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Liberté d’Expression : Ripa bien qui rira le dernier (Bakchich)

par Woodward Et Newton 23 Janvier 2015, 09:11 Charlie Hebdo Censure Liberté d'expression Gouvernement français Ripa

Liberté d’Expression : Ripa bien qui rira le dernier
ParWoodward Et Newton 
Bakchich.info

Les actes terroristes boostent la popularité des dirigeants des pays dits démocratiques qui les subissent, qu’ils parviennent à les déjouer ou pas, et éviscèrent les libertés fondamentales : c’est la double peine, voire la triple avec l’autocensure, pour les peuples condamnés à soutenir à perpétuité les mesures liberticides supposées garantir leur « sécurité nationale »…

Le Premier Ministre britannique David Cameron a été le premier chef de gouvernement étranger à réagir aux attentats de Paris. Dès le 7 janvier en début d’après-midi, depuis la Chambre des Communes, il nous a assuré du soutien sans faille de la Grande Bretagne dans ces douloureuses circonstances. (…je suis sûr que tous les députés ici se joignent à moi pour condamner l’attaque barbare d’un organe de presse à Paris…Je sais que cette Chambre et tout le pays soutiennent le peuple français dans sa lutte contre toute forme de terrorisme. Nous sommes pour la liberté de parole et la démocratie. Ces gens ne nous priveront pas de ces valeurs…)

Un brin too much à la lumière de la manière servile et zélée dont le pays a emboîté le pas aux mensonges de l’exécutif américain sur les prétendues armes de destruction massives irakiennes, et à l’expédition militaire puis à l’occupation du pays qui s’en sont suivis. Le tout au terme d’une campagne de propagande et de désinformation sans précédent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale

Mais c’est surtout en regard de la part de plus en plus active prise par les services de renseignement britanniques à l’espionnage de masse pratiqué par la terrifiante association des Cinq Yeux (USA, Canada, Royaume-Unis, Australie et Nouvelle Zélande) unis comme les 5 doigts de la main dans une guerre mondiale contre le terrorisme, que la déclaration de Cameron est franchement borderline

Il aura fallu attendre 2013 et les confessions d’Edward Snowden pour que les britanniques, et dans une bien moindre mesure les européens continentaux vaguement désabusés voire résignés, prennent conscience de l’ampleur de la tentation totalitaro-sécuritaire des dirigeants britanniques depuis 2000 – avant les attentats du 11 septembre donc – avec le vote de la loi RIPA (Regulation of Investigatory Powers Act).

Les documents rendus publics en 2013 par une poignée de médias approvisionnés par Snowden, ont en effet mis en évidence que l’espionnage délibéré de leurs citoyens opéré par les Cinq Yeux et le partage des informations ainsi collectées, avaient notamment pour but de contourner les mesures de sauvegarde démocratique représentées par les lois garantissant les droits fondamentaux des personnes.

Chez nos amis britanniques, la sœur jumelle de la NSA yankee, à laquelle cette dernière verse d’ailleurs une petite centaine de millions de £ par an pour la motiver d’avantage à faire son travail (cf. Le Guardian du 1er août 2013 et le Independant du 2 août 2013) se nomme GCHQ (Government Communications Headquarters) ; son domaine : l’espionnage de masse des communications téléphoniques et de l’Internet britanniques. Les outils qu’ils partagent dans ce but ont pour noms PRISM, TEMPORA et MUSCULAR…

Première loi véritablement liberticide que s’est donné le Royaume Unis, la loi RIPA évoquée plus haut est supposée limiter et encadrer les pouvoirs des établissements publics britanniques engagés dans la surveillance électronique et les écoutes téléphoniques.

Pour autant son spectre est particulièrement large comme on dirait dans l’industrie du médicament. Elle peut aujourd’hui être mise pratiquement à toutes les sauces même si c’est la presse qui constitue son péché mignon.

On l’invoquera d’abord évidemment pour des raisons de « sécurité nationale », mais aussi de plus en plus contre la criminalité organisée ou pour anticiper et désamorcer une éventuelle explosion sociale et assurer l’ordre public, voire, de plus en plus fréquemment dans des opérations de contre-espionnage économique.

Est-il donc si excessif d’évoquer une tentation « totalitaro-sécuritaire » s’agissant de la politique suivie depuis 15 ans par l’exécutif britannique notamment au moyen de la loi RIPA?

Pas si l’on considère que le champs d’application de la loi RIPA a été considérablement étendu en 2003 par le ministre de l’Intérieur David Blankett en pleine campagne d’invasion de l’Irak. Une aventure sanguinaire à laquelle la Cour Pénale Internationale tarde d’ailleurs à trouver une qualification appropriée.

Pas non plus si l’on garde à l’esprit qu’alors que seules 9 institutions publiques dont bien sûr la police et les services de renseignement pouvaient s’en prévaloir lors de son entrée en vigueur, ce sont aujourd’hui plus d’un millier d’établissements publics de toutes sortes dont le Chief Inspector of Schools ( !) qui peuvent l’employer pour collecter des informations.

Encore moins si l’on découvre qu’elle autorise le gouvernement de sa Très Gracieuse Majesté à exiger de tout fournisseur d’accès Internet, qu’il lui donne secrètement et sans solliciter d’autorisation judiciaire préalable, accès aux communication de toute personne dont les communications transitent par le territoire britannique.

Certainement pas si l’on retient que ce même gouvernement peut contraindre les fournisseurs d’accès Internet à disposer d’équipements de communication compatibles avec les surveillances électroniques menées par le GCHQ ( !).

Et plus du tout si l’on garde à l’esprit que la loi en question permet de contraindre les parties concernées, à communiquer les clés de chiffrage des informations produites par les britanniques résistants à l’hystérie sécuritaire en ayant décidé de chiffrer leurs communications Internet.

Absolument pas enfin, lorsque l’on sait que la loi en question permet d’interdire que les informations recueillies secrètement, notamment par le GCHQ, soient utilisées en justice comme moyen de preuve (gag orders) y compris par les citoyens de la Couronne Britannique n’ayant rien à se reprocher.

Quand la loi RIPA ripa vers la presse…

Polyvalentes, les dispositions de la loi british de Régulation des Pouvoirs d’Investigation (RIPA) ont progressivement fait de la presse britannique leur cible favorite, exerçant de fait, une pression de plus en plus importante sur la liberté d’expression Outre-Manche.

Ce 19 janvier 2015, à partir de documents révélés par Snowden, le Guardian a publié un article rapportant qu’en l’espace de 10 minutes, à une date inconnue avec précision du mois de novembre 2008, le GCHQ a collecté plus de 70 000 mails de la BBC, Reuters, le Guardian, le New York Times, Le Monde, le Sun, NBC et le Washington Post. Juste pour un exercice…

Liberté d’Expression : Ripa bien qui rira le dernier (Bakchich)

Pire, un document provenant de la même source et destiné aux professionnels du renseignement militaire, attirait leur attention sur le fait que « journalistes et reporters de tous types de médias présentent un risque significatif en termes de sécurité » avant de préciser la pensée de son auteur : «l’inquiétude porte plus spécifiquement sur les journalistes d’investigation spécialistes des questions de défense, qui écrivent soit pour des motifs purement matériels, soit parce qu’ils estiment que leurs articles présentent un intérêt public… ».

De manière quasi hallucinante, les estimations des risques sur l’information effectuées par le GCHQ conduisent même le service, selon les documents fournies par Snowden, à classer les journalistes, en deuxième place derrière les terroristes et avant les hackers dans leur échelle des risques qu’ils représentent.

L’heure de la révolte ?

Les nouvelles dispositions relatives à la mise en œuvre de la loi RIPA sont connues depuis le 9 décembre 2014. Sans surprise, elles continuent d’autoriser la police et les services de renseignement à consulter les données relatives aux communications des journalistes britanniques sans autorisation judiciaire préalable dans le but d’identifier leurs sources.

Mieux, elles précisent («Communications data is not subject to any form of professional privilege. The fact that a communication took place does not disclose what was discussed, considered or advised…”) que les journalistes ne peuvent se prévaloir d’aucun secret professionnel. C’est tout juste si le gouvernement leur a laissé jusqu’au 20 janvier 2015 pour faire connaître leur réaction sur ces nouvelles dispositions dont le but à peine dissimulé est de réduire au silence les lanceurs d’alerte et les journalistes qui reproduisent leurs confidences dès lors qu’elles présentent un intérêt public.

En réponse, fait sans précédent, plus de 100 rédacteurs en chef auxquels se sont joints 1649 journalistes couvrant la totalité de la presse d’Outre Manche ont signé et adressé une lettre ouverte de protestation à David Cameron, le défenseur de la première heure de la liberté d’expression de Charlie Hebdo et le fossoyeur sournois de cette même liberté dans son propre pays. Elle débute ainsi :

« les soussignés croient que les nouvelles modalités de mise en œuvre de la loi RIPA sur l’acquisition et la divulgation de données de communication telles qu’elles sont rédigées, garantissent aux sources des journalistes, une protection inadéquate.

La révélation que la Police métropolitaine et d’autres forces publiques ont utilisé la loi RIPA pour consulter les données téléphoniques du Sun, de son Rédacteur en Chef de la rubrique Politique et d’autres journalistes, afin d’identifier et de sanctionner des sources policières parfaitement légales, a sonné l’alarme au sein de toute la presse.

Les nouvelles dispositions n’apportent pas grand chose pour empêcher la répétition de tels abus de la loi RIPA.

La loi devait permettre de combattre de véritables crimes tel le terrorisme mais il apparaît clairement qu’elle est exploitée par la Police à d’autres fins et pour des délits mineurs… »

Bref, les journalistes se rebiffent enfin au constat affligeant selon lequel, le terrorisme parvient au fil du temps à réduire les libertés fondamentales des états qu’il menace à commencer par la liberté d’expression et ce, y compris dans les pays disposant de fondements démocratiques et juridiques millénaires…

D’autant qu’en cascade, les dérives du pouvoir font tâche d’huile.

A La suite d’une requête de la Press Gazette dans le cadre des dispositions légales sur la liberté d’information, on vient de découvrir que la très vertueuse BBC, le phare présumé de l’objectivité, de l’éthique et de la rigueur journalistique dans ce bas-monde de menteurs impénitents, s’y était mise aussi. L’honorable institution vient d’admettre qu’elle s’est joyeusement livrée à l’espionnage de son propre personnel en prenant connaissance du contenu des boites mails de 148 collaborateurs au cours des deux dernières années.

Un aveu qui a provoqué une vive riposte de la part de Michelle Stanistreet, Secrétaire générale du Syndicat national des Journalistes (NUJ) : « La BBC avait nié jusqu’ à présent avoir espionné les boites mails de son personnel dans d’autres circonstances qu’à l’occasion d’enquêtes criminelles ou disciplinaires. Mais les chiffres révélés font planer un doute sérieux sur cette explication et le NUJ et son réseau de correspondants sont déterminés à tirer définitivement les choses au clair… ».

Vous avez dit liberté d’expression ?

Mais le mal est fait. Conjugué à l’autocensure qui se diffuse furtivement dans le pays, il est dévastateur pour la liberté d’expression, et chaque nouvel acte terroriste contribue à l’accentuer.

A un point qui dépasse le ridicule comme le démontre le dernier recul du droit de s’exprimer dans le pays qui, excusez du peu, vota en 1679 l’institution si purement anglo-saxonne de l’Habeas Corpus en réaction – déjà – contre le penchant naturel du souverain de l’époque pour l’absolutisme.

Un dispositif singulièrement intelligent visant à garantir la liberté individuelle de tout citoyen de la Couronne en le protégeant contre les arrestations et les détentions arbitraires. Une véritable révolution juridique qui puisait ses racines dans la Grande Charte de 1215 consentie par Jean Sans Terre à la bourgeoisie anglaise. Et qui érigea le droit coutumier (Common Law) en source d’inspiration constitutionnelle sur les droits fondamentaux de la personne…Un chef d’œuvre de bon sens réduit en cendres à Washington le 26 octobre 2001 par un Congrès US tétanisé par la menace terroriste jusqu’à voter le Patriot Act et son arsenal de mesures liberticides individuelles…

Et qui a conduit, au terme d’un longue descente aux enfers de la liberté d’expression Outre Manche comme ailleurs, à pousser à l’absurde, le premier éditeur scolaire et universitaire au monde, la prestigieuse Oxford University Press (OUP).

Le 14 janvier, lors d’un débat organisé par la radio BBC4 sur la liberté d’expression et l’attentat contre Charlie Hebdo, le présentateur Jim Naughtie a en effet créé la consternation dans l’assistance en révélant l’impensable : que OUP avait suggéré à ses auteurs de ne plus employer les mots « saucisse » et « porc » « ou ce qui pourrait être perçu comme porc » dans les ouvrages destinés à la jeunesse.

Une information indirectement confirmée par un porte-parole de l’éditeur, à peine gêné, qui a indiqué que « nos productions sont vendues dans près de 200 pays et de ce fait, et sans compromettre notre engagement de quelque manière que ce soit, nous encourageons certains auteurs de livres éducatifs à se montrer respectueux des différences culturelles et des sensibilités. Ces suggestions concernant nos produits éducatifs diffèrent selon des critères géographiques et ne couvrent pas les ouvrages académiques ».

Des suggestions qualifiées de « ridicule » par le député – musulman d’origine pakistanaise – de la circonscription de Birmingham du parti Travailliste, Khalid Mahmood, et qui aurait sans doute fait mourir de rire Charbonnier et ses potes…

A-t-on seulement encore le droit de s’en réjouir ?

(à suivre)

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