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Pourquoi les États-Unis et leurs alliés ont-ils bombardé la Libye ? L'affaire de corruption concernant Sarkozy jette un nouvel éclairage sur l'éviction de Kadhafi (The Intercept)

par Joe Penney 29 Avril 2018, 08:07 Sarkozy Kadhafi Bombardements Libye Armée française OTAN Armée US Obama Clinton Collaboration Françafrique Américafrique Impérialisme USA France Articles de Sam La Touch

Pourquoi les États-Unis et leurs alliés ont-ils bombardé la Libye ? L'affaire de corruption concernant Sarkozy jette un nouvel éclairage sur l'éviction de Kadhafi.
Article originel : Why Did the U.S. and Its Allies Bomb Libya? Corruption Case Against Sarkozy Sheds New Light on Ousting of Gaddafi.
Par
The Intercept, 28.04.18

Sept ans après le soulèvement populaire contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et l'intervention de l'OTAN qui l'a écarté du pouvoir, la Libye est extrêmement fracturée et source d'instabilité régionale. Mais alors que le Congrès a examiné de près l'attaque contre le consulat étatsunien à Benghazi un an après le renversement et la mort de Kadhafi, il n'y a pas eu d'enquête étatsunienne sur la question plus large de savoir ce qui a conduit les États-Unis et leurs alliés à intervenir de manière aussi désastreuse en Libye.

Cependant, une enquête sur la corruption de l'ancien président français Nicolas Sarkozy ouvre une nouvelle fenêtre sur des motivations peu connues de l'alliance de l'OTAN qui ont peut-être accéléré lacourse vers l'éviction du dictateur libyen.

Tripoli, Libye, 25.07.2007. Le président français Nicolas Sarkozy est accueilli par le dirigeant libyen Moammar Kadhafi dans son enceinte de Bab al-Azizia lors d'une visite officielle à Tripoli, en Libye, le 25 juillet 2007. Etienne de Malglaive/Getty Images

Tripoli, Libye, 25.07.2007. Le président français Nicolas Sarkozy est accueilli par le dirigeant libyen Moammar Kadhafi dans son enceinte de Bab al-Azizia lors d'une visite officielle à Tripoli, en Libye, le 25 juillet 2007. Etienne de Malglaive/Getty Images

Le mois dernier, la police française a arrêté et interrogé Sarkozy au sujet des paiements illicites que Kadhafi aurait effectués lors de la campagne électorale présidentielle 2007 de Sarkozy. Quelques jours après la libération de Sarkozy, il a été mis en examen pour corruption et trafic d'influence dans une affaire connexe, dans laquelle il avait demandé des informations sur l'enquête de Kadhafi à un juge de la cour d'appel. Le scandale a mis en lumière un lien peu apprécié auquel Sarkozy a dû faire face dans la période précédant l'intervention libyenne : Le président français, qui a pris l'initiative parmi les Européens dans la campagne militaire contre Kadhafi, était désireux de compenser les erreurs diplomatiques en Tunisie et en Egypte et probablement en colère à propos d'un accord d'armement avec Kadhafi qui a mal tourné. Sarkozy, semble-t-il, était désireux de modifier le récit pour se mettre à l'avant-garde d'une intervention pro-démocratie, anti-Kadhafi.

La Libye est aujourd'hui divisée entre trois gouvernements rivaux et une myriade de groupes armés soutenus par des puissances extérieures comme les Émirats arabes unis et l'Égypte. Les lacunes en matière de sécurité ont permis à des groupes terroristes d'y intensifier leurs opérations et de faire circuler des armes à travers le Sahara, contribuant ainsi à déstabiliser la région sahélienne de l'Afrique du Nord. Le manque d'autorité politique à Tripoli a également ouvert la porte à la crise des migrants en Europe, la Libye servant de porte d'entrée pour permettre aux migrants d'échapper à l'Afrique par la mer Méditerranée. Bien que beaucoup moins de personnes soient mortes dans le conflit libyen qu'en Irak ou en Syrie, les problèmes auxquels la Libye est confrontée sept ans après l'intervention fatidique de l'OTAN ne sont pas moins complexes et ont souvent un impact plus direct sur l'Europe que ce qui se passe en Syrie et en Irak.

Une histoire de corruption

L'histoire de l'étrange relation de Sarkozy avec Kadhafi commence en 2003, lorsque les Nations Unies ont levé les sanctions sévères imposées à la Libye à la suite de l'attentat de Lockerbie.

Après la levée des sanctions, Kadhafi a cherché à promouvoir une image plus propre et plus légitime dans les cercles occidentaux. Il a trouvé des prétendants particulièrement enthousiastes dans les compagnies pétrolières et gazières britanniques, ainsi que Tony Blair, alors premier ministre britannique, qui voyait des possibilités d'affaires lucratives dans le pays. Les agences d'espionnage libyennes ont également collaboré étroitement avec le MI6, leur homologue britannique, sous l'égide de la lutte contre le terrorisme.

La France développe également une relation d'affaires et de renseignement avec la Libye. En 2006, Kadhafi a acheté un système de surveillance à une entreprise française, i2e, qui se vantait de ses liens étroits avec Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. En 2007, après son élection à la présidence, Sarkozy a reçu Kadhafi pour une visite d'Etat de cinq jours, le premier voyage de Kadhafi en France depuis plus de 30 ans.

Le président Nicolas Sarkozy, à gauche, rencontre Moammar Kadhafi le 10 décembre 2007 à Paris.  Photo : Jacky Naegelen/AFP/Getty Images

Le président Nicolas Sarkozy, à gauche, rencontre Moammar Kadhafi le 10 décembre 2007 à Paris. Photo : Jacky Naegelen/AFP/Getty Images

Au cours de la visite, Kadhafi a déclaré que la Libye achèterait pour 5,86 milliards de dollars d'équipements militaires français, dont 14 avions de combat Rafale fabriqués par Dassault Aviation. Les ventes militaires "verrouillent les relations entre deux pays depuis 20 ans", note Michel Cabirol, rédacteur en chef de l'hebdomadaire français La Tribune, qui a beaucoup écrit sur les ventes d'armes. "Pour Sarkozy, il était important de vendre les Rafale parce que personne ne les avait vendus à l'étranger. Dans le cas de la Libye.... c'était l'un de ses défis personnels à l'époque." Cabirol a rapporté pour La Tribune que les négociations étaient toujours en cours en juillet 2010, mais Sarkozy n'a jamais achevé la vente des Rafales à Kadhafi.

Les révélations sur les paiements libyens à Sarkozy ont fait surface en mars 2011, lorsque le spectre d'une intervention de l'OTAN était imminente. Kadhafi a d'abord affirmé qu'il avait payé la campagne de Sarkozy lors d'une interview deux jours avant que les premières bombes de l'OTAN ne soient larguées. Son fils Saif al-Islam Kadhafi a fait des déclarations similaires peu de temps après. En 2012, le site français d'information d'investigation Mediapart a publié un document libyen signé par le chef espion de Mouammar Kadhafi, Moussa Koussa, qui prévoyait 50 millions d'euros pour soutenir la campagne de Sarkozy, que les autorités françaises ont ensuite trouvé authentique.

L'homme d'affaires Ziad Takiéddine arrive au bureau de la police anti-corruption à Nanterre, en France, le 17 novembre 2016, pour une audience après avoir admis avoir livré trois valises remplies d'argent liquide de Mouammar Kadhafi de Libye à l'ancien président français Nicolas Sarkozy.  Photo : Philippe Lopez/AFP/Getty Images

L'homme d'affaires Ziad Takiéddine arrive au bureau de la police anti-corruption à Nanterre, en France, le 17 novembre 2016, pour une audience après avoir admis avoir livré trois valises remplies d'argent liquide de Mouammar Kadhafi de Libye à l'ancien président français Nicolas Sarkozy. Photo : Philippe Lopez/AFP/Getty Images

Depuis les premières révélations, Ziad Takiéddine, un marchand d'armes franco-libanais qui avait aidé à organiser la visite de Sarkozy en Libye lorsque Sarkozy était ministre de l'Intérieur en 2005, a témoigné devant le tribunal qu'il a récupéré des valises remplies de millions d'euros en liquide en Libye et les a remises en main propre à Sarkozy fin 2006 et début 2007, alors que Sarkozy était encore ministre de l'Intérieur mais qu'il préparait sa campagne présidentielle. L'assistant de Sarkozy à l'époque, Claude Guéant (devenu ministre de l'Intérieur après l'élection), avait ouvert une grande chambre forte à la BNP à Paris pendant sept mois pendant la campagne. L'ancien Premier ministre libyen Baghdadi Mahmudi a affirmé dans des interviews aux médias que des paiements ont été effectués. Les autorités françaises ont également examiné les notes manuscrites du ministre du pétrole de Kadhafi, Shukri Ghanem, qui détaille trois paiements totalisant 6,5 millions d'euros à Sarkozy.

La police autrichienne a retrouvé le corps de Ghanem dans le Danube à Vienne le 29 avril 2012, une semaine après le premier tour des élections présidentielles auquel le président sortant Sarkozy participait, et un jour après que Mediapart ait révélé le document signé par Koussa. L'ambassadeur étatsunien en Libye à l'époque, feu Chris Stevens, a écrit dans un courriel à la secrétaire d'État Hillary Clinton en juin 2012 que "aucun Libyen à qui j'ai parlé ne croit qu'il s'est jeté dans le Danube, ou que soudainement pris d'une tristesse éperdue se soit jeté silencieusement dans le fleuve. La plupart croit qu'il a été réduit au silence par des membres du régime ou par des mafieux étrangers."

Selon Mediapart, l'un des Libyens qui aurait organisé les paiements, le chef du portefeuille d'investissement libyen de l'époque, Bachir Saleh, a été introduit clandestinement en Tunisie par les forces spéciales françaises. Alexandre Djouhri, confident de Sarkozy, a ensuite transporté en avion Saleh de Tunis à Paris en jet privé peu après le renversement de Kadhafi. Saleh a vécu en France pendant environ un an et aurait rencontré Bernard Squarcini, chef des services secrets français, malgré un mandat d'arrêt d'Interpol contre lui. "L'enquête judiciaire montre qu'au sein du régime de Kadhafi, Bashir Saleh avait les dossiers les plus complets concernant le financement français", a déclaré Fabrice Arfi, l'un des deux journalistes de Mediapart qui a couvert l'affaire depuis 2011. "Il est soupçonné d'avoir échangé les disques contre l'aide de la France pour le sauver des mâchoires de la révolution."

En 2012, Paris Match a publié une photographie montrant Saleh marchant librement à Paris malgré le mandat d'arrêt, et il a été contraint de quitter la ville. Il s'est envolé pour Johannesburg, où il vit depuis lors. En mars, peu après que son allié, l'ancien président sud-africain Jacob Zuma, ait été évincé du pouvoir, Saleh a été abattu alors qu'il revenait chez lui depuis l'aéroport de Johannesburg. Saleh est recherché pour interrogatoire dans l'affaire Sarkozy par des juges français.

Même le successeur de Sarkozy, François Hollande, a laissé entendre que Kadhafi finançait la campagne de Sarkozy. Dans le livre de Hollande, "Un président ne devrait pas dire ça", tout en se comparant à Sarkozy, Hollande écrit que "en tant que Président de la République, je n'ai jamais été détenu pour être interrogé. Je n'ai jamais espionné un juge, je n'ai jamais rien demandé à un juge, je n'ai jamais été financé par la Libye".

Concernant les allégations de corruption de Sarkozy en Libye, ce ne serait pas la première fois qu'un président ou une personnalité politique française reçoit des fonds illicites en échange de faveurs politiques. En effet, "la corruption de Sarkozy s'inscrit dans une tradition profondément enracinée et ancrée dans le temps à Paris", a déclaré Jalel Harchaoui, chercheur libyen à l'Université Paris 8. "Dans les années 1970, vous avez eu le scandale des diamants de Bokassa, que le président[Valéry] Giscard a accepté et pris. Il y a aussi l'"affaire Karachi", c'est-à-dire les pots-de-vin versés à de hauts responsables politiques français par le biais d'armes françaises vendues au Pakistan dans les années 1990. Vous avez aussi eu l'énorme influence d'Omar Bongo dans la politique parisienne pendant des années." (En d'autres terme la Françafrique sauf que dans The Intercept, il n'est pas mentionné que tous les exemples cités ici, hormis Kadhafi, renvoient à des dictateurs installés par Paris en Afrique, NdT).

Sarkozy et le bombardement de la Libye

Sarkozy a été l'un des premiers partisans de la décision occidentale d'intervenir en Libye, mais son véritable zèle militaire et son désir de changement de régime n'est apparu qu'après que Clinton et la Ligue arabe aient diffusé leur désir de voir Kadhafi partir et aient montré qu'ils "voulaient éviter d'apparaître au grand jour", a déclaré Harchaoui. La Ligue arabe avait suspendu la Libye le 22 février 2011 et, dans les jours qui ont suivi, les appels en faveur d'une zone d'exclusion aérienne se sont multipliés. Cela a "créé un cadre dans lequel la France savait que la guerre est susceptible d'être déclenchée bientôt", a déclaré Harchaoui.

Le 26 février, William Burns, sous-secrétaire aux affaires politiques du département d'État, s'était entretenu avec Jean-David Levitte, le principal conseiller diplomatique de Sarkozy. Burns a rapporté dans un courriel à l'équipe de Clinton que "sur la Libye, les Français soutiennent fortement nos mesures", mais qu'il y avait "des inquiétudes sur le rôle de l'OTAN", ce qui signifie probablement que la France ne voulait pas d'une intervention complète de l'OTAN à ce moment-là.

Le président français Nicolas Sarkozy s'entretient avec le premier ministre britannique David Cameron, à droite, et la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, à gauche, le 19 mars 2011, avant un sommet au Palais de l'Élysée à Paris sur la mise en œuvre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour une action militaire en Libye.  Photo : Lionel Bonaventure/AFP/Getty Images

Le président français Nicolas Sarkozy s'entretient avec le premier ministre britannique David Cameron, à droite, et la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, à gauche, le 19 mars 2011, avant un sommet au Palais de l'Élysée à Paris sur la mise en œuvre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour une action militaire en Libye. Photo : Lionel Bonaventure/AFP/Getty Images

Deux semaines plus tard, Sarkozy fait son premier geste significatif pour montrer que la France, plutôt que d'hésiter, a décidé de prendre la tête de la lutte contre Kadhafi. Le 10 mars 2011, Sarkozy est devenu le premier chef d'État à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) comme le gouvernement légitime de la Libye. A l'époque, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a déclaré que la reconnaissance du CNT était "une folle initiative de la France". Fou ou pas, la France est désormais en tête en Europe. Selon une enquête parlementaire britannique sur l'intervention de 2016, "la politique britannique a suivi les décisions prises en France".

Le ministre des affaires étrangères de Sarkozy à l'époque, Alain Juppé, a ensuite présenté la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui demandait une zone d'interdiction de survol de la Libye, ostensiblement afin de protéger un massacre imminent de civils à Benghazi par Kadhafi (ce qui s'est avéré être une fake news selon un rapport du Parlement britannique repris par Salon ainsi qu'un documentaire produit par France TV en 2017, NdT). Bien que des diplomates étatsuniens aient rédigé la résolution, Juppé était le diplomate occidental qui a défendu la résolution avec le plus de passion, disant au Conseil de sécurité qu'il nous reste très peu de temps - peut-être seulement quelques heures - pour empêcher un massacre de civils à Benghazi. L'émergence de la France sur la ligne de front de la poussée diplomatique était un reflet apparent de la doctrine de Barack Obama qui consiste à "diriger en restant dans les lignes arrières" et à laisser l'Europe occuper le devant de la scène. L'appui de la Ligue arabe à la résolution a contribué à créer une large coalition de puissances, au-delà de l'Occident, et la défection de l'ambassadeur adjoint libyen auprès de l'ONU contre Kadhafi a contribué à faire avancer la résolution.

Deux jours après l'adoption de la résolution, Sarkozy a tenu une réunion au palais de l'Élysée le 19 mai pour planifier la stratégie militaire avec Obama, le premier ministre britannique David Cameron, d'autres dirigeants de l'OTAN et des dirigeants de la Ligue arabe. Selon Liam Fox, le secrétaire à la défense britannique de l'époque, le sommet "s'est terminé en milieu d'après-midi et les premières sorties françaises ont eu lieu à 16h45 GMT". Un Gung-ho Sarkozy avait envoyé 20 avions à réaction français pour effectuer les premières sorties sans en informer Fox, quatre heures avant la date prévue ; les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé des missiles de croisière peu de temps après. En présentant les avions Rafale dans la campagne de Libye et d'autres guerres au Mali et en Syrie, la France a fini par s'attirer d'éventuels clients en Egypte, en Inde et au Qatar.

Deux semaines plus tard, Sarkozy fait son premier geste significatif pour montrer que la France, plutôt que d'hésiter, a décidé de prendre la tête de la lutte contre Kadhafi. Le 10 mars 2011, Sarkozy est devenu le premier chef d'État à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) comme le gouvernement légitime de la Libye. A l'époque, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a déclaré que la reconnaissance du CNT était "une folle initiative de la France". Fou ou pas, la France est désormais en tête en Europe. Selon une enquête parlementaire britannique sur l'intervention de 2016, "la politique britannique a suivi les décisions prises en France".

Le ministre des affaires étrangères de Sarkozy à l'époque, Alain Juppé, a ensuite présenté la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui demandait une zone d'interdiction de survol de la Libye, ostensiblement afin de protéger un massacre imminent de civils à Benghazi par Kadhafi (ce qui s'est avéré être une fake news selon l'enquête citée ci-dessus du Parlement britannique repris par Salon ainsi que dans un documentaire produit par France TV en 2017, NdT). Bien que des diplomates étatsuniens aient rédigé la résolution, Juppé était le diplomate occidental qui a défendu la résolution avec le plus de passion, disant au Conseil de sécurité qu'il nous reste très peu de temps - peut-être seulement quelques heures - pour empêcher un massacre de civils à Benghazi. L'émergence de la France sur la ligne de front de la poussée diplomatique était un reflet apparent de la doctrine de Barack Obama qui consiste à "diriger en restant dans les lignes arrières" et à laisser l'Europe occuper le devant de la scène. L'appui de la Ligue arabe à la résolution a contribué à créer une large coalition de puissances, au-delà de l'Occident, et la défection de l'ambassadeur adjoint libyen auprès de l'ONU contre Kadhafi a contribué à faire avancer la résolution.

Deux jours après l'adoption de la résolution, Sarkozy a tenu une réunion au palais de l'Élysée le 19 mai pour planifier la stratégie militaire avec Obama, le premier ministre britannique David Cameron, d'autres dirigeants de l'OTAN et des dirigeants de la Ligue arabe. Selon Liam Fox, le secrétaire à la défense britannique de l'époque, le sommet "s'est terminé en milieu d'après-midi et les premières sorties françaises ont eu lieu à 16h45 GMT". Un Sarkozy enthousiaste a envoyé 20 avions à réaction français pour effectuer les premières sorties sans en informer Fox, quatre heures avant la date prévue ; les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé des missiles de croisière peu de temps après. En présentant les avions Rafale dans la campagne de Libye et d'autres guerres au Mali et en Syrie, la France a fini par s'attirer d'éventuels clients en Egypte, en Inde, et au Qatar.

Gauche/haut : Un avion britannique se prépare pour la première mission de combat britannique dans le bombardement de la Libye, le 19 mars 2011 dans l'Oxfordshire, en Angleterre. Droite / Bas : Vu à travers des lentilles de vision nocturne, le destroyer de missiles guidés USS Barry tire des missiles de croisière Tomahawk le long de la côte méditerranéenne de la Libye en 2011 : SAC Neil Chapman/MoD/Getty Images. Photo en bas à droite : Quartier-maître de 1re classe Nathanael Miller/US Navy/Corbis/Getty Images.Gauche/haut : Un avion britannique se prépare pour la première mission de combat britannique dans le bombardement de la Libye, le 19 mars 2011 dans l'Oxfordshire, en Angleterre. Droite / Bas : Vu à travers des lentilles de vision nocturne, le destroyer de missiles guidés USS Barry tire des missiles de croisière Tomahawk le long de la côte méditerranéenne de la Libye en 2011 : SAC Neil Chapman/MoD/Getty Images. Photo en bas à droite : Quartier-maître de 1re classe Nathanael Miller/US Navy/Corbis/Getty Images.

Gauche/haut : Un avion britannique se prépare pour la première mission de combat britannique dans le bombardement de la Libye, le 19 mars 2011 dans l'Oxfordshire, en Angleterre. Droite / Bas : Vu à travers des lentilles de vision nocturne, le destroyer de missiles guidés USS Barry tire des missiles de croisière Tomahawk le long de la côte méditerranéenne de la Libye en 2011 : SAC Neil Chapman/MoD/Getty Images. Photo en bas à droite : Quartier-maître de 1re classe Nathanael Miller/US Navy/Corbis/Getty Images.

"Sarkozy a fait un excellent travail pour faire sortir le Rafale et frapper un convoi très tôt", a noté Reuters, citant un cadre de la défense d'une nation rivale. "Il ira sur les marchés d'exportation et dira que c'est ce que nos avions peuvent faire."

Pourquoi Sarkozy est allé à la guerre

Le zèle de Sarkozy pour l'action militaire ne s'explique pas seulement par des préoccupations humanitaires pour les Libyens rebelles de Benghazi qui ont été mis en danger par la colère de Kadhafi. Le raisonnement de Sarkozy comprenait un mélange de raisons nationales, internationales et personnelles.

Sarkozy avait trouvé son administration déphasée lorsque le printemps arabe a éclaté en Tunisie. Il avait une relation forte avec le dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali, et lorsque les forces de sécurité ont tiré sur des manifestations de rue massives en janvier, au lieu de condamner la violence, le ministre des Affaires étrangères de Sarkozy a proposé de partager le "savoir-faire" des forces de sécurité françaises "afin de régler des situations de sécurité de ce type".

"L'image de Sarkozy en tant que dirigeant moderne a été souillée par le printemps arabe", a déclaré Pouria Amirshahi, ancien député socialiste à l'Assemblée nationale qui, en 2013, avait demandé une enquête parlementaire française sur l'intervention de la Libye. La guerre de Libye lui a permis "d'oublier ses graves erreurs politiques lors de la révolution tunisienne de janvier 2011".

Arfi, le journaliste de Mediapart, a mis en garde contre le fait de considérer l'implication de Sarkozy dans la guerre comme strictement personnelle, bien qu'il s'agisse également d'un élément vital. "Je ne crois pas que Sarkozy ait amené la France et d'autres pays à la guerre en Libye exclusivement pour se blanchir", a déclaré Arfi, co-auteur d'un livre, "Avec les compliments du Guide", qui détaille l'enquête Kadhafi-Libye. Mais, déclare Arfi, "il est difficile d'imaginer qu'il n'y avait pas une sorte de dimension personnelle ou privée à l'activisme pro-guerre de Sarkozy en 2011".

La dimension personnelle à laquelle Arfi se réfère serait l'intérêt de Sarkozy à déplacer le récit qu'il avait initialement cultivé - aussi proche de Kadhafi - vers un récit qui le distancierait du régime et de toute question sur son ancienne proximité avec Kadhafi, une fois qu'il a réalisé à quel point les États-Unis et les États arabes voulaient se débarrasser du dirigeant libyen. "Une fois la guerre déclenchée, l'attitude de[Sarkozy] est profondément impactée par le scandale dont il est le seul au courant à l'époque. Ainsi, cela donne naissance à une France très intransigeante qui poursuit un scénario où tout serait détruit et tout ce qui concerne les Kadhafis serait discrédité", a déclaré Harchaoui.

Cependant, Adam Holloway, un député conservateur de la Chambre des communes britannique qui siégeait au Comité des affaires étrangères lorsqu'il a publié son rapport de 2016 sur la Libye, a écarté l'angle personnel en disant que "si M. Sarkozy avait pris l'argent de Kadhafi, on pourrait s'attendre à ce qu'il soit moins susceptible d'intervenir, s'il y a quoi que ce soit. Pour cette raison, je ne pense pas vraiment que ce soit un facteur... Se livrer à un changement de régime n'avait rien à voir avec l'intelligence (qui aurait dû dire 'Ne fais pas ça'), mais avec le besoin de David Cameron et Nicolas Sarkozy de 'faire quelque chose'".

Pour l'administration Obama, l'intervention en Libye était une décision humanitaire pour empêcher Kadhafi de mener une attaque contre la ville assiégée de Benghazi. L'ancien secrétaire à la Défense Robert Gates a écrit dans son autobiographie que "Hillary a jeté son influence considérable derrière Rice, Rhodes et Power" et a fait pencher la balance en faveur de l'intervention. Clinton, Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale, Ben Rhodes, conseiller à la Maison-Blanche, et Samantha Power, ambassadrice de l'ONU, ont contribué à faire avancer la guerre ; le changement de régime était l'objectif indépendamment de la relation personnelle de Sarkozy avec le dictateur.

"Ils ont fait pression pour obtenir des résolutions parce qu'ils estimaient que c'était la bonne chose à faire. .... Il semblait très réaliste de penser que le régime allait rétablir le contrôle sur l'ensemble du pays, en particulier dans l'est de la Libye, et si c'était le cas, les conséquences seraient très dures pour les personnes considérées comme des rebelles", a déclaré l'historien libyen Ronald Bruce St. Le moment de l'intervention a été dicté par le mouvement de la colonne blindée de Kadhafi sur Benghazi, explique le journaliste new-yorkais Jon Lee Anderson.

Mais la protection des civils n'est pas toujours suffisante pour justifier une intervention de l'OTAN, comme l'a montré la répression violente des manifestations au Bahreïn et ailleurs dans le monde arabe. L'enquête parlementaire britannique a révélé qu'il y avait peu de preuves tangibles que M. Kadhafi ciblait des civils dans sa campagne pour reprendre brièvement les villes détenues par les forces rebelles. La longue relation antagoniste de M. Kadhafi avec les États-Unis, le fait qu'il n'y avait pas d'éminents Libyens qui le défendaient aux États-Unis et le fait que M. Kadhafi n'avait pas de solides alliés comme le fait Bachar al-Assad de Syrie en Russie et en Iran, ont fait de lui une cible facile à combattre, a déclaré M. Saint-Jean. (Le soit disant massacre prémédité de Ben Ghazi s'est avéré être une fake news selon l'enquête citée ci-dessus du Parlement britannique repris par Salon ainsi que dans un documentaire produit par France TV en 2017 voir la vidéo en dessous de l'article, NdT).

Les gens regardent le cratère laissé par une frappe aérienne de l'OTAN sur un bâtiment du QG de la Brigade Khamis, le 29 août 2011 à Tripoli, en Libye.  Photo : Daniel Berehulak/Getty Images

Les gens regardent le cratère laissé par une frappe aérienne de l'OTAN sur un bâtiment du QG de la Brigade Khamis, le 29 août 2011 à Tripoli, en Libye. Photo : Daniel Berehulak/Getty Images

La position française est néanmoins remarquable. Plutôt que d'avoir un allié clé pour s'opposer à l'intervention, comme la France l'avait fait lors de l'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003, la France faisait pression pour une action militaire. Un pays qui avait auparavant servi de frein partiel à l'intervention étatsunienne avait maintenant pour objectif opposé d'encourager une intervention qui s'est transformée en catastrophe.

(L'ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale Tony Blinken, l'ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy Jean-David Levitte, l'ancien directeur enquêtant sur les crimes de guerre et les atrocités au Conseil national de sécurité David Pressman, l'ancien chef de cabinet adjoint de la secrétaire d'État Hillary Clinton Jake Sullivan, William Burns et l'ambassadeur de France aux États-Unis Gérard Araud ont tous refusé de commenter ou n'ont pas répondu lorsqu'ils ont été contactés pour cet article).

 

Traduction et note de SLT : cet article de The Intercept a le mérite de soulever le rôle majeur des Etats-Unis dans cette guerre libyenne derrière l'action du gouvernement Sarkozy qui est présenté en quelque sorte comme une marionnette de l'impérialisme et des intérêts étatsunien même si il semble en avoir profité pour défendre dans cette affaire les intérêts du complexe militaro-industriel français et sa situation déclinante concernant sa politique étrangère en Afrique du Nord suite aux "printemps arabes". Néanmoins il n'apporte malheureusement que des réponses partielles à la question posée dans le titre en omettant de parler de la piste du dinar or libyen envisagé par Kadhafi et semble faire sienne la version officielle du soit disant massacre de Benghazi prémédité par Kadhafi alors que l'enquête du Parlement britannique pourtant cité dans l'article n'a retrouvé aucun indice sérieux de ce présumé massacre en préparation (cf. vidéo ci-dessous).

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