théoricien social le plus en vue du XXe siècle, Max Weber, a dit que le pouvoir est la capacité d'exercer sa volonté sur les autres ; pour cette raison, qu'elle soit coercitive ou avec le consentement, je suis d'avis que c'est le gouvernement du gouvernement national du salut qui détient le pouvoir réel au Yémen, et non le gouvernement tenu par Riyad.
Il est à noter que même si le CTS jouit d'un appui populaire dans le Sud, il n'est pas répandu dans toutes les provinces. Le Conseil du salut national du Sud, par exemple, a ouvertement rejeté l'accord de Riyad, qui "n'exige pas le départ des troupes étrangères et ne préserve pas notre indépendance et nos décisions souveraines", tandis qu'un journaliste yéménite du Sud, Saleh Al-Hanashi, aurait critiqué cet accord, laissant entendre que le CTS sera "le plus grand perdant" de l'accord. En ce qui concerne Saleh Al-Noud, cependant, tant que les habitants du sud exigeront l'indépendance, le CTS défendra ces aspirations telles qu'il a été formé par le mouvement indépendantiste Hirak. Toutefois, si l'accord venait à échouer, rien ne garantit qu'Aden retombe entre les mains du CTS, mettant ainsi fin à toute chance de retour pour le gouvernement fantoche de Riyad ; la capitale Sanaa restera fermement aux mains des forces armées des Houthis et des forces armées du Yémen.
Peut-être en prélude à une défaite presque certaine, les Saoudiens ont récemment reconnu qu'ils avaient ouvert des voies de communication avec les Houthis. Il est donc évident que les Houthis ont le pouvoir au Yémen et que Hadi n'a aucune autorité. L'avenir du pays pourrait bien devenir un peu plus clair.
Traduction SLT
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