L'armée algérienne aurait franchi la frontière avec la Libye Par Isabelle Mandraud Le Monde
Massée depuis des mois le long de la frontière avec la Libye, l'armée algérienne aurait franchi le pas, rompant ainsi avec la doctrine établie depuis l'indépendance du pays de la non-intervention de ses troupes sur un territoire étranger. « 3 500 paras, soit un régiment complet, et un groupe de soutien et d'appui logistique de 1 500 hommes, sont déployés actuellement de l'autre côté de la frontière », annonçait, dans son édition du 6 juin, le quotidien El Watan.
Les autorités algériennes ont, depuis, démenti l'information, tandis que le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, a qualifié d'« allégations » l'idée d'une coopération concertée sur le terrain lors de sa visite à Alger, qui s'est achevée lundi 9 juin, trois semaines seulement après celle de son homologue de la défense, Jean-Yves Le Drian. L'armée algérienne, elle, n'a pourtant fait aucun commentaire.
« IL N'Y A PAS D'ENTORSE À NOS HABITUDES »
« Je maintiens la nature de l'opération et le nombre d'hommes », affirme Akram Kharief, auteur du blog Secret Difa3, un site très documenté sur la défense algérienne, également à l'origine de l'article paru dans El Watan. « Les opérations ne sont pas faites très en profondeur, dans une zone de 100 à 120 kilomètres sur le territoire libyen, pour occuper les points d'eau et logistiques et couper ainsi la route à des groupes armés, ajoute ce spécialiste. A ma connaissance, aucune confrontation armée n'a eu lieu, mais c'est bien la première fois qu'une force d'une telle envergure est déployée à l'étranger. Par le passé, il n'y avait eu que quelques incursions au Mali, ou même au Tchad. »
Sur ce point, le débat ne cesse de grossir en Algérie : assister aux interventions étrangères, voire les soutenir comme elle s'est résignée à le faire lors de l'opération française « Serval » au Mali, ou bien prendre toute sa part dans une région où elle entend bien continuer à jouer un rôle pivot ? Le 5 juin, devant l'Assemblée nationale, le premier ministre Abdelmalek Sellal fustigeait « les partis qui pressent l'Algérie à intervenir : non et non ! ». « Si notre armée se déploie à l'étranger, elle sera affaiblie », avait-il ajouté. « En réalité, les autorités veulent ménager l'opinion publique pour que l'Algérie n'apparaisse pas comme l'alliée de la France et des Etats-Unis », assure Akram Kharief. L'armée apparaît elle-même divisée.
« Il n'y a pas d'entorse à nos habitudes », juge une source sécuritaire. La coopération militaire avec les pays étrangers, notamment dans le domaine du renseignement, n'est cependant déjà plus un tabou en Algérie. « La France et l'Algérie sont côte à côte dans la lutte contre le terrorisme », s'est félicité lundi M. Fabius, tandis que son homologue algérien, Ramtane Lamamra, indiquait que « de gros efforts » avaient été déployés par Alger pour sécuriser les frontières.
Sans doute, la prise d'otages sanglante de janvier 2013 sur le site gazier de Tigantourine par un commando djihadiste passé par la Libye toute proche, au cours de laquelle 39 expatriés et un Algérien perdirent la vie, a-t-elle contribué à assouplir la doctrine jusqu'ici en vigueur.
SITUATION « PRÉOCCUPANTE »
Selon Akram Kharief, il s'agirait d'ailleurs de la même unité d'élite, à l'origine de l'assaut dans le Sud algérien contre le commando djihadiste mis hors d'état de nuire, qui aurait été envoyée de l'autre côté de la frontière avec un équipement restreint à quelques blindés.
Même limitée, l'approche militaire algérienne, si elle se confirmait, pourrait avoir des implications importantes. Tandis qu'à l'est de la Libye les affrontements entre des groupes islamistes et le général dissident Khalifa Haftar, qui se targue d'avoir le soutien de l'Egypte, s'intensifient, la présence de militaires algériens sur le front sud-ouest du pays constituerait une nouvelle donne.
Fait rarissime, le 26 mai, soit trois jours avant le début supposé des opérations algériennes en Libye, le général Boualem Madi, directeur de la communication de l'Armée nationale populaire (ANP), est sorti du silence sur la radio publique pour évoquer la « modernisation de forces armées », qui, selon lui, « ne se limite pas à une simple restructuration, mais surtout et avant tout à une parfaite adaptation aux nouvelles missions imposées par les nouveaux défis ». Interrogé sur « l'instabilité » des pays voisins, le porte-parole de l'ANP, qui s'exprimait en français, avait alors qualifié la situation de « préoccupante ».
« Cette situation, ajoutait-il, exige de nos éléments d'être omniprésents physiquement sur tous les fronts : à l'intérieur du pays pour faire face aux groupuscules terroristes résiduels et sur la bande frontalière (…), sans omettre, bien sûr, la coopération avec les pays voisins et la coordination avec leurs services de sécurité. » Toute la question maintenant est de déterminer la largeur de cette bande frontalière.