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France-Rwanda : il est grand temps d'ouvrir les archives Le Monde
Vingt ans après le déclenchement du génocide rwandais, qui, en cent jours, a fait 800 000 morts, Tutsi et Hutu modérés, la guerre des mémoires continue de faire rage. Alors qu'à Kigali on commémore une tragédie dont les blessures sont loin d'être cicatrisées, c'est sur la France et ses prétendues responsabilités que le président Paul Kagamé a choisi de focaliser l'attention.
En accusant, une fois de plus, Paris d'avoir « participé à l'exécution » du génocide, l'homme fort de Kigali interrompt brutalement le patient processus de rapprochement mené par Nicolas Sarkozy et prolongé par François Hollande, auquel il a lui-même participé.
Le général Kagamé montre du doigt la France sans doute pour faire oublier les graves accusations dont il fait l'objet : déstabilisation et pillage de la République démocratique du Congo voisine, dérive autocratique marquée notamment par l'assassinat d'opposants en exil. Ironie de l'histoire, il met en cause la France, le pays occidental le plus enclin à fermer les yeux sur son mépris des droits de l'homme, au moment où Washington, le plus fidèle admirateur de ses réussites– stabilité, croissance économique... –, fronce sérieusement les sourcils.
Que le président rwandais ne soit pas le mieux placé pour poser la question du rôle de la France dans la tragédie de 1994 ne signifie nullement que cette interrogation soit illégitime. Au contraire : vingt ans après l'extermination des Tutsi, il est plus que temps, pour notre pays, de faire toute la lumière sur sa politique et l'action de ses soldats sur le terrain, pendant le dernier génocide du XXe siècle. En 1998, une mission d'information parlementaire n'avait retenu que des « erreurs d'appréciation » et des « dysfonctionnements institutionnels ».
Aucune preuve formelle n'existe de l'implication de soldats français dans les tueries. Mais des travaux d'historiens, des témoignages ont, depuis lors, multiplié les doutes, amplifié les questions et renforcé l'exigence d'un débat public.
Alliée indéfectible du régime pro-Hutu qui allait commettre le génocide, la France de François Mitterrand, soucieuse de défendre son « pré carré » africain, l'a aidé jusqu'au bout à s'opposer militairement à l'offensive des Tutsi de Paul Kagamé. Jusqu'aux hallucinantes réunions, à l'ambassade de France, des extrémistes hutu organisant les massacres. Ce passé-là, qui décidément « ne passe pas », doit être interrogé ; de même que les ambiguïtés de l'opération « Turquoise », affichant une prétendue « neutralité » en plein génocide ; ou la protection dont ont bénéficié, pendant des années, d'anciens génocidaires sur le sol français.
De Vichy à la guerre d'Algérie, il a fallu des décennies pour que la France soit capable d'affronter les vérités dérangeantes et éclairer les pages sombres de son histoire. Vingt ans ont passé, et il est grand temps, même si M. Kagamé n'y aide guère, d'ouvrir les archives et de faire entrer ce génocide dans l'Histoire. Non pour l'oublier, mais pour passer des anathèmes à la complexité, des mémoires à vif aux méthodes historiques. Pour en tirer aussi toutes les leçons d'actualité sur l'impérieuse nécessité de transparence de la politique africaine de la France, du Mali à la Centrafrique.