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DENIS ROBERT : « EN DEUX HEURES, JE ME SUIS PRIS 15 ANS DE MA VIE EN ACCELERE. » (Bakchich)

par Marc Godin 8 Février 2015, 21:47 Denis Robert Lanceur d'alerte Cleamstream Banque Paradis fiscaux "L'Enquête"

DENIS ROBERT : « EN DEUX HEURES, JE ME SUIS PRIS 15 ANS DE MA VIE EN ACCELERE. »
Par Marc Godin
Bakchich

Alors que l’excellent thriller L’Enquête, mis en scène par Vincent Garenq, sort en salles le 11 février, Denis Robert nous a accordé – en exclusivité - une longue interview.

Pour les retardataires ou les amnésiques, Denis Robert est un lanceur d’alertes, bien avant Edward Snowden ou Julian Assange, un journaliste d’investigation qui a enquêté sur Clearstream, chambre de compensation internationale située au Luxembourg, avant de se retrouver au cœur d’affaires judiciaires et médiatiques, crucifié pendant une quinzaine d’années par les huissiers, les calomnies, une partie de la presse, les procès à répétition...

Au fil d’une longue interview, nous avons donc évoqué le film, l’affaire Clearstream, 1 et 2, mais aussi et surtout tout un pan de l’histoire que j’avais évacué : comment Denis Robert s’est retrouvé seul devant l’ogre Clearstream, abandonné par une grande partie de la presse et parfois même traîné dans la boue par certains de ses gentils confrères. On y va…

Parlons cinéma.

Denis Robert : Je préfère… Vincent Garenq m’a d’abord envoyé un mail que je n’ai jamais reçu car j’avais changé d’adresse. Il m’a relancé, il était persuadé que j’en avais marre de cette histoire. L’histoire aurait pu s’arrêter là… Puis un jour, comme on lance une bouteille à la mer, il a contacté un de mes amis. C’était avant ma victoire en cassation en 2011. J’ai enfin reçu son message. Le lendemain, nous avons déjeuné à Metz. Je l’ai trouvé très motivé et très clair dans son approche du dossier. Lui, contrairement à tous les autres, ne commençait pas par dire que c’était compliqué. Il connaissait parfaitement mon histoire et posait des questions pertinentes. On s’est tout de suite bien entendu.

Vous aviez d’autres propositions ?

DR. Oui, plusieurs producteurs, surtout après la victoire en cassation, m’avaient contacté. Des réalisateurs aussi. Mais le cinéma, c’est un peu comme le cristal, il faut que de nombreux éléments s’agglomèrent pour que ça prenne. Le désir ne suffit pas.

Des noms ?

D. R. : Je ne sais pas… Philipe Harel. Bertrand Tavernier, Alain Chabat ou Fidélité Production. Alain Corneau avant sa mort. J’aurais beaucoup aimé collaborer avec lui aussi. J’avais commencé à travailler sur un projet de série avec un producteur très sympa, François Desagnat, et sa boîte Bikini. Je pense toujours et encore plus aujourd’hui que la matière abondante de mon enquête est très adaptée à une série TV. Nous travaillions déjà ensemble avec François quand Vincent est arrivé. Je voulais monter les deux projets de front, mais le producteur Christophe Rossignon a préféré un film unique. Il y a eu de petites galères et j’ai fait le choix du long-métrage. J’ai choisi Vincent et Christophe, car il y avait une cohérence. Une évidence. Ce n’était pas une histoire d’argent.

Vous aviez vu le précédent film de Vincent Garenq, l’excellent Présumé coupable, basé sur l’affaire Outreau ?

D. R. : Non, comme un gros con, j’avais été refroidi par le sujet du film, Outreau. Et aller au cinéma pour voir un huissier de justice s’enfoncer dans la nuit judiciaire, ce n’était pas très fun… Pourtant, c’est un film formidable, admirablement pensé, filmé, avec une force incroyable. Dans le film, Philippe Torreton, c’est De Niro ! Et Garenq montre qu’il est un incroyable metteur en scène ! Un mec très doué, très modeste. J’ai vraiment eu envie de collaborer avec lui.

Avant de voir L’Enquête, je pensais impossible de résumer dix ans de l’histoire de Clearstream en 1h 46. Et surtout de rendre cette histoire compréhensible.

D. R. : Idem pour moi. Au départ, Vincent était intéressé par mon enquête financière, Clearstream 1. Il se fichait de Villepin-Sarkozy, de la deuxième affaire. Le film aurait pu se terminer avec l’arrivée d’Imad Lahoud. Je pensais qu’il faudrait faire plus tard un second film, plus thriller, un peu comme le diptyque Mesrine.

Ça a été long ?

D. R. : Nous avons travaillé trois ans ; j’étais consultant. Une année de préparation entre Vincent et moi. Je lui ai montré les lieux, lui ai présenté des témoins, mes proches. Il a lu tous les livres, les BD, qui sont très importantes… Il s’est cogné les rushes de mes deux documentaires. Il a écrit neuf ou dix versions du scénario et comme il ne s’en sortait plus, il a collaboré avec le scénariste Stéphane Cabel. Ils ont réintroduit l’histoire des frégates, Lahoud et ont effectué ce curieux mélange. Je n’y croyais pas car ça allait très vite. Et quand j’ai vu le film terminé, j’ai compris qu’ils avaient raison. Il y a eu un gros travail de montage…

DENIS ROBERT : « EN DEUX HEURES, JE ME SUIS PRIS 15 ANS DE MA VIE EN ACCELERE. » (Bakchich)

ous êtes simplement consultant. Vous n’avez pas eu envie d’être coscénariste du film ?

D. R. : J’ai débuté l’enquête Clearstream en 1999, ça faisait 12 ou 13 ans que je bouffais du Clearstream, je n’en pouvais simplement plus. J’étais très bien à cette place de consultant. J’ai participé à tout, j’ai relu, travaillé en intelligence avec Vincent Garenq et Christophe. Ils ne m’ont jamais trahi. Vincent est hyper scrupuleux de la parole des gens dont il utilise la vie pour faire du cinéma. Il fouille nos mémoires avec beaucoup d’humanité et de respect. C’est très réconfortant de travailler avec lui.

Vous êtes passé sur le tournage ?

D. R. : Une fois au Luxembourg. Le hasard a fait que c’était le jour du tournage de scènes d’engueulade entre Gilles Lellouche - moi donc - et Florence Loiret-Caille, ma femme. C’était spécial.

C’est étrange de se voir incarné par un acteur, de voir sa vie s’afficher sur un écran ?

D. R. : En deux heures, je me suis pris 15 ans de ma vie en accéléré. Effet boomerang garanti. J’avais beau connaître le scénario, j’ai accusé le coup.

Le personnage est conforme à ce que vous êtes ?

D. R. : Les gens qui me connaissent savent que j’ai toujours eu beaucoup de recul, même si cela a été parfois extrêmement difficile d’en avoir. C’était une partie de go. Ne pouvant répondre au message, ils cherchaient en permanence à tuer le messager. Je ne suis pas le personnage décrit par les médias, l’enquêteur fou d’affaires, le Don Quichotte de l’investigation. Il y a une méprise me concernant que j’ai laissé se développer. C’est comme les photos qui circulaient de moi. Je ne faisais pas attention. Je pensais que ce n’était pas très grave. Les journalistes ont besoin de moule, de cliché. La moindre ambiguïté est problématique. Moi, c’était « journaliste d’investigation », « obsessionnel », cherchant à « régler des comptes avec le grand capital »…

Alors que ?

D. R. : Alors que j’existais mieux et différemment avant Clearstream. Par mes romans surtout. Je suis un lecteur de Richard Brautigan, j’aime la littérature, mes amis sont des journalistes, mais assez peu. Mes copains sont des peintres ou des ouvriers, des jardiniers, des dessinateurs. Le fait de ne pas habiter Paris est un avantage – le recul, la qualité de vie - mais aussi un handicap, je n’avais pas de réseau pour lutter contre eux. En même temps, j’étais assez insaisissable pour eux qui pratiquaient surtout les journalistes financiers. Je n’étais pas dans leurs codes.… Je ne fonctionnais pas comme eux. Je ne suis pas non plus à fond dans le journalisme comme le sont les professionnels de l’investigation qui ont attaqué ensuite mon travail. Ceci dit, l’enquête Clearstream, je l’ai menée à fond. J’étais sans limite. Mon cerveau turbinait en permanence pour me sortir des pièges que l’on me tendait. Avant la sortie de Révélation$ en mars 2001, j’avais travaillé deux ans, rencontré une soixantaine de témoins. Avec mes amis Pascal Lorent et François Festor, on en avait filmé beaucoup. Une vingtaine. Et j’avais amassé des tonnes de documents. Jamais à ma connaissance en France, une enquête n’a accumulé autant de preuves. C’est pour ça que je gagnais mes procès au départ.

A suivre…

DENIS ROBERT, REPERES

1958 : naissance à Moyeure (Moselle).

1979 : étudiant en psycho, éducateur spécialisé, DEA de psycholinguistique.

1982-1995 : Denis Robert écrit à Libération

1996 : Publication du livre Pendant les « affaires », les affaires continuent. La même année, il réunit des magistrats anti-corruption pour lancer « l’appel de Genève » pour la création d’un espace judiciaire européen, dans le but de lutter contre le crime financier.

1999-2002 : Denis Robert enquête sur Clearstream.

2001 : publication de Révélation$.

2004 : Clearstream se retrouve au centre d’une manipulation d’Etat qui met aux prises Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin dans la course à la Présidentielle

2010 : poursuivi pour « recel de vol de secret bancaires » par la justice française dans le procès opposant Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, Denis Robert est relaxé en janvier 2010.

2011 : la Cour de Cassation reconnaît son enquête sérieuse et servant l’intérêt général et condamne Clearstream à le dédommager.

2014 : sortie de son dernier roman, Vue imprenable sur la folie du monde » (Les Arènes)

2015 : sortie du film L’Enquête, de Vincent Garenq.

Réédition de sa magnifique BD, L’Affaire des affaires, (Dargaud).

Exposition à la galerie W, dans le 18e, jusqu’en mars.

A LIRE :

Le blog de Denis Robert (mars 2006-octobre 2008) un million de visiteurs pendant ses années de combat)

DENIS ROBERT SUR BAKCHICH :

JET DE L’ÉPONGE AU SEIZIÈME ROUND, PAR DENIS ROBERT

DENIS ROBERT : « MONSIEUR L'HUISSIER, VOTRE LETTRE M'ÉNERVE »

QUAND VAL POIGNARDE DENIS ROBERT ET SINÉ DANS LE DOS

BD EN MAIN, DENIS ROBERT LÉGITIME L'APPEL CONTRE VILLEPIN

Une interview dans Télérama (avec en cadeau bonus, un petit film très drôle de 2009 où Philippe Val déverse son venin sur Denis Robert).

Un article de Technikart

Denis Robert contre Clearstream (1) : « Ce ne sera jamais fini »

Denis Robert contre Clearstream (2) : Les trous de mémoire d’Edwy Plenel (mémento)

Denis Robert jette l’éponge

La condamnation de Denis Robert annulée en cassation

« Dix ans et toutes mes dents », par Denis Robert

Denis Robert chez Thierry Ardisson, à l’occasion de la publication de La Boîte noire, donc 2002.

Tribune de Denis Robert en 2014, reprise sur Les Inrocks.

Galerie W : pour voir les peintures de Denis Robert

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