Trump se déleste des problèmes de politique étrangère - permettant à l'UE de se développer
Article originel : Trump Offloads Foreign Policy Problems - Lets EU Grow A Spine
Moon of Alabama, 6.01.18
Traduction SLT
Les États-Unis sont de plus en plus isolés sur la scène de la politique internationale et même l'Europe se constitue une colonne vertébrale et met en œuvre une politique étrangère indépendante des Etats-Unis. Les impérialistes étatsuniens sont contrariés mais ne peuvent pas y faire grand-chose. Ce développement pourrait bien faire partie du plan de Trump "Making America Great Again" ("Faire que les Etats-Unis soient grandes à nouveau").
Après que Trump eut déclaré que les États-Unis considéraient Jérusalem comme la capitale d'Israël, le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée générale des Nations unies ont condamné cette initiative. Les États-Unis ont dû opposer leur veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies que 14 autres membres ont appuyée.
Alors que les protestations et les émeutes mineures en Iran se calment (comme annoncé antérieurement ici), l'ambassadrice étatsunienne, Haley, a tenté de les instrumentaliser pour les diriger contre le pays. Sa tentative a été repoussée par plusieurs pays, dont la France et la Suède, alliés étatsuniens.
Vendredi, une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée aux récentes manifestations en Iran s'est transformée en une critique à l'encontre des États-Unis, qui demandent à se réunir sur ce que certains États membres ont déclaré être une question interne pour Téhéran.
L'UE s'est prononcée contre toute condamnation de l'Iran. La Russie et la Chine ont réitéré les arguments de l'Iran selon lesquels de telles questions internes n'ont pas leur place au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et qu'une série d'émeutes et de massacres policiers beaucoup plus graves aux États-Unis mériteraient davantage une telle attention :
La Chine et la Russie - qui aiment rarement discuter des protestations politiques à l'ONU - ont dirigé un groupe de pays qui ont déclaré que les manifestations étaient une affaire intérieure qui ne menaçait pas la sécurité internationale et ne devait pas être reprise. L'envoyé de la Chine a déclaré que si la logique de Haley devait être suivie de manière cohérente, le Conseil de sécurité aurait dû tenir des auditions après les manifestations "raciales" de 2014 à Ferguson (Missouri) et les manifestations d'Occupy Wall Street en 2011.
La France a parlé au nom de l'UE :
"Nous devons nous méfier de toute tentative d'exploiter cette crise à des fins personnelles, qui aurait un résultat diamétralement opposé à celui qui est souhaité", a déclaré l'Ambassadeur François Delattre.
"Aussi inquiétants que puissent être les événements de ces derniers jours en Iran, ils ne constituent pas en soi une menace à la paix et à la sécurité internationales."
Ces propos furent une répétition de la crainte que le président Macron avait exprimé il y a deux jours et que nous avons relayée ici. Même les médias étatsuniens l'ont relayé :
"La ligne officielle suivie par les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite, qui sont nos alliés à bien des égards, est presque celle qui nous mènerait à la guerre", a déclaré Macron aux journalistes, selon Reuters.
"C'était "une stratégie délibérée pour certains", a-t-il ajouté.
La tentative étatsunienne d'utiliser les protestations contre les politiques néolibérales du gouvernement Rohani comme une étape vers un changement de régime en Iran a manifestement échoué.
Trump a menacé de mettre fin à l'accord nucléaire avec l'Iran, mais son gouvernement se méfie des conséquences. L'accord est conclu entre un certain nombre de pays, pas seulement les États-Unis et l'Iran, et le Conseil de sécurité des Nations Unies l'a approuvé. Mais Trump déteste également certifier l'adhésion de l'Iran à l'accord tous les trois mois. Cela ne fait qu'attiser le problème et cela ne l'intéresse pas. La certification est une condition que les républicains du Congrès des États-Unis avaient inscrite dans la loi. La solution de Trump n'est pas de mettre fin à l'accord nucléaire, mais de modifier la loi pour le dispenser de la demande de certification :
L'administration Trump travaille avec les principaux législateurs sur une solution législative qui pourrait permettre aux États-Unis de rester dans l'accord nucléaire iranien, a déclaré le secrétaire d'État Rex Tillerson dans une interview accordée vendredi à l'Associated Press.
Les changements à la loi étatsunienne codifiant la participation des États-Unis à l'accord de 2015 pourraient intervenir dès la semaine prochaine ou peu après, a déclaré Tillerson. Le président Donald Trump est confronté à une série d'échéances dans les jours à venir sur la manière de procéder avec un accord qu'il qualifie de terrible et trop mou concernant l'Iran.
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"Le président a déclaré qu'il allait soit le corriger, soit l'annuler", a déclaré Tillerson à l'Associated Press alors qu'il était assis devant une cheminée dans sa suite du département d'État. "Nous essayons de tenir la promesse qu'il a faite."
Trump et le Congrès n'ont pas le pouvoir de modifier un accord international. Alors, quel serait la solution ?
Une option que les législateurs discutent avec la Maison-Blanche est de supprimer l'exigence que Trump certifie la conformité iranienne. Une autre possibilité est de modifier la loi pour que la certification soit beaucoup moins fréquente, ont dit les fonctionnaires.
Si c'est vraiment tout ce qu'il faut pour sortir Trump du train anti-iranien, cela correspond parfaitement à la théorie "isolationniste" discutée ci-dessous.
Mais revenons à la position de l'UE. Trump a renversé une ouverture étatsunienne à Cuba, mais l'UE ne s'aligne pas sur sa position. Le chef de la politique étrangère de l'UE est actuellement à Cuba et rejette la position étatsunienne :
L'Union européenne veut être un partenaire fiable pour Cuba face au renversement des relations étatsuno-cubaines sous la présidence de Donald Trump, a déclaré jeudi son chef de la politique étrangère et de la sécurité.
Federica Mogherini a déclaré à l'issue d'une visite de deux jours que l'UE est un partenaire "prévisible et solide" qui peut aider Cuba à gérer une transition politique et une ouverture économique lente et en arrêt.
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"Nous sommes cohérents et nous n'avons pas d'imprévisibilité dans nos politiques, ni de changements soudains", a déclaré Mogherini, dans un écart frappant vis à vis de la volonté de Trump de refermer et renverser l'ouverture du président Barack Obama avec Cuba.
Après Jérusalem et l'Iran, Cuba est la troisième question de politique étrangère sur laquelle l'Union européenne s'oppose aux États-Unis. Après des années de suivisme des politiques étatsuniennes, le changement est une agréable surprise. Deux autres questions devraient suivre : la Syrie et la Russie. Alors que la chancelière allemande Merkel est toujours occupée à trouver une coalition nationale pour renouveler son gouvernement, le président français Macron prend le leadership lorsqu'il évoque ce que le président syrien Assad déclare depuis 7 ans :
Emmanuel Macron @EmmanuelMacron - 4:54 PM - 5 Jan 2018
Ce n'est ni à Ankara ni à Paris qu'on décidera de l'avenir de la Syrie. Le peuple syrien, y compris ceux qui ont fui le régime, devra lui-même décider de son avenir.
La Pologne était l'une des parties qui avaient fortement insisté pour un changement de régime en Ukraine. Elle a réalisé son souhait, mais trouve maintenant que les nouveaux dirigeants ukrainiens soutiennent des groupes fascistes et des personnes qui, historiquement, ont été responsables du massacre de dizaines de milliers de Polonais. Oops. Les sanctions imposées à la Russie sur la situation en Ukraine et en Crimée ont coûté à l'Allemagne d'énormes possibilités d'exportation. La combinaison de ces deux facteurs entraînera probablement un changement dans la politique de l'UE à l'égard de la Russie. Tandis que les États-Unis livrent de nouvelles armes à l'Ukraine, je prévois que l'UE réduira son exposition à ce problème. Ses sanctions contre la Russie seront assouplies ou contournées.
Les groupes de réflexion impérialistes aux États-Unis ne sont pas satisfaits d'une UE indépendante. Voici les réflexions de Brookings, le premier lobby "centriste" d'influence, et du Washington Institute, qui fait partie du lobby sioniste :
Suzanne Maloney? @MoneySuzanne - 19h24 - 4 jan 2018
Suzanne Maloney Retweeted Michael Singh
C'est une occasion manquée énorme pour l'Europe, à la fois d'utiliser leur influence diplomatique et économique pour le bien à long terme de l'Iran et de démontrer la possibilité et même l'utilité de faire cause commune avec Washington sur l'Iran.
Michael Singh? @MichaelSinghDC - 7:14 PM - 4 Jan 2018
Il est regrettable que les écarts préexistants entre les États-Unis et l'Europe à propos de l'Iran semblent se creuser en raison des protestations - le soutien aux droits de l'homme en Iran devrait faire l'objet d'un accord transatlantique.
Brookings sur Cuba:
Tom Wright? @thomaswright08 - 11:02 PM - 5 Jan 2018
Tom Wright Retweeted EU External Action
Un vrai échec moral ici. D'accord pour impliquer Cuba mais [l'UE] devrait faire pression sur le régime pour favoriser la libéralisation. Cela combiné aux "partisans" de l'Iran, cette semaine a été terrible pour la politique étrangère européenne.
Les Européens peuvent juger cela différemment.
Trump a fait du ramdam en direction de la Corée du Nord et a même argumenté que sa bite était plus grosse que celle de Kim Jong-un. Mais lorsque la Corée du Nord a proposé un apaisement pour les Jeux olympiques d'hiver en Corée du Sud et a repris les pourparlers, Trump s'est mis d'accord avec le président Moon de la Corée du Sud en quête de paix.
Patrick Armstrong et Andrew Korybko voient une méthode derrière ces récents développements. Selon Armstrong : Trump Cuts the Gordian Knot of Foreign Entanglements ("Trump coupe le nœud gordien des enchevêtrements étrangers").
Trump s'intéresse peu aux obsessions des néoconservateurs et de la foule d'intervention humanitaire.
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Le président Trump peut éviter de nouveaux enchevêtrements, mais il en a hérité tant et ils sont, tous, de plus en plus denses et épais à la minute. Considérez la fameuse histoire du noeud gordien : au lieu d'essayer de défaire le noeud fabuleusement compliqué, Alexandre tirait son épée et la coupait. Comment Trump peut-il couper le noeud gordien des enchevêtrements impérialistes étatsuniens ?
En amenant les autres à le détacher.
Armstrong, un ancien officier de la défense canadienne et spécialiste russe, pense que Trump ne prend ses positions extrêmes que pour presser les autres de prendre la relève et de laisser tomber Trump et les États-Unis. Si l'UE s'occupe de la question iranienne ou de Cuba, si la Russie s'engage dans le "processus de paix" au Moyen-Orient et si la Corée du Sud s'occupe du problème nord-coréen, Trump sera d'accord. Il n'y a rien à gagner dans ces questions pour son programme de base.
L'article de Korybko, Trump: Agent Of Chaos (a.k.a. “The Kraken") ("Trump: Agent Of Chaos, alias "The Kraken"), présume que Trump crée délibérément le chaos pour améliorer la position étatsunienne. Il y a de fortes chances que cela ne fonctionne pas et les États-Unis devront se retirer dans leur hémisphère. Trump le sait, mais s'en moque - il peut vivre avec les deux solutions, mais il peut même préférer la retraite à une position plus isolationniste.
Je ne crois pas que Trump soit aussi stupide que ses ennemis le décrivent. Trump n'explique tout simplement pas ce qu'il fait. Il laisse tout le monde deviner, même sa propre administration. Il faut regarder ce qu'il fait, pas ce qu'il dit.
Trump ne se soucie guère de beaucoup de questions de politique étrangère où les gouvernements Clinton, Bush et Obama ont été les premiers à s'immiscer. À son avis, les diverses aventures à l'étranger ne favorisent pas les intérêts de base des États-Unis. Si d'autres pays peuvent être poussés à les accepter, les États-Unis peuvent laisser de côté ces questions. Sa position est à l'opposé de ce que font les habituels adultes de Washington. [De sorte qu'ils] le combattent becs et ongles.
Trump survivra-t-il assez longtemps pour mener à bien cette stratégie et faire une différence durable ?
Ou est-ce que la théorie Armstrong/Korybko est complètement fausse ?