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FOOTAFRIC. COUPE DU MONDE, CAPITALISME ET NÉOCOLONIALISME (2) mercredi 20 novembre 2013
FOOTAFRIC. COUPE DU MONDE, CAPITALISME ET NÉOCOLONIALISME (2)
Cyril Froidure
La coupe du monde en Afrique du Sud est terminée et elle ne laissera pas un souvenir à la hauteur de la production papier l’ayant précédée et accompagnée jusqu’au début du mois de juillet. Emerge de cette intense bouillonnement journalistique et livresque le présent ouvrage qui tire à boulets rouges sur la compétition reine du ballon et son grand ordonnateur, la FIFA. Point de complaisance à attendre des trois auteurs, deux doctorants en sociologie (Ronan David et Fabien Lebrun) et un politiste (Patrick Vassort), fustigeant tout au long de 137 pages états, multinationales, footballeurs, organisations internationales, journalistes dans une dénonciation globalisante du football et de ses dérives et allant jusqu’à espérer la disparition du football. Mais le contenu ne se résume pas à une attaque en règle du sport mondial par excellence et on y trouvera aussi, au fil des pages, un portrait d’une Afrique du Sud en proie à la violence et aux inégalités en tous genres.
En effet, quels contrastes entre les reportages télévisés sur le parc Kruger, les journalistes saluant la merveilleuse organisation de la compétition par les Sud-Africains et l’envers du décor décrit ici ! Nous sommes d’accord avec les auteurs lorsqu’ils expliquent que l’Afrique du Sud présentée aux visiteurs n’est qu’une version aseptisée de la réalité du pays : des townships ou plutôt des portions exigües de townships sécurisés pour touristes et sportifs, peu ou pas d’incidents sauf quelques vols et rares agressions, une population heureuse d’accueillir la coupe du monde, des paysages de cartes postales… Et les auteurs de rappeler certaines réalités. Le pays d’Afrique référence en termes économiques, de participation à la mondialisation est aussi celui de profondes inégalités qui tendent à se creuser, d’une violence endémique et, conséquence de ces deux phénomènes, de l’érection de quartiers sécurisés pour populations fortunées, de maisons protégées par hauts murs et fils électrifiés et de l’action d’une police toujours mieux équipée, usant souvent d’une violence disproportionnée (notons l’arrestation musclée d’un journaliste français « coupable » de vouloir prendre des photos du bus de l’équipe de France). Ségrégation sociale donc mais aussi taux de chômage élevé, espérance de vie en baisse liée à la pandémie du sida, inégalités pour l’accès à l’eau, absence de redistribution réelle et à grande échelle des terres qui dessinent les contours d’un pays bien loin de la nation arc-en-ciel espérée par le pouvoir.
Dans ce contexte, les auteurs s’étonnent, plus s’insurgent de l’organisation de la coupe du monde de la FIFA en Afrique du Sud contre laquelle ils emploient des termes très durs (fascisme, totalitarisme), s’en prennent enfin au gouvernement sud-africain et à la FIFA. Ces deux derniers louent les retombées positives de l’événement sur l’Afrique en général et le pays organisateur en particulier mais des questions sont posées et des affirmations sont assénées :
*A quoi bon construire des stades ultramodernes dans un pays où une grande partie de la population ne peut accéder aux services de base ? D’autant que certains d’entre eux ont été élevés dans des villes dont on se demande ce qu’elles feront de ces infrastructures une fois la fête terminée.
*Que penser de l’Afrique du Sud présentée aux étrangers ? Une Afrique du Sud découpée entre zones accessibles, présentables et zones non-accessibles et déconseillées, un pays disneylandisé pour les touristes, les médias et bunkerisé pour leur éviter toute fâcheuse aventure.
*La FIFA n’est pas venue pour l’Afrique mais pour investir l’Afrique et investir, avec ses associés, en Afrique, dernier marché après l’Amérique (World Cup 1994) et l’Asie (World Cup 2002). Partenaires et sponsors envisagent l’Afrique du Sud comme une porte d’entrée du continent africain. Et même sur le plan strictement sportif, les infrastructures et réseaux établis pour l’occasion n’auraient pour seul objectif que de « détecter et produire » du footballeur pour les championnats européens. Or il est avéré que beaucoup partent effectivement, fournissant une main d’œuvre meilleure marché que l’européenne mais peu sont élus et nombreux sont ceux dont la vie rêvée se transforme en cauchemar.
Il serait naïf de croire que la FIFA est une « gentille » organisatrice soucieuse du bien-être des Africains et dénuée de toute arrière-pensée ; bien sûr elle mène des actions et les sponsors aussi mais participant d’une stratégie globale. Les auteurs rappellent que les messages distillés par l’organisation sur les bienfaits du football ne sont que fadaises mais, in fine, qui le croît ? Même dans le grand public, qui pense réellement que le football et l’instant coupe du monde peut véritablement changer un pays, une situation économique, réduire des inégalités ? Certainement pas une majorité de Français revenue bien vite du mythe « Black-Blanc-Beur » de 1998. Aucun élément positif ne semble avoir pouvoir sauver l’organisation et le sport dirigés par Sepp Blatter. Les auteurs rappellent les compromissions des élites du football (voir Paul Dietschy, » Histoire du football », http://www.clio-cr.clionautes.org/s...) avec le fascisme italien (1934), la dictature argentine (1978) ou encore l’absence de prise en compte des situations économiques et sociales des pays désignés (Chili 1962) comme si la coupe du monde était une compétition hors-sol. Développant l’exemple sud-africain, ils soulignent la présence de pays où les droits de l’homme sont peu ou pas respectés et, faut-il le rappeler, l’Afrique a obtenu la coupe du monde car Sepp Blatter, élu par ses voix, a introduit la règle de la rotation continentale, permettant ainsi la tenue de la compétition sur le continent africain.
Il y aurait donc bien quelque chose de pourri dans le royaume du football et si le lecteur n’était pas encore convaincu, il lui suffirait de lire le dernier chapitre sur les pratiques sexuelles entourant les dernières coupes du monde pour l’en convaincre.
Ce livre détonne, son contenu peut déranger l’amateur de football mais il ne peut totalement l’étonner. Peut-être que la férocité de la charge tient au choix de l’Afrique pour l’évènement le plus regardé dans le monde, choix tournant le dos à l’éternel afro-pessimisme et en cela, il est une bonne chose. Mais à la suite de ce premier constat, on ne peut s’empêcher de penser avec les auteurs, que l’Afrique, et l’Afrique du Sud, ont d’autres chats à fouetter que d’accueillir 32 délégations et la longue caravane de la coupe du monde même si la reconnaissance n’est jamais vaine.
FOOTAFRIC : COUPE DU MONDE, CAPITALISME ET NÉOCOLONIALISME Bellaciao
Cette semaine, on a appris que des publicités des compagnies d’électricité étaient affichées dans tout Johannesburg. Ce sont des incitations à préférer les bougies à l’électricité pendant les matchs pour éviter des surcharges du réseau et donc des interruptions de diffusions. Des bougies au lieu de lumières électriques, voilà un exemple cynique d’un des nombreux sacrifices auxquels la population d’Afrique du Sud va devoir consentir pour que la Coupe du monde se tienne sans problème majeur dans son pays, du 11 juin au 11 juillet.
Ronan David, Fabien Lebrun et Patrick Vassort auraient très bien pu citer cette anecdote dans leur livre Footafric – Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme, sorti dans la collection "pour en finir avec". Il s’agit ici d’en finir avec la rhétorique d’une euphorie sur un sport qui est censé unir le monde en surpassant tous les problèmes sociaux, économiques et politiques. Le regard est posé sur le contexte historique et actuel de cette compétition mondiale. C’est en remettant en cause l’idée dominante selon laquelle le foot unirait les peuples que les auteurs mènent le lecteur dans les bas-fonds de la machinerie du marketing sportif. Pourquoi le discours médiatique général évoque-t-il une Coupe du monde pour l’Afrique du Sud ? Pourquoi ce pays a-t-il été choisi ?
Les auteurs retracent l’histoire de la Coupe du monde, et du football en général. Dès ses débuts, il s’agissait d’un sport d’affrontement servant l’appareil idéologique. Il fut maintes fois utilisé pour renforcer et propager des régimes totalitaires. Les exemples permettent de revenir sur la célébration du Duce pendant la Coupe du monde tenue en 1934 en Italie, sur la Coupe de 1978 en Argentine saignée par la dictature de Jorge Raphael Videla, mais aussi sur un cas de cynisme évident, la Coupe du monde au Mexique en 1986, alors que ce pays souffrait non seulement de ségrégations dans tous les domaines mais aussi des conséquence d’un violent tremblement de terre. Comme les auteurs le résument, "chaque compétition internationale, Jeux Olympiques ou Coupe du monde de football, a pour objectif de faire admettre l’inadmissible : assassinats, impérialisme, tortures, déplacements de populations, surexploitations de populations dominés, tout en asseyant la puissance du capital au sein de la région concernée" .
Derrière le discours rhétorique concernant une population pour laquelle le seul espoir serait le football, c’est un système dont quelques rares personnes profitent qui se dissimule. Les intérêts économiques de certains milliardaires constituent l’engrenage d’une énorme machinerie qui, pendant un mois, fera oublier à des populations entières tous les schémas sortant du mode binaire "nation gagnante versus nation perdante".
Le mythe du sport comme force unificatrice se répète comme pour la Coupe du monde de rugby avec Nelson Mandela en 1995, récemment célébrée par le film Invictus du réalisateur Clint Eastwood. En Afrique du Sud, la plupart des sports sont racialement marqués, si bien que l’association entre une communauté et sa discipline favorite relève de la tautologie. "En 2004, 94 % des Noirs plaçaient le football en première position de leurs sports préférés, tandis que le rugby arrivait en tête pour 84 % des Blancs, et le cricket pour 77 % des Indiens et 60 % des métis" . La Coupe du monde 2010 renforce le système de séparation en Afrique du Sud par les zones d’exclusion décidées pendant le Mondial, mesures incontournables pour pouvoir permettre de présenter ce pays imprégné par l’apartheid et encore secoué par un clivage entre pauvres et riches. L’Afrique du Sud doit apparaître comme une destination de rêve, ensoleillée et paisible. Cette séparation doit permettre que les riches viennent suivre les matchs et faire la fête, dans un environnement "sûr" .
C’est bien la FIFA qui tire les ficelles du monde pendant ce mois à venir – une organisation avec plus de membres que l’ONU et un pouvoir économique sans pareil. "La FIFA est une pieuvre. Son histoire, de sa naissance à son implantation planétaire sur l’ensemble des continents, dans l’ensemble des pays, démontre que son existence même est totalement déterminée par le développement capitaliste et sa croissance mondiale" . Les auteurs tracent l’histoire de la FIFA dans le contrôle absolu qu’elle a exercé sur le marketing dès 1970, lorsque le président de l’époque, Joao Havelange, parvint à convaincre le dirigeant d‘Adidas, Horst Dassler, de vendre un spectacle partout dans le monde. Depuis, tout n’est que coups-bas, faillites et corruption . Louise BELTZUNG