Tout au long de cet été nous revenons sur les histoires françafricaines occultées de la mémoire collective par le magistère intellectuel, médiatique et politique français. Peu abordée par les médias, par les universitaires, par les historiens, par les politiques cette histoire de prédation (néo)coloniale se poursuit dans l'ombre pour mieux se répéter. L'amnésie cultivée par nombre de médias amenant à sa reconduction, permet aux réseaux françafricains de grenouiller en Afrique et de piller le pré-carré francophone africain. Actuellement, comme par le passé, le magistère intellectuel, médiatique et politique allèguent que les réseaux françafricains ont disparu face à la poussée de l'Américafrique, de l'Israélafrique, de la Chinafrique, de la Russafrique et de la Mafiafrique... En fait, il n'en est rien, les réseaux se transforment et s'adaptent. Ils ont maintenant le soutien renforcé de l'armée française qui par ses actions et son occupation de nombreux pays en Afrique permet aux multinationales d'obtenir de grands contrats comme en Côte d'Ivoire ou en Libye pour Total par exemple. Les interventions guerrières ont pour rôle de remplacer les dirigeants africains rétifs et d'installer des néogouverneurs plus favorables aux intérêts économiques français même si cela se fait au prix de crimes contre l'humanitlé comme au Cameroun (1956-1971), au Rwanda (1994), en Côte d'Ivoire (2011), en Libye (2011), ou en Centrafrique (2014). Ces autocrates made in France sont occultés par le magistère qui déroule tapis rouge aux despotes, aux dynasties installées par Paris dans ses anciennes colonies.
Episode 6 : l'Affaire Boulin, un crime d'Etat
Nous revenons aujourd'hui sur la mort du ministre de la République, Robert Boulin, en octobre 1979. Le journaliste Collombat qui a longuement enquêté sur cette affaire évoque la piste françafricaine. Selon le reportage de Collombat, Nicholas, Barroché, Mansir et Grégoire diffusé sur France 2 dans l'émission "Envoyé spécial", le jeudi 26 octobre 2017, le ministre français Boulin aurait été tué pour avoir menacé de révéler les affaires des réseaux françafricains du RPR Foccart-Degaulle mais aussi de l'UDF.
Ce serait la déclaration faite sur Europe 1 qui l'aurait condamné (vidéo à 29'45'') : "J'ai l'âme et la conscience tranquille et j'ai été exemplaire et peut-être plus encore que vous ne le pensez parce qu'il y a des choses que je ne peux pas dire ici". Après l'émission, il déclarera qu'il avait des dossiers sur le RPR dont il était issu.
Selon ce reportage, les dossiers portaient entre autres sur les réseaux foccart de la Françafrique et des affaires concernant Elf au Gabon, concernant le financement des partis politiques français par les dictateurs installés par Paris. Son fils depuis décédé, déclarera en direct sur Antenne 2 (à 54'30'' sur la vidéo) en 2002 que son père possédait quatre dossiers compromettants qui portaient sur
- le groupe Dassault et les fonds publics alloués
- Elf-Aquitaine et ses transactions, CER
- La sécurité sociale et les détournements
- L'Arabie saoudite et les avions Zédons
Les dossiers que Boulin avaient sortis de son coffre le jour de sa mort et ceux qui y étaient encore ont tous disparu comme ses archives notamment celles de Libourne et celles de tous les ministères par lesquels il est passé. Selon l'enquête de Collombat, ce sont les hommes du SAC qui les ont détruites. Un témoin qui a assisté à la destruction des archives en a consulté quelques unes (Vidéo à 55'20'') : "J'ai trouvé des dossiers sur le financement des partis politiques au pluriel d'ailleurs pas que d'un, le financement du RPR, entre autres, par Elf au Gabon. La Françafrique".
Dans ces courriers selon ce témoin il y avait des phrases concernant des relations avec sa propre famille politique du RPE du style "le grand veut ma peau" (56'00'') ou bien du genre "J'ai de quoi les faire taire".
A 56'20'' :
Selon Collombat et co, derrière les visites des chefs d'Etat africain (des "néocolonies" bien souvent installés par Paris), "il y a des liens de corruptions notamment à travers Elf Gabon et l'argent sale de la Françafrique dont bénéficie le parti Gaulliste mais aussi les autres mouvements politiques. Au coeur de ce financement occulte se trouve une banque la FIBA. La banque d'ELf et du Président gabonais Omar Bongo". Des valises de billets voyagent entre la néocolonie gabonaise et la métropole française.
Pour le juge Patrick Van Riuynbeck (à 58'00'') "on entre dans une zone où on ne parle pas : c'est l'omerta".
Benoît Collombat poursuit dans le reportage (58'40'') : "En s'attaquant à la Françafrique c'est tout l'échiquier politique qui pouvait être ébranlé. C'est pourquoi lorsque l'affaire est relancé dans les années 1980, encore une fois les hommes du SAC et de la Françafrique réagissent immédiatement par une nouvelle opération de nettoyage. A la manoeuvre Pierre de Bizet, chef incontesté du SAC longtemps au service d'Omar Bongo" qui va confier une mission à l'un de ses hommes qui témoignent dans le reportage (à 59'13") sur les documents et la cassette vidéo qu'il a récupéré et remis à Pierre de Bizet. Selon l'enquête de Collombat, deux hommes sont incontournables dans les réseaux françafricains : Foccart, le Monsieur Afrique de Chirac et René Journiac, le Monsieur Afrique de Giscard d'Estaing. Collombat évoque dans le reportage, carte à l'appui, la coïncidence troublante entre la localisation de la maison de Journiac et la localisation de l'étang où le corps de Boulin a été retrouvé (1h00'40") et de se poser la question de savoir si le ministre Boulin avait rendez-vous avec Journiac la veille de sa mort, le 29 octobre 1979. "En tous les cas, René Journiac n'est plus là pour en parler, il est mort au Cameroun dans un accident d'avion en février 1980. L'avion personnel du président Omar Bongo". (1:00'58").
Toujours selon l'enquête des journalistes, Collombat et de ses collègues, l'ancien ministre gaulliste Jean Charbonnel avait reçu des confidences d'un haut personnage du Gaullisme et cofondateur du SAC, Alexandre Sanguinetti, qui lui aurait donné peu après la mort de Robert Boulin, les deux noms de "personnages politiques" qui auraient commandité l'assassinat. Sa femme, après sa mort selon les directives testamentaires de Charbonnel, a donné les deux noms à la justice française récemment et il n'y a pas eu de suite pour l'instant. (à 1:02'00"). Bernard Pons, ancien membre du RPR et proche de Chirac, se dit prêt à témoigner (à 1:03'00") mais il a 91 ans. Se pose la question de la volonté de la justice française et de l'Etat français de faire avancer l'affaire.
Le reportage se termine sur les déclarations du gendre de Robert Boulin (1:03'45") :
"Si l'on ne veut pas avancer, c'est parce que l'on ne veut pas que la vérité soit faite. Et si 40 ans après on ne veut pas que la vérité soit faite, c'est que en fait les mêmes intérêts qu'il y a 40 ans sont là. Toujours. C'est une Affaire d'Etat, un crime d'Etat".
Lire également :
- Selon un reportage diffusé sur France 2, le ministre Boulin a été tué par la Françafrique; un témoin dit avoir détruit les archives de Boulin sur ordre du SAC et s'être fait tabasser après ses révélations en 2003 (Vidéos)
- Affaire Boulin : l’histoire d’un crime maquillé en suicide (Le Monde)
- Affaire Boulin : de nouveaux témoignages mettent à mal la thèse officielle du suicide par noyade (Russia Today)
- Affaire Boulin: un « Canard » le bec dans l'eau (Mediapart)
Prochain épisode : Armement des djihadistes, assassinat de Kadhafi et destruction de la Libye par l'armée française, qatari et britannique avec le soutien étatsunien.
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