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Interview avec Sergei Kirichuk : "L'Ukraine est otage des nazis et de l'Otan" Entretien réalisé par Marco Santopadre Contropiano.org Traduction Segesta
6.11.2014 - Nous avons rencontré à Rome Sergei Kirichuk, militant de l'organisation marxiste ukrainienne Borotba ("Lutte") et nous lui avons adressé quelques questions sur la situation dans son pays et sur les scénarios futurs.
Borotba est une organisation marxiste qui s'est formée en 2011 à partir de la confluence de plusieurs groupes. Pour la plupart il s'agissait de jeunes militants critiques à l'égard de la ligne du Parti Communiste et de ses illusions parlementaristes mais aussi de militants d'autres organisations marxistes. Notre idée était celle de la mobilisation directe des travailleurs contre le capitalisme et l'oligarchie. Malheureusement le déclenchement de la guerre civile a démontré que notre organisation n'était pas encore prête à affronter une situation d'affrontement frontal et de clandestinité et donc nous sommes maintenant immergés dans un processus de reconstruction de notre organisation. Nous avons en cours un fort débat sur comment reconstruire notre structure et notre intervention et sur quelles tactiques adopter soit dans le Donbass soit dans l'ensemble de l'Ukraine.
Nous croyons que la seule voie de sortie pour l'Ukraine soit la solution fédérative avec la reconnaissance de l'autonomie pour toutes les cultures et les minorités, en plus de la dé-nazification du pays.
Que pense Borotba de ce qui est arrivé au cours des derniers mois, à partir du mouvement rebaptisé 'EuroMaidan'. Quel est votre avis ?
Depuis le début notre organisation a été contraire à Maidan parce que ce mouvement qui se présentait comme favorable à l'intégration de l'Ukraine dans l'Union Européenne nous savions qu'il aurait signifié la catastrophe pour le tissu productif et industriel du pays en plus que pour les conditions sociales de la population. Nous avions déjà des très bons - plutôt très mauvais - exemples provenant des autres pays de l'Europe Orientale qui avaient été intégrés à l'Ue, par exemple la Bulgarie ou les Républiques Baltiques, où des millions de personnes ont perdu leur travail et ont été obligées à émigrer vers l'Europe nord-occidentale à la recherche d'emplois mal payés. C'est vrai que l'Ukraine est un des pays les plus pauvres du continent mais dans la partie orientale du pays on produit encore des produits manufacturés à haute technologie comme des moteurs pour avions et hélicoptères, il y a l'industrie aéro-spatiale. Nous savions que cette production n'aura jamais accès au marché de l'Union Européenne et donc l'intégration signifierait la destruction de centaines de milliers d'emplois hautement qualifiés. C'est pour cela que des millions d'Ukrainiens sont fortement contraires à l'entrée de l'Ukraine dans l'Ue. Nous avons soutenu ces travailleurs - dans beaucoup de cas il s'agit de techniciens et d'ingénieurs - qui ont une position totalement contraire parce qu'ils défendent ces emplois qualifiés.
En outre dès le début il était clair que l'extrême droite avait un rôle fondamental et central dans l''EuroMaidan', bien qu'ils représentassent au début une minorité du point de vue du nombre elle est parvenue à hégémoniser la mobilisation. Nous ne partageons pas leur idée d'une Ukraine "seulement pour les Ukrainiens", d'un pays ethniquement pur et au contraire nous pensons qu'il faut respecter toutes les diversités religieuses, linguistiques et ethniques.
On a pu écrire que à Maidan il y avait aussi une présence de mouvements de gauche ou tout au moins progressistes, et en Italie et en Europe il y a des courants de gauche qui malgré tout persistent à affirmer que cette mobilisation a été néanmoins positive parce qu'elle mettait en discussion un gouvernement antipopulaire et le pouvoir exorbitant de l'oligarchie. Vous cependant vous ne partagez pas ce point de vue...
Il y a beaucoup de courants de gauche dans le monde qui ont le fétiche des 'masses qui descendent dans la rue'. Nous devons savoir que une masse de gens qui descend dans la rue peut être aussi réactionnaire ou de toute manière sous l'influence d'une direction politique réactionnaire. Par exemple il y a eu un petit groupe de gauche qui a participé dès le début à la mobilisation sur la place à Kiev avec des mots d'ordre très modérés, qui parlaient de la nécessité d'une Europe sociale - et non pas du socialisme - et qui cependant a été fortement attaqué et accusé par le reste de la place selon laquelle l'Europe sociale était l'antichambre des goulags staliniens !
En outre dès le début c'était clair que ce qui animait ceux qui descendaient dans la rue était surtout l'individualisme, l'arrivisme, et l'illusion que si l'Ukraine entrera dans l'Ue quiconque travaillera dur aura du succès et s'enrichira. Aucun sentiment de solidarité, de critque sociale était visible dans la mobilisation.
Quelle est actuellement la situation en Ukraine et dans le Donbass, et qu'est-ce que vous pensez du résultat des élections qui ont eu lieu d'abord dans les territoires contrôlés par le régime et ensuite dans les Républiques Populaires ?
Il y a deux tendances politiques principales dans le Donbass actuellement. L'une est strictement 'séparatiste' et affirme qu'il n'y a pas d'espace pour un retour sous l'autorité du régime de Kiev et donc pousse pour une séparation des Républiques Populaires afin qu'elles deviennent un état complètement indépendant. L'autre par contre considère la création des Républiques Populaires un premier pas pour établir aussi un dialogue avec ces secteurs de la population ukrainienne qui ont soutenu ou toléré EuroMaidan dans la mesure où ils le considéraient une opposition à l'oligarchie. Il y a une forte poussée à gauche avec une demande de la part de secteurs populaires consistants afin que soient mises en oeuvre les nationalisations des secteurs fondamentaux de l'économie et soient augmentées les mesures sociales, mais je dois dire que malheureusement aussi la pression de l'oligarchie russe est très forte dans le Donbass, parce que une possible révolution socialiste dans cette région pourrait constituer un 'mauvais exemple' pour les secteurs populaires en Russie. Dans le Donbass aujourd'hui le discours commun parmi les gens est d'entendre dire que les privatisations des années '90 des mines, des industries et du secteur énergétique ont été un vol de la propriété populaire. Ces poussées à la nationalisation des industries et au développement de formes de propriété collective dans le Donbass sont considérées comme un gros danger par la bourgeoisie de Kiev aussi bien que par celle de Moscou.
Pour ce qui concerne l'Ukraine des élections a émergé une claire virée à droite du parlement. Bien qu'il soit vrai que les forces ouvertement nazies comme Svoboda ou Praviy Sektor ne soient pas parvenues à entrer à la Rada il faut dire que tous les partis bourgeois 'respectables' ont subi une virée vers l'extrême droite, tout en se présentant avec des programmes extrémistes et en faisant élire les leaders des bataillons punitifs, les commandants militaires de bandes fascistes, les oligarques. Les élections ukrainiennes ont été un clair exemple d'hypocrisie de la part soit des gouvernements occidentaux soit de la classe politique libérale locale qui, par exemple, a soutenu ouvertement des candidats néonazis. A Kiev les cercles et les médias libéraux ont soutenu un candidat du Bloc Porochenko qui est un raciste déclaré, un fou qui parle de suprématie de la race blanche et de construire un futur fondé sur l'exclusion des citoyens de langue et culture russe et de toutes les minorités.
Nous ne voulons pas faire semblant qu'il n'y ait pas la présence dans le Donbass de tendances nationalistes russes mais il est impossible nier le protagonisme de mouvements et forces de gauche et d'un fort sentiment antifasciste. Un des principaux dirigeants militaires des milices les plus populaires des Républiques Populaires, Alexey Mozgovoy, a déclaré plusieurs fois que le nationalisme n'est pas une solution mais que la lutte du peuple du Donbass doit être seulement le début du coup d'épaule contre l'oligarchie dans tout le pays. Il y a beaucoup de communistes ou de socialistes qui combattent dans les milices du Donbass de la même manière qu'il y a beaucoup d'éléments conservateurs ou nationalistes et parmi les différents courants il y a un respect mutuel et une cohabitation au nom de la lutte commune. Le grand danger est que ce conflit débouche vers un scénario à la yougoslave, avec l'explosion de la haine réciproque dans la population sur la base de l'appartenance ethnique, linguistique, religieuse. Donc nous essayons de soutenir toutes les tendances de la gauche dans le Donbass où de toute manière existe une forte tradition et mobilisation ouvrière. Après le putsch de février dans l'est du pays s'est développé une forte mobilisation de la population qui demandait pacifiquement que le nouveau régime concède l'autonomie culturelle et fiscale aux régions habitées par les minorités et en particulier par celle russophone. Mais au lieu de satisfaire cette demande de fédéralisation de l'Ukraine le gouvernement maidaniste a imposé une vraie et propre féodalisation, en nommant gouverneurs des provinces les oligarques les plus riches du pays qui ont immédiatement crée des milices privées farcies d'éléments d'extrême droite. Les milices privées ont immédiatement imposé un climat de terreur inaugurant une vraie et propre chasse au communistes, aux dissidents avec des sièges politiques et syndicaux assiégés et détruits, des agressions, des homicides et des séquestrations. Ce qui est arrivé avec le massacre d'Odessa - des dizaines de personnes massacrées, brûlées vives et assassinées de sang froid à l'intérieur de la Maison des Syndicats par les extrémistes de droite - est éclatant.
De quelle manière la Russie est en train de soutenir le mouvement du Donbass et dans quelle mesure est-elle en train plutôt de le freiner en essayant de le reconduire à l'intérieur de sa nécessité de parvenir à un compromis avec l'Union Européenne, nécessaire après l'isolement international politique et militaire de Moscou et les sanctions économiques ?
Malheureusement la situation en Ukraine dépend beaucoup de ce conflit entre la Russie et les pays occidentaux, en particulier les Etats Unis. En ce sens l'oligarchie russe tout en supportant les Républiques Populaires tente de les utiliser comme 'monnaie d'échange' pour faire monter la mise d'un éventuel accord en particulier avec l'Union Européenne.
Quel jugement donnez-vous à l'intervention et au rôle des pays occidentaux sur ce qui arrivé en Ukraine à partir du début de EuroMaidan, pensez-vous qu'il y ait eu une différence d'action entre les Etats Unis et l'Union Européenne ?
Tout d'abord un des motifs déclenchants de la crise a été le refus de la part du gouvernement Yanoukovitch de signer le traité d'association avec l'Union Européenne qui est intéressée à conquérir un marché important surtout dans des conditions de crise économique. Naturellement l'Union Européenne n'est pas intéressée à développer une guerre d'importantes dimensions juste à ses frontières et tend plus à un pacte, à un accord avec les contreparties bien que à l'intérieur de ses propres conditions et dans le respect tendanciel de ses intérêts propres. Au contraire les Etats Unis poussent à l'affrontement frontal. Par exemple lorsque en février le président Yanoukovitch, sous la pression de la rue et de l'Union Européenne, avait pratiquement signé sa sortie de la scène et la mobilisation pour de nouvelles élections, après quelques heures quelques tireurs d'élite dont l'identité est inconnue ont tiré sur la foule et ses policiers dans le centre de Kiev en tuant 70 personnes et poussant ainsi l'affrontement vers le coup d'état. Il est évident que l'ordre de tirer ne pouvait pas venir du gouvernement Yanoukovitch qui était désormais hors jeu… Lorsque après le coup d'état la situation économique a précipité le Fond Monétaire International s'est offert de soutenir économiquement l'Ukraine, mais en échange non seulement de lourds plans d'austérité et de privatisations, mais aussi à condition que le nouveau régime reprenne tout de suite le contrôle de tout le pays. De fait le FMI a contribué au début de la guerre civile, en poussant le régime de Kiev à déchaîner la guerre contre les populations insurgées du Donbass. Nous ne pouvons pas oublier la visite du chef de la Cia à Kiev, gardée secrète mais admise par la suite lorsque la nouvelle a été rapportée par certains médias, vu que le jour après le gouvernement de Kiev a donné le feu vert à la soi-disant "opération anti-terrorisme" contre les rebelles des régions sud-orientales de l'Ukraine. Les Etats Unis n'ont rien fait pour cacher leur intervention en Ukraine. Rappelons la fameuse conversation entre Victoria Nuland et l'ambassadeur états-unien à Kiev et la visite de Joe Biden qui lorsqu'il est arrivé en Ukraine n'a même pas fait semblant de commencer un dialogue paritaire avec les représentants du nouveau régime mais s'est limité à donner des ordres assis à la présidence dans le siège du gouvernement. Après cette rencontre quelques dirigeants politiques ukrainiens se sont plaints que le vice-président états-unien avait été très sévère à leur égard… Peu de temps après un des fils de Biden est devenu président d'une des majeures compagnies pour l'extraction du gaz dans le pays.
La dernière question sur le rôle des nazis en Ukraine. C'est la première fois au cours de plusieurs décennies que l'extrême droite ouvertement néonazie accède à d'importantes charges de gouvernement dans un pays européen. Comment évaluez-vous prospectivement ce fait ? En outre, comment évaluez-vous la contradiction d'une extrême droite qui se déclare théoriquement contre l'Union Européenne ou les Etats Unis mais par la suite se met aux service des intérêts stratégiques de ces deux pôles impérialistes ?
S'il est vrai que dans le reste de l'Europe généralement l'extrême droite se déclare contre l'Union Européenne chez nous ce n'est pas ainsi, au contraire. Les organisations ultra-nationalistes et fascistes ukrainiennes sont généralement philo-européennes depuis longtemps et en ce moment le gouvernement ukrainien revendique ouvertement l'implication directe de l'Ue et de l'Otan dans le conflit. Ceci représente un danger énorme qui pourrait mener à un conflit de dimensions globales, par conséquent nous croyons que en Italie et dans le reste de l'Europe l'objectif central des mobilisations des forces communistes et de gauche doive être justement d'empêcher cette implication. Naturellement le président Porochenko et son administration n'ont aucun intérêt à concéder un pouvoir excessif à l'extrême droite ouvertement néonazie, au contraire ils voudraient que les fascistes, après avoir fait le travail sale à Maidan avec la force de choc contre le gouvernement Yanoukovitch et puis dans le Donbass pour réprimer la rébellion maintenant fichent le camp. Une sorte d'au-revoir et merci. Mais les fascistes ne sont pas stupides, maintenant ils sont bien organisés et enracinés, ont des armes et de l'argent, des infrastructures militaires et de l'entraînement, en plus d'une représentation parlementaire nourrie. Et donc il n'est pas facile du tout de se libérer d'eux. Au contraire ce sont justement ces forces d'extrême droite qui cherchent à conditionner le gouvernement comme lorsque dans certaines occasions des bataillon néonazis ont abandonné le front, son revenus à Kiev en assiégeant le parlement et menaçant Porochenko que s'il parviendra à un compromis avec les Républiques Populaires ou la Russie ils le renverseront lui aussi par la force.
Entretien réalisé par Marco Santopadre
Contropiano.org
voir aussi une interview de Sergei Kirichuk et une autre de Alexei Abu de la fin mai :
Ukraine : « Des répressions ouvertes ont commencé contre les forces de gauche »
23 MAI 2014
Déclaration de A. Albu, dirigeant de Borotba à Odessa (Ukraine)
21 MAI 2014