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Quand Mongo Beti renaît au travers de la critique universitaire Man Bene Cameroon Voice
Il y a des auteurs que l’appareil politique au Cameroun a décidé de mettre au banc d’une censure inavouée. À cause de leurs convictions et de leur ferme engagement à marteler dans la conscience collective le devoir de probité morale et d’indépendance sans combine, ces écrivains n’ont, malgré leur talent et la prolixité for pertinente de leurs œuvres, presque pas été récompensés par ceux qui attribuent les prix littéraires internationaux. On pourrait citer bien des noms d’essayistes, de poètes, de romanciers ou de philosophes dont l’unique malheur de leur impopularité au Cameroun est le devoir d’indignation qui les anime ; et ce nonobstant l’aura internationale qui est la leur. Pour s’en convaincre, un seul cas, parmi tant d’exemples en la matière, suffit à dépeindre l’ « exil littéraire » où le régime d’Étoudi l’a contraint : Mongo Beti.
Oui, Mongo Beti, le Voltaire africain qu’on ne présente plus, n’est pas lu dans son pays d’origine. Lui qui a publié une nouvelle, un dictionnaire, trois essais, douze romans et plus d’une centaine d’articles dans les revues et journaux, il fait l’objet d’une absence voulue dans les programmes scolaires camerounais, du primaire jusqu’à l’université. La raison est toute simple : ses écrits dérangent le système néocolonial et néobourgeois qu’il n’a cessé de critiquer dans ses œuvres.
Comment pouvait-il en être autrement quand on sait que Mongo Beti se définissait par essence comme quelqu’un d’iconoclaste : « Je suis un disciple de Voltaire […], je sais que je suis dur, mais quand on lutte contre des salopards, car je ne peux pas qualifier autrement le néocolonialisme, on ne peut pas être laxiste ». La rixe oratoire de l’écrivain contre l’impérialisme triomphaliste, et ses lieutenants installés dans les palais dits présidentiels en Afrique, ne pouvait lui valoir que l’inimitié.
Heureusement que l’ingratitude du présent n’a jamais eu raison de la reconnaissance de la postérité. Ainsi, près de douze après le décès de Mongo Beti, sa côte de popularité n’arrête pas de grimper dans les milieux de lecteurs noirs qui se procurent, comme ils peuvent, les quelques ouvrages encore disponibles dans les sites de vente en ligne ou dans sa librairie à Tsinga (Yaoundé). Bien plus, des chercheurs de tous horizons s’investissent à reparcourir cet auteur méritant. Et les publications, à cet effet, ne désemplissent pas.
Pour preuve, un tout nouvel ouvrage vient d’être publié en France sur le titre Langue d’écriture, langue de résistance. Mongo Beti et les romans du retour. Son auteur, Claude Éric OWONO ZAMBO, examine les deux derniers récits publiés par le romancier après son long exil passé en dehors du pays natal. Il s’agit de Trop de soleil tue l’amour et Branle-bas en noir et blanc. Les personnages de ces romans s’expriment dans ce qu’on peut appeler le « français camerounais ». Fait nouveau dans la mise en scène discursive du langage chez un romancier reconnu comme classique, il faut voir, de l’avis de OWONO ZAMBO, une forme d’engagement scripturaire de Mongo Beti qui cherche à démontrer le fait, pour le petit peuple, d’avoir imposé à la norme du français de France, sa propre norme locale faite de mélange et de métissage avec les autres langues du cru. Ainsi, loin de se soumettre aux exigences de la grammaire et de la syntaxe d’une langue imposée par la colonisation, les personnages de Mongo Beti choisissent la voie d’une appropriation et d’une adaptation du français aux couleurs et images socioculturelles locales. Cependant, sur le terrain politique et économique, les dirigeants en poste n’arrivent pas à imposer leurs besoins réels face au bourreau de toujours qui leur recommande tel système politique ou monétaire, tel investisseur ou programme éducatif. C’est dire que l’indépendance tant recherchée par les martyrs nationalistes est encore à conquérir.
Pour Mongo Beti, au travers de l’abâtardissement du français par les Africains, il y a là un symbole fort. L’on peut, effectivement, prendre la décision de tordre le cou à la langue de l’ancien maitre sans rien risquer. Pourquoi ne pas le faire aussi sur le terrain politique ? Tout est donc dans le courage collectif et la prise en main du destin des nations dont les dirigeants ont la charge.
Cet ouvrage de 366 pages, publié à Paris le 7 janvier 2014 mérite d’être lu. Et, au-delà du fait qu’il interpelle les chercheurs en sociolinguistique, le livre Langue d’écriture, langue de résistance. Mongo Beti et les romans du retour vise à commémorer la mémoire d’un grand homme, grand défenseur des libertés, MONGO BETI en majuscules.
Man Bene