Poème pour Sankara Lu sur Cameroon Voice
1.- Audition
Blaise! (1)
Blaise!
N’es-tu pas bourrelé de remords
Après la tragique mort
De ton frère Thomas
Qui, avec toi, vivait sous le même toit?
Comme un oiseau, tu lui as coupé les ailes.
Pourtant, il t’attend “au ciel”.
T’est-il possible de dormir
Sans voir et revoir Thomas te dire et te redire:
Viens, mon frère,
On va partager la même demeure?
Il t’a toujours voulu du bien;
Comment, ça ne te dit plus rien?
Blaise,
Blaise!
Te souviens-tu des bienfaits de Thomas?
Il t’avait guidé pas à pas.
Pour récompense, tu lui as couronné d’un trépas.
Tu as hissé son drapeau de sang jusqu’au grand mât
Pour en faire un véritable branle-bas.
Blaise, tu es comme Caïn et Thomas, Abel.
Tu es l’instigateur de cette querelle
Qui a transformé le Burkina en une Tour de Babel
Oú chaque famille parle un différent langage,
Oú l’on envoie ad patres tous les sages
Enfantés par ce pays à travers les âges.
Tu as assommé Thomas d’un coup mortel,
Lui qui t’a souhaité un bonheur éternel.
Sa mère t’a comblé de son amour maternel,
Et son père t’a fait jouir d’une bienveillance paternelle.
Scélérat!
Tu es ingrat.
Tu n’aurais pas dû éliminer Thomas.
Frapper Thomas aurait dû bouleverser tes entrailles.
On sait que t’es fier de ton sale travail.
Mais, tu files en zigzag comme un train sans rail.
T’as abusé de son altruisme, ses failles,
Pour le dérouter comme un navire sans gouvernail.
Blaise Compaoré,
N’es-tu pas timoré
En observant ruisseler le sang
De Thomas, ton frère innocent,
Dont tes flèches ont percé le flanc?
Pourquoi as-tu fait ça?
Comment as-tu pû faire ça?
Est-ce pour de l’argent?
Pour plaire à l’Occident?
Pour esquisser un sourire à Paris
Ou pour satisfaire les bourgeois d’ici?
Mais, tuer Thomas, c’est se faire maudit.
Des foudres célestes, en as-tu fait fi?
Aujourd’hui dans son sépulcre obscur, Thomas gît.
Dans la honte, par contre, patauge ton ignominieuse vie.
Tu as bu le calice jusqu’à la lie.
T’es le chef suprême du pays
Comme l’oiseau en est de son nid.
Alors, vieux, as-tu souvenance d’avoir partagé un lit
Avec celui dont tu as tranché la vie?
2.- Plaidoirie
Sous ton égide, le Burkina va de mal en pis.
Quand les marginalisés murmurent en dents de scie,
Tes sbires leur tombent dessus à bras raccourcis.
La répression sur le dos des malheureux s’appesantit.
En vérité, les coeurs sont contrits!
Malmenées, les herbes sont devenues toutes rabougries.
La terre s’est révoltée et demande un temps de répit.
Le millet se récolte pour de la bière,
Mais ne sert pas à réduire la misère.
Blaise, Thomas t’en avait mis en garde:
Le millet doit nourrir
Et non pas aiguiser l’ivrognerie qui retarde
La capacité de se procurer du vivre et du vêtir.
Serais-tu devenu un soûlard toi-même?
Quand tu lèves le coude,
Penses-tu à ton frère siamois?
Avec plaisir, tu sèmes
La terreur. Tu fais la sourde
Oreille quand, dans tes rêves, Thomas te demande: pourquoi?...
Souvent, tu es convoqué à Paris
Pour planifier des coups réussis.
Grâce au Quai d’Orsay,
Tu es un personnage malheureusement vénéré.
Avec couleurs et champagne,
De la réputation, tu gagnes.
Tu fais bombance et ripaille
En célébrant la mort de Thomas à Versailles.
Quand, avec Dame France, tu prends ton vin rouge,
Ne vois-tu pas dans ton verre le sang rouge
De Thomas aussi vif que la colère
De son père et de sa mère?
Eux qui t’ont traité avec sagesse!
Eux qui t’ont bercé avec tant de tendresse!
Mais, la mère de Thomas, c’est aussi ta mère.
Le père de Thomas, c’est aussi ton père.
Pourquoi leur causer tant d’alarmes?
Pourquoi te réjouir de leurs larmes?
Pourquoi intimer l’ordre à de sots gendarmes
De patiner dans le sang d’un frère d’armes?
Aujourd’hui, une vieille mère pleure:
Qu’elle s’appelle Burkina
Ou Haute Volta,
Elle ressent la même douleur
Peu importe sa rude ardeur.
Aujourd’hui, Ouagadougou
Offre l’image d’un trou
Béant où l’on jette des corps mutilés de coups,
Où survivre constitue un défi pareil à celui d’un zoo.
Quid de cette “Terre des Hommes Intègres”?
Se sont-ils envolés comme des aigles maigres?
Se sont-ils tous devenus des traîtres?
Diantre! Blaise, tu crèves les coeurs.
Tu piétines les bonnes moeurs.
Je vois ta conscience s’ériger en glaive,
Et prononcer un verdit à chaque soupir d’une veuve
Dont le mari fut limogé par ta cécité politique
Qui ronge le Burkina et même toute l’Afrique.
En Europe étant, tu as visité la Tour Eiffel.
Ebahi, tu as exclamé: “qu’elle est belle!”.
Quand l’Européen blanc arrive au Burkina,
Tu lui montres la tombe de Thomas
Comme un sacré butin de guerre
Qui vante les prouesses supposées de ton ère.
En public, ces blancs te trouvent épatant
Et s’estiment contents
De ton sale boulot.
Mais, à voix basse, ils chuchotent que t’es un salaud
De la plus belle eau.
Depuis ton accession au pouvoir
Se sont multipliés les lieux de supplice
Pour mâter filles et fils
Et tous les dissidents du terroir.
Blaise, serais-tu “ce criminal en puissance”
Faute de “formation politique”? (2)
Tu en as crée l’ambiance,
cher; es-tu enfin ce personnage machiavélique?
Viens, donc, Blaise.
Assieds-toi; sois à ton aise.
Ecoute, est-ce toi le monstre prédit par ton frère-prophète
Qui allait dévorer les Burkinabés pire que des bêtes?
3.- Délibération
Le jour où tu arrêtas ce corps en éveil,
Josué (2), pour sa part, “arrêta [de nouveau] le soleil”.
Il ordonna à un archange invincible
De punir la Terre pour ce coup terrible.
Dans la sphère céleste apparut un visage énervé
Qui demanda comptes et se décida à venger.
La vengeance de Thomas viendra du “ciel”.
Comme il t’en avait averti
Avant ton coup d’état irréfléchi:
“Je [te] verrai au ciel”.
Oui, là-haut dans le “ciel”,
Ce sera un perpétuel Noёl.
Tu y seras exposé au musée des horreurs,
Et Thomas y figurera au tableau d’honneur.
Là-haut dans le “ciel”,
Dis-je, chanteront une kyrielle
De chérubins et de séraphins
Dans un concert sans fin
Pour saluer la bonté de ton ex-ami intime,
Aujourd’hui ta plus grande victime.
Du haut du “ciel”, avec pitié,
Thomas t’observera gémir avec Méphistophélès;
Ta puissance sera neutralisée,
Car seront enchaînés les démons et leurs maîtresses.
A jamais, tu deviendras le captif
De ton captif.
Thomas s’en est allé au “ciel” en acceptant la mort.
Toi, tu as choisi la vie en adorant le Veau d’Or.
Là où il dort,
Deux anges s’y plantent des deux bords.
Son altruisme demeure son unique trésor,
Et son esprit de pardon, encore plus fort.
Car, un esprit saint vit dans son vieux corps.
Le “mens sana in corpore sano” (4)
S’est manifesté à travers le berger de Burkina Faso.
Thomas, tu es ce martyr qui a exposé
La loi du profit dans toute sa cruauté.
On rapporte que ta fosse est inconnue
Ou méconnue,
Mais ta lutte ardue par tous est bien connue.
Ton nom était trop pur
Pour l’Occident dont tu as vaincu l’armure.
Il a effacé de la Terre ta chair démembrée,
Mais n’arrive pas à enterrer tes nobles pensées.
Selon ta formule, marxisme et panafricanisme s’embrassent
Comme lianes et bois dans les forêts s’enlacent.
Tu resteras un enfant chéri, un vertical guerrier
Dont les blindés et la propagande ne sauraient faner les lauriers.
On se rappellera toujours les accords plaqués par ta guitare;
Les cyclistes garderont en mémoire tes courses achevées avec phare.
Va! Va-t’en Thomas!
Va pas à pas
Évoluer dans la dimension astrale.
Ta sincérité magistrale
Est incompatible à la corruption terrestre
Qui te claque au nez portes et fenêtres.
Pour cela, tu as dû t’en aller.
Cette Terre: trop insalubre pour héberger ta rare charité.
Mais… Patience! Patience!
La bonhomie de l’homme a boulversé les consciences.
Thomas renaîtra dans un temps record.
Sur lui n’auront de pouvoir ni les hommes ni le sort.
Bientôt, seront mis hors
D’état de nuire les tyrans au port
Altier comme le roi Nabuchodonosor.
Dejà, sa foi en la révolution sert de récomfort
Aux gens d’ici tout comme à ceux du dehors.
Déjà, une multitude de rameaux décorent
Son jardin de combat, et une pléthore
De rois-mages y viennent lui apporter leur support;
Ils professent un mépris à ceux qui lui ont causé du tort
Pendant son pèlerinage sous forme d’un périssable corps.
Sous peu, le peuple actualisera le 4 août.
Sa victoire rappellera aux mémoires courtes
Qu’il peut refaire en plein midi
Ce qu’il fit en “Une Seule Nuit”(5).
Bientôt, finira la néocolonisation.
Le Burkina entier chantera une même chanson
Comme si c’était hier en “Une Seule Nuit”_
Prélude au grand jour où le soleil luit.
4.-Verdict
La prochaine nuit s’annonce tumultueuse
Mais victorieuse.
Elle éclipsera la barbarie
Pour faire rayonner une démocratie
Répandue par le vent
De la révolution à travers les champs.
Une révolution qui placera le peuple au plus haut rang.
Jamais! Elle ne saurait s’étioler dans la nuit des temps.
…pourtant, Thomas Isodore Noёl Sankara n’est pas mort.
C’est toi Blaise Campaoré qui es bel et bien mort.
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1.- Blaise Campaoré: a fomenté un coup d’état sanglant contre Thomas Sankara le 15 octobre
1987. Depuis lors, il dirige le Burkina Faso avec la bénédiction des occidentaux.
2.-Citation de Sankara: “Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance”.
3.-Josué: Personnage biblique. La Bible dit que Josué “arrêta le soleil”, prolongea la journée à l’effet de livrer bataille et de vaincre les non croyants.
4.-“Mens sana in corpore sano”: adage latin signifiant “un corps saint dans un esprit saint”
5.- “ Une Seule Nuit”: titre de l’hymne national burkinabé écrit par Sankara lui-même.
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_Réginal Souffrant
25 septembre 2011