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À la SNCF, le racisme, c’est possible (Bakchich)

par Sébastien Fontenelle 11 Février 2014, 14:55 France SNCF Racisme

À la SNCF, le racisme, c’est possible (Bakchich)
À la SNCF, le racisme, c’est possible 
Bakchich

Sébastien Fontenelle

Cela fait des années que ça dure: des années que des agents de la SNCF se trouvent confrontés au racisme et à la xénophobie de certains de leurs collègues. La direction de l’entreprise assure avoir pris la mesure du problème. Mais des salariés restituent une réalité moins rassurante.

En novembre 2012, Dominique Baudis, Défenseur des droits, écrit à Guillaume Pépy, P-DG de la SNCF: «À plusieurs reprises, mes services ont été interpellés par des agents de la SNCF victimes de discriminations de la part de leurs collègues», lui explique-t-il. Il ajoute que le fait n’est pas complètement nouveau, puisque la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) s’était déjà inquiétée, avant sa dissolution en 2011, du sort fait à certains de ces salariés, victimes de «harcèlement moral discriminatoire».

Peu de temps après, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), également «interpellé» par ces salariés, dénonce, à son tour, le 5 décembre 2012, dans une lettre au même Guillaume Pépy, «des signes de “racisme ordinaire“ dans l’entreprise SNCF».

Un an plus tard, un déontologue de ladite entreprise relève, dans une note interne datée du 15 avril 2013 – et dans un style où certaines tournures peuvent étonner -, que «plusieurs actes de manquement à la déontologie et à connotation diffamatoire ont été commis» au sein d’une agence méridionale de la sûreté ferroviaire. En 2011, par exemple, «des tranches de saucisson» ont été «déposées dans le casier d’un agent de confession musulmane». En 2012, «des propos et des musiques faisant référence (sic) à certains groupuscules extrémistes» ont été «entendus sur un site». Puis, « vers la fin de la même année, la diffusion d’une blague de mauvais goût, vantant les bienfaits d’une extermination raciale», a été « faite à partir d’un SMS sur les téléphones de certains agents enclins ou pas à les recevoir » - et « cette complicité involontaire et forcée » a été «très mal perçue».

Puis encore: d’autres «confessions d’actes contraires aux Lois ont été rapportées ». Ainsi : «Des violences verbales et physiques auraient été commises volontairement, lors d’interpellation, à l’encontre d’une certaine catégorie d’individu et notamment de personnes de souche maghrébine». Et «des propos diffamatoires sont propagés à l’encontre de ceux qui n‘adhérent pas à ces idées discriminatoires».

Dans ces conditions: « Un harcèlement est perceptible laissant présager de conséquences graves sur la notion de camaraderie de groupe et sur l’état de santé des agents mis à l’écart ».

«Blagues potaches»

Conclusion du déontologue de la SNCF: «La majorité des faits à caractères discriminatoires ont été commis par des personnes qui semblent ignorer la portée de tels actes ; Ce qui peut paraître anodin, voire comique, pour les uns ne l’est pas pour les personnes visées. Ainsi les blagues potaches, les imitations exacerbées, les moqueries grotesques touchent amèrement les victimes qui pour des raisons d’intégration au groupe sourient et acceptent contre leur gré cet état de fait. Le respect des droits des personnes, de leur dignité et de leur culture doit être un enjeu permanent auquel nous sommes confrontés au quotidien. Une attention particulière du respect de la vie privée de chacun, à l’application de notre politique en matière de diversité et de lutte contre les discriminations et à la prévention de toute forme de harcèlement moral ou sexuel, passe par le management. L’éthique impose des règles de conduite qui préviennent les collaborateurs d’écarts de comportement pour les mettre en difficulté et nuire à l’image de leur entreprise. L’implication du manager doit être sans faille contre toutes les formes d’exclusions. Son exemplarité, sa conduite et son comportement doivent être une source de symboles forts. Sa recherche d’auteurs d’actes répréhensibles doit être permanente et les sanctions appliquées à la hauteur de leur gravité.»

«Procédure d’alerte»

Sur le papier, donc – et dans les proclamations de sa direction, qui vient encore, tout récemment, de protester de sa bonne foi après la publication, le 6 janvier dernier, d’un accablant article d’un journaliste de Médiapart - la SNCF se montre intraitable, dans sa lutte contre le racisme et la xénophobie: c’est ce dont témoignent, par exemple, les avis, à usage interne, où elle rappelle, pour l’édification de ses employés, que, «dans le cadre de sa politique de prévention et de lutte contre les discriminations», elle « condamne fermement toutes les formes de discriminations», et qu’elle a par exemple mis en place, « pour permettre » à ses agents «de signaler tout comportement qui leur semblerait contraire à cet engagement», une «procédure d’alerte centralisée dédiée». Mais lorsque vient de le moment de sanctionner des comportements odieux, tout semble soudain être beaucoup moins évident: Tiemokho T. en a fait, avec d’autres, la très amère expérience.

En 2007, cet agent est affecté au sein d’un groupe de contrôleurs où il endure, dès son arrivée, comme le relèvera la Halde dans une délibération du 6 décembre 2010, des propos racistes, des brimades et des vexations de la part de deux collègues de travail: messieurs G. et M. Il s’ouvre de ce calvaire à ses chefs de bord - qui ne peuvent pas ne pas l’avoir constaté, étant régulièrement témoins des humiliations qui lui sont infligées. Mais cela n’est d’aucun effet – et il continue de se faire traiter, par exemple, de «Bounty».

«Rentre dans ton pays»

En 2008, de nouveaux agents intègrent l’équipe où il travaille, et témoignent – par écrit – de la situation qu’il subit alors depuis plus d’un an. L’un d’eux explique: « J’ai vu à plusieurs reprises monsieur M. se cracher dans la main avant de tendre celle-ci à monsieur T. pour lui dire bonjour.» Une autre fois, dans une gare parisienne, «Monsieur M. a dit à monsieur T.: “Les ascenseurs sont interdits aux Noirs, tu n’as qu’à prendre les escaliers construits par tes ancêtres“»

Un agent commercial confirme: il a entendu M. qui se sentait selon lui «intouchable», lancer à sa victime, entre autres ignominies: « Tu es noir, rentre dans ton pays».

Le 11 juin 2009, six mois après que ces témoignages ont été portés à la connaissance de sa hiérarchie, une directrice régionale de la SNCF écrit à Tiemokho T., qui a saisi les prud’hommes: « Au cours de ces derniers mois, vous avez été victime, dans le cadre de l’exercice de vos fonctions au sein même de votre établissement, de discrimination. Il est désormais tout à fait clair que vous avez subi, sans conteste possible, une dégradation de vos conditions de travail qui a porté atteinte à vos droits mais aussi à votre dignité. Je vous demande de bien vouloir accepter mes plus profondes excuses en mon nom mais aussi au nom de l’entreprise.»

L’entreprise reconnaît donc la réalité des brimades racistes dont ce salarié se plaignait depuis deux ans. Mais elle se montre très accommodante avec ses persécuteurs - puisque M. et G. écopent, en guise de sanction, d’une mise à pied disciplinaire de… Six jours. De quoi donner un certain poids aux revendications de l’association «Droit à la différence», qui regroupe des cheminots victimes de discriminations, et dont les responsables dénoncent les atermoiements d’une direction qui minimise selon eux la gravité de certains comportements - ou au constat du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), qui pointait, dans sa lettre à Guillaume Pépy du 5 décembre 2012, «une certaine indifférence ou inertie de l’encadrement»

«Sale musulman»

Nourdine L., lui, est entré à la SNCF au mois de janvier 2000. Il a immédiatement été confronté, dans la gare francilienne où il a été affecté, au racisme de ses collègues, et à la complaisance de leur hiérarchie: l’agent qui avait insulté un voyageur noir n’a, par exemple, pas été sanctionné.

Lui-même, en revanche - qui a retrouvé sur son bureau des tracts xénophobes, et reçu des fax le traitant de « sale arabe », de «macaque» ou de «sale musulman» -, a fait l’objet, après s’être plaint de ces agissements, de «sanctions disciplinaires» à répétition qui l’ont finalement plongé dans une profonde dépression: «Je l’ai vu changer année après année, même physiquement. Petit à petit, ce n’était plus la même personne», a témoigné l’une de ses collègues.

En 2007, constatant que ses supérieurs lui refusaient tout avancement – quand ses collègues moins bien notés étaient régulièrement promus -, Nourdine L. a saisi les prud’hommes. Il a reçu le soutien du Défenseur des droits, qui estime «qu’il existe un faisceau d’indices mettant en évidence qu’il existe un lien entre l’origine de M. L. et son absence d’évolution de carrière», et que cette «absence d’évolution de carrière dont a été l’objet M. L. est constitutive d’une discrimination fondée sur son origine» (1).

Tel n’est bien sûr pas l’avis de la SNCF, qui a protesté qu’elle recrutait «des personnes maghrébines», et fourni «les noms et les dossiers de deux salariés d’origine maghrébine avec une progression exemplaire» au sein de l’entreprise.

«Harcèlement discriminatoire»

Mauvaise pioche: les prud’hommes ont considéré, dans un jugement («en premier ressort») du 13 février 2013 – six ans, tout de même, après le début de la procédure -, que les «sanctions à répétition» qui lui ont été infligées ne «paraiss(ai)ent pas étrangères à l’origine de Monsieur Nourdine L., seul maghrébin affecté à un poste d’agent commercial» dans la gare où il travaillait, que «cette situation a(vait) entraîné une dégradation de ses conditions de travail qui a(vait) altéré sa santé physique et mentale», et que «le harcèlement discriminatoire subi par Monsieur Nourdine L. (était) caractérisé»: la SNCF a donc été condamnée «à lui verser la somme de 10.000 euros à ce titre».

Une réparation modeste – au regard des souffrances endurées pendant tant d’années. Mais encore trop conséquente pour la SNCF, qui a fait appel de ce jugement.

Ce que constatant, le syndicat Sud-Rail a dit - dans un tract dénonçant aussi la constitution d’un groupuscule islamophobe dans un dépôt francilien où avaient été tagués des slogans racistes - redouter que l’ «attitude» consistant, dans une affaire comme celle-ci, à faire «appel du jugement plutôt que d’être solidaire du plaignant» ne vienne « renforcer au sein de la SNCF toutes les idées et les courants les plus réactionnaires»: cela, de fait, ne peut être exclu.

(1) Dans le courrier qu’il adresse à Guillaume Pépy en novembre 2012, le Défenseur des droits observe que Nourdine L. «dénonce des représailles» de sa hiérarchie, après qu’il a saisi les prud’hommes. Il n’est pas seul dans ce cas: d’autres agents qui se sont plaints des traitements qui leur étaient infligés «dénoncent également des mesures de représailles».

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