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Namibie : L’holocauste africain de l’Allemagne (The Greanville Post)

par Andre Vitchek 3 Octobre 2014, 21:06 Allemagne Namibie Hereros Génocide Colonialisme Crimes contre l'humanité

Le Cheval colonialiste allemand en Namibie.
Le Cheval colonialiste allemand en Namibie.
Namibie : L’holocauste africain de l’Allemagne

Par Andre Vltchek
Source originale : The Greanville Post 21 septembre 2014
Traduit par Lionel pour vineyardsaker.fr

Quel scandale ! Combien cela est déchirant, véritablement grotesque ! Windhoek – la capitale de la Namibie – est, à un extrême, emplie de fleurs et de villas de style méditerranéen, tandis qu’à l’autre extrême, elle n’est rien d’autre qu’un formidable taudis sans eau ni électricité.

Entre les deux, il y a le centre ville dégageant cette impression d’ordre à l’allemande, son « architecture coloniale » prétentieuse, avec des églises protestantes et des plaques commémoratives célébrant le deuil de ces braves Allemands, hommes, femmes et enfants, de ces martyres morts durant les soulèvements et les guerres menées par les peuples indigènes.

Le mémorial le plus absurde, celui qui suscite le plus la discorde, est ce qu’on appelle le « monument équestre », plus connu sous le nom de « Les chevaux » ou ses noms originaux en allemand, le Reiterdenkmal et le Südwester Reiter (le monument équestre et le cavalier du sud-ouest). Il s’agit d’une statue inaugurée le 27 Janvier 1912, jour anniversaire de l’Empereur allemand Guillaume II. Le monument « honore les soldats et les civils allemands qui ont trouvé la mort du côté allemand lors de la guerre contre les Héréros et les Namaquas, de 1904 à 1907 ».

Cette guerre ne fut pas véritablement une guerre.Ce ne fut rien de moins qu’un génocide, un holocauste.

Et la Namibie ne fut qu’un prélude à ce que l’Allemagne nazie essaierait plus tard de mettre en œuvre sur le sol européen.

Une experte européenne travaillant pour les Nations-Unies, mon amie, parle, presque comme tout le monde ici, avec passion, mais sans oser révéler son nom :

« C’est dans cette partie de l’Afrique que sont apparus les premiers camps de concentration à voir le jour sur terre… Ils furent construits par l’Empire britannique en Afrique du Sud et ici, en Namibie, par les Allemands. Sur la côte, Shark Island (NdT : l’Ile aux requins) fut le premier camp de concentration de Namibie, utilisé pour assassiner le peuple nama, mais aujourd’hui il n’est plus qu’une destination touristique et l’on ne se douterait jamais que des gens y ont été exterminés. Ici, au centre de Windhoek, il y avait un autre camp de concentration : juste à l’endroit où « le Cheval » se trouvait originellement. »

« Le Cheval » a récemment été enlevé du lieu où il avait été installé à l’origine et il a été placé dans la cour de l’ancienne aile du Musée National, avec certaines des plaques commémoratives les plus scandaleuses, à la gloire des actions commises par les Allemands dans cette partie du monde. Rien n’a été détruit, on s’est contenté de déplacer les choses de leurs emplacements originels.
Là où était « Le cheval », se trouve maintenant une fière statue anticolonialiste, un homme et une femme avec des chaînes brisées, sous lesquels est écrit : « Leur sang a arrosé notre Liberté ».

Une visite à ces reliques allemandes génocidaires est « un must absolu » pour les innombrables touristes de l’Europe centrale qui descendent chaque jour en Namibie. J’ai suivi quelque uns de ces groupes en écoutant leurs conversations. Il semble n’y avoir aucun remord ni aucun questionnement un tant soit peu élevé de la part de ces gens : seulement des photos souvenirs, où l’on prend la pose devant les monuments et les symboles racistes, et des blagues de bistrot, là-même où des cultures et des nations entières ont été exterminées !

Les touristes germanophones d’Europe centrale à Windhoek semblent avoir été lobotomisés et être absolument dénués d’émotions. Comme le sont nombre des descendants de ces « pionniers génocidaires allemands ». Leur rencontre est pour moi comme du déjà vu [Ndt : en français dans le texte], ce qui me ramène à l’époque où je combattais la colonie allemande nazie, la « Colonia Dignidad » au Chili, ou au temps où j’enquêtais sur les atrocités commises par la communauté allemande nazie du Paraguay mise en place et préservée par l’Occident, ainsi que sur ses liens avec plusieurs régimes fascistes sud-américains.

Et, aujourd’hui, la communauté allemande de Namibie proteste contre le déplacement du « Cheval ». C’est indigne. Et cette communauté est toujours puissante, omnipotente même, ici en Namibie.

Presque personne n’appelle les « événements » qui ont eu lieu ici par leurs noms exacts, d’holocauste ou de génocide. Tout, en Namibie, est « sensible ».

Pourtant, même selon la BBC : « En 1985, un rapport des Nations-Unies a défini ces événements comme ayant constitué une tentative d’exterminer les peuples héréros et namas du sud-ouest de l’Afrique, et les a par conséquent classés comme la première tentative de génocide du 20e siècle ».

Le 21 octobre 2012, le Globe and Mail a publié ceci:

« Au milieu des buissons et des épineux de la Namibie centrale, les descendants des Héréros qui ont survécu vivent dans des cabanes sordides et de petites parcelles de terre. Juste à côté, les descendants des colons allemands possèdent toujours de vastes propriétés de 20.000 hectares ou plus. Ce contraste enrage de nombreux Héréros, alimentant dans la région un nouveau radicalisme. »

Chaque année, les Héréros organisent des cérémonies solennelles à la mémoire du premier génocide du siècle le plus sanglant de l’histoire, quand les troupes allemandes les conduisirent dans le désert pour mourir, annihilant ainsi 80 % de leur population, par la faim, la soif et le travail forcé dans des camps de concentration. Les Namas, un groupe ethnique plus petit, ont, quant à eux, perdu plus de la moitié de leur population lors de persécutions identiques.

De nouvelles recherches suggèrent que le génocide racial allemand en Namibie, entre 1904 et 1908, a eu une influence significative sur les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. De nombreux éléments clés de l’idéologie nazie, depuis la science raciale et l’eugénisme jusqu’à la théorie du Lebensraum (la création « d’un espace vital » par la colonisation), furent promus par les vétérans de l’armée allemande et les scientifiques qui avaient commencé leur carrière en Afrique du Sud-ouest, aujourd’hui la Namibie, durant le génocide… ».

Le gouvernement namibien négocie toujours le retour (d’Allemagne) de tous les crânes des autochtones qui furent utilisés dans des laboratoires et par les scientifiques allemands, afin de prouver la supériorité de la race blanche. Les colonialistes allemands décapitaient les Héréros et les Namas, et au moins 300 têtes furent transportées dans des laboratoires allemands pour des « recherches scientifiques ». Nombre d’entre eux ont été « découverts » au Musée d’histoire médicale de l’Hôpital universitaire de la charité de Berlin, et à l’Université de Fribourg.

Le docteur Fisher fut le principal médecin allemand à travailler sur la « doctrine de la race pure » en Namibie (doctrine qui fut ensuite utilisée par les Nazis). Il « éduqua » de nombreux médecins allemands, dont le docteur Mengele.

C’est bien peu surprenant, lorsque l’on sait que le premier gouverneur allemand de la colonie fut le père de l’adjoint d’Hitler, Herman Goering.

L’Allemagne n’a jamais officiellement présenté d’excuses pour ses crimes contre l’humanité, dans ce qu’elle appelait alors l’Afrique du sud-ouest allemande. Elle n’a pas non plus payé de réparations.

L’holocauste de l’Allemagne en « Afrique du sud-ouest » est, entre autres choses, une preuve de ce que la théorie occidentale habituelle qui veut que le nazisme allemand soit né avant la Deuxième Guerre mondiale est totalement fausse. Selon cette théorie, c’est après la Première Guerre mondiale que l’Allemagne défaite et humiliée s’est radicalisée et a « réagi » de façon monstrueuse, face à la condition qui était la sienne.

Mais, en réalité, avant, puis durant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne avait simplement décidé de se comporter en Europe, exactement comme elle s’était comportée dans ses colonies, durant de nombreuses décennies.

Dans le centre de Windhoek, on trouve les rues Robert Mugabe et Fidel Castro. Il y a, de plus, ce formidable Musée national commémorant la lutte de libération nationale et le rôle des héroïques troupes cubaines et nord-coréennes, dans leur combat contre l’apartheid, soutenu, lui, par l’Occident.

Bizarrement, les monuments et les insignes de l’Allemagne pré-nazie et de l’Allemagne de la Deuxième Guerre mondiale sont littéralement côte à côte avec les hommages à la grande lutte de libération nationale.

Les divisions sont choquantes : idéologique, raciale, sociale.

En Namibie, la ségrégation est partout, à une échelle gigantesque.

Alors que sa voisine, l’Afrique du Sud, est en train de s’éloigner rapidement de la ségrégation raciale, introduisant un nombre incalculable de politiques sociales, comme la gratuité des soins de santé, ou des logements éducatifs et sociaux, la Namibie reste un des pays les plus ségrégationnistes de la planète, avec des services privés de haut niveau pour les riches et presque rien pour la majorité pauvre.

« L’Apartheid fut ici pire encore qu’en Afrique du Sud », me dit mon amie des Nations-Unies. « Et jusqu’à maintenant… Vous allez à Katutura et vous voyez qui y vit, ce sont tous des locaux, tous noirs. Katutura signifie littéralement : « Nous n’avons nulle part où aller ». 50 % des gens de la ville font leurs besoins en plein air. La situation sanitaire est totalement désastreuse. Vous allez ensuite à la ville de Swakop , sur le littoral, et c’est comme si l’Allemagne avait été recréée en Afrique. Vous pouvez aussi voir, là-bas, des boutiques de souvenirs nazis. Certain Nazis qui avaient réussi à quitter l’Europe sont venus à Windhoek, à Swakop ainsi que dans d’autres villes. A Swakop, les hommes défilent périodiquement dans des répliques d’uniformes nazis. »

* * *

Katutura est l’endroit où les noirs furent déplacés durant l’apartheid.

Mon ami, un Namibien « de couleur », qui a combattu pour l’indépendance de son propre pays et pour celle de l’Angola, m’a conduit dans ce scandaleux bidonville, qui semble héberger une partie importante de la population de la capitale, et qui n’est doté d’aucune infrastructure sanitaire ou d’électricité.

Lui aussi a choisi de rester anonyme, de façon, comme il me l’a expliqué, à protéger son adorable famille. S’exprimer ici, à la différence de l’Afrique du Sud, qui est aujourd’hui un des pays les plus libres et véhéments de la planète, peut se révéler extrêmement dangereux. Mais il précise :

« En Namibie, il est très rare que les gens qui ont souffert en parlent publiquement. En Afrique du Sud, tout le monde parle. En Angola, tout le monde parle… Mais pas ici. »

Il continue ensuite :

« Ce que nous voyons en Namibie, c’est que de nombreux Allemands contrôlent toujours le monde des affaires. Ils dirigent le pays. Ils possèdent des fermes à safari, ainsi que d’immenses propriétés et des entreprises. Les Allemands amènent de l’argent en Namibie, mais il reste avec eux et il consolide leur pouvoir, il n’atteint pas la majorité des gens. Vous ne pouvez pas imaginer la souffrance des gens qui travaillent sur leurs fermes. C’est toujours comme de l’esclavage. Mais ici, tout cela est tenu sous silence. »

* * *

Un Namibien noir m’interpelle alors que je descend la rue Fidel Castro : « Sprechen Sie Deutch ? ». [NdT : Parlez-vous allemand ?]

Je lui explique : « Oui, mais ici, je préfèrerais ne pas le faire. »

« Et pourquoi pas ? » me demande-t-il avec un petit sourie. « Vous savez… il n’y a pas qu’eux… Les Allemands… J’ai grandi, j’ai été éduqué en Allemagne de l’Est durant la lutte pour l’indépendance, et l’ami que vous voyez là-bas, lui, il a été envoyé en Tchécoslovaquie et il a été à l’école là-bas. Les pays communistes ont tant fait pour nous, pour les Africains : Cuba, la Corée du Nord, l’Union soviétique, le Tchécoslovaquie, et l’Allemagne de l’Est. Nous en sommes tellement reconnaissants ! »

Je réponds : « Mais c’est terminé, n’est-ce pas ? La Tchécoslovaquie, l’Allemagne de l’Est… Ils se sont joints aux impérialistes, les dirigeants. Ils ont troqué leurs idéaux contre des iPads. »

« Oui, répond-il, mais un jour… Qui sait ?… Les choses pourraient changer, à nouveau ».

Oui, en effet, pensé-je. Mais certainement pas en Europe…

* * *

Au nouveau et fastueux Musée national de Windhoek, je salue les combattants namibiens et étrangers qui ont combattu l’apartheid, ceux qui ont lutté et qui sont morts pour la liberté et l’indépendance de l’Afrique.

Je descends ensuite au « Goethe Institute », le centre culturel Allemand, un bâtiment colonial entouré de barbelés.

Là-bas, une starlette locale répète à voix haute quelque chose qui s’appelle « une nuit sous les étoiles », ou autre chose du même genre, pop sentimental à la guimauve. Il s’agit en fait de soirées destinées à rassembler la clientèle internationale que l’on dorlote, et les élites locales « à l’aise dans la vie ».

Je demande à la starlette si cet institut essaye de traiter aussi des sujets les plus douloureux du passé et du monde actuel, tous bien entendu liés à l’Allemagne.

Elle est noire, mais elle parle et se comporte comme une Allemande. Elle m’offre un grand sourire préfabriqué :

« Au Goethe, nous ne voulons pas de cela… Nous essayons de nous débarrasser de tout cela (de ce qui se rapporte à la colonisation et à la ségrégation). Nous essayons seulement de faire en sorte que les Allemands et les Namibiens se rassemblent, voyez vous… »

Plus tard, je jette un œil sur ces Namibiens qui sont rassemblés avec les Allemands. Bien entendu, pas de Katutura en ces lieux…

Il me revient alors à l’esprit une conversation que j’avais eue avec un des éditeurs du magazine allemand Der Stern, après que je lui avais offert mes découvertes et des photos sur la Colonia Dignidad nazie au Chili. Il dit alors : « Oh, la Colonia Dignidad ! Hahaha ! Plus jamais ça, ja ? »

* * *

Un soir, je dîne dans un restaurant angolais-portugais de Windhoek, « O Portuga », une institution connue pour son excellente nourriture et sa clientèle mélangée. Quelle soirée, et quel lieu !

Après le dîner, je me jette au « Andy’s Bar » allemand, un lieu situé à proximité, que l’on m’a décrit comme « une institution, où même un noir ou une personne de couleur travaillant dans une ambassade ou aux Nations-Unies n’oserait pas pénétrer ».

La bière est plate, mais les conversations de la clientèle locale sont extrêmement « crues ». Les patrons donnent librement aux Namibiens noirs des noms d’animaux des fermes locales. Leur dédain est ouvert et sincère. J’écoute, je comprends, et finalement je m’en vais.

J’attrape un taxi, conduit par un noir corpulent. La radio s’époumone et j’entends les paroles anti-impérialistes et socialistes chantées par « Ndilimani », un excellent groupe local et engagé.

A présent, minuit est passé depuis longtemps et, en dépit des avertissements de tous ces « Allemands bien intentionnés » que j’ai rencontrés à Windhoek, je me sens bien plus en sécurité dans ce taxi qu’au Andi’s Bar, ou qu’en bien d’autres lieux similaires.

« Ce pays est-il véritablement dirigé par la SWAPO marxiste ? » me laissé-je aller à demander à haute voix.

« Jamais de la vie ! » intervient le chauffeur en désignant le bar. « « Ils » ne sont jamais partis. « Ils » contrôlent toujours le pays. La révolution n’est pas terminée ».

Je lui dis que je commence à comprendre ce qui a rendu fou de colère Robert Mugabe, au Zimbabwe. Le chauffeur acquiesce. Je recule mon siège et l’incline.

« C’est foutu », dis-je.

Le chauffeur réfléchit un instant, puis répond, en utilisant presque les mêmes mots que l’homme qui m’avait interpellé dans la rue Fidel Castro : « Oui mon frère, oui ! Mais un jour… qui sait… Les choses pourraient bien changer, à nouveau ».

Namibia: Germany’s African Holocaust, 23 septembre 2014

Source originale : The Greanville Post 21 septembre 2014

Traduit par Lionel pour vineyardsaker.fr

André Vltchek est romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des dizaines de pays. Le résultat en est son dernier livre: « La lutte contre l’impérialisme occidental ». « Pluton » a publié sa discussion avec Noam Chomsky: « Du terrorisme occidental ». Son roman « Point de non-retour », acclamé par la critique politique, est réédité et disponible. « Océanie » est son livre sur l’impérialisme occidental dans le Pacifique Sud. Son livre provocateur sur l’Indonésie post-Suharto et le modèle fondamentaliste de marché a pour titre « Indonésie – L’archipel de la peur ». Son long métrage documentaire, « Le gambit Rwandais » porte sur l’histoire du Rwanda et le pillage de la République Démocratique du Congo. Après avoir vécu de nombreuses années en Amérique latine et en Océanie, Vltchek réside et travaille actuellement en Asie de l’Est et en Afrique. On peut le contacter via son site internet ou son compte Twitter.

André Vltchek

Namibie : L’holocauste africain de l’Allemagne (The Greanville Post)
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