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Ukraine: comment l'Union européenne s'est pris les pieds dans le tapis russe (Libération)

par Libération 2 Mars 2014, 17:01 Ukraine Crimée Russie UE

Ukraine: comment l'Union européenne s'est pris les pieds dans le tapis russe (Libération)
Ukraine: comment l'Union européenne s'est pris les pieds dans le tapis russe

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J'ai écrit cette analyse vendredi, avec notre correspondante à Washington, Lorraine Millot. C'est-à-dire avant l'intervention russe en Crimée. Il est prémonitoire...

C’est une gigantesque partie d’échecs qui se joue entre l’Union européenne et la Russie, avec pour enjeu la stabilisation d’une Ukraine au bord de la banqueroute et de l’éclatement : «Hélas, les Européens, qui ne sont déjà pas de bons joueurs en temps normal, sont là handicapés par leur adversaire. Car Moscou est le plus grand diviseur des Etats membres, soupire un diplomate en poste à Bruxelles. Cela nous empêche de penser plusieurs coups à l’avance.»

Or, l’Union européenne, qui est au premier rang dans la crise ukrainienne puisqu’il s’agit de son voisinage immédiat, ne peut se permettre le moindre faux pas. «Si on rate la période de transition politique et que l’on se met Moscou à dos, c’est fini, met-on en garde dans l’entourage de François Hollande. Les Russes, qui pensent très politique à la différence de l’Union, ont un fort pouvoir de nuisance : s’ils le veulent, sans même intervenir militairement, ils peuvent mettre le feu à l’Ukraine.» Or, à Bruxelles, «on fait comme si Moscou n’avait pas la possibilité de mettre un bazar d’enfer, s’indigne un diplomate de l’Union. On est dans un entre-deux détestable, faute d’avoir défini une politique cohérente à l’égard de la Russie, comme la création d’une zone de libre-échange ou d’un espace de sécurité commun.»

Les Européens sont divisés entre les «maximalistes antirusses» qui, comme la Pologne ou les Baltes, veulent «bouffer du Russe et faire sentir à Moscou qu’elle a perdu l’Ukraine» ; selon un fonctionnaire du Service européen d’action extérieure (SEAE), et ceux qui, comme l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne ou la Belgique, estiment qu’il faut garder les Russes à bord en n’intervenant pas en Ukraine. «Mais on doit être subtil : on ne doit pas donner l’impression que le sort du pays va être réglé par un condominium UE-Russie, car ce serait inacceptable pour la Pologne et les Baltes à qui cela rappellerait un peu trop le pacte germano-soviétique, prévient-on à Paris. Il faut aussi qu’on réfléchisse dès maintenant au statut futur de l’Ukraine. Quelque chose qui s’approchera de celui de l’Autriche avant 1989 : ni dans l’Otan ni dans l’Union.» Pour la France, il est en effet hors de question d’offrir une «perspective européenne» à Kiev, comme le réclame Varsovie, ce serait un point de non-retour pour Moscou.

Le chemin est d’autant plus étroit que les premiers pas du nouveau gouvernement ukrainien inquiètent. Notamment après l’abrogation, mercredi, du statut de langue officielle dont bénéficiait le russe. Cela n’a pas empêché la Commission, emmenée par Catherine Ashton, la représentante pour les affaires étrangères de l’Union européenne, de qualifier, hier, le gouvernement de Arseniy Iatseniouk, de«gouvernement légitime», et même d’évoquer la signature rapide de l’accord d’association entre l’Union et l’Ukraine sans attendre les élections présidentielles du 25 mai. «On risque, en allant trop vite, d’être pris au piège d’un règlement de comptes style Roumanie d’après-Ceausescu», analyse un diplomate européen qui épingle la «nullité affligeante» de la baronne Ashton dans sa gestion de la crise ukrainienne.

«Idéologiquement, la Commission est antirusse», se désole un diplomate de l’Union. A la fois parce qu’elle a le souci de ne pas déplaire aux douze Etats membres de l’ex-bloc soviétique qui pèsent de tout leur poids au sein des institutions communautaires, mais aussi par son incapacité à penser politiquement. Ce qui est légal au plan juridique peut être fait, point. Ainsi, elle refuse de considérer l’impact que pourra avoir sur la Russie la signature de l’accord d’association avec l’Ukraine alors que le pays est lui-même lié à Moscou par un accord de libre-échange… «Or, les Russes ont déjà prévenu qu’ils prendraient des contre-mesures»,rappelle un diplomate bruxellois.

De même, la Commission veut lâcher du lest sur les visas alors même qu’aucune mesure n’a été prise pour lutter contre les discriminations visant les gays et lesbiennes ou la corruption, deux conditions pourtant exigées par l’Union jusque-là :«les Russes vont mal le prendre. Pourquoi l’Ukraine, dans ce cas, et pas eux ?»s’interroge notre diplomate. Même chose sur la «désoviétisation» des forces de sécurité, pour laquelle Kiev a demandé l’aide de l’Union et pour laquelle la Pologne veut fournir son «expertise» : «un épouvantail de plus», soupire-t-on au Service européen d’action extérieure.

Autant dire que chaque action unilatérale, même la plus anodine, de l’Union risque de déclencher l’ire de Moscou, ce dont ont conscience la France et l’Allemagne, mais aussi le SEAE. Or, la Russie a promis une aide de 15 milliards de dollars (environ 10,8 milliards d’euros) à l’Ukraine, indispensable, surtout quand on sait que la dette gazière du pays vis-à-vis de la Russie atteint déjà 3,5 milliards de dollars… D’ici à 2015, les Ukrainiens estiment leurs besoins de financement à 35 milliards de dollars, un chiffre à prendre avec des pincettes vu l’absence d’administration publique fiable.«Ils ont, semble-t-il, un trou de trésorerie de 4 milliards de dollars, détaille un membre du SEAE. Si la Russie donne les 2 milliards de dollars escomptés, avec le milliard promis par les Américains et le milliard d’euros qu’on peut réunir vite, le compte est bon. Sans les Russes, ça devient compliqué.» Et on les imagine mal, s’ils ne sont pas à bord, ne pas réclamer le paiement immédiat de leurs créances gazières…..


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