Denis Robert, la BD Par Marc Godin Bakchich
Alors que L’Enquête, excellent thriller avec Gilles Lellouche, est toujours en salles, Dargaud réédite la sublime BD de Denis Robert. Plus de 700 pages pour raconter dix ans de lutte, de doutes, dans une réalité qui dépasse la fiction.
C’est le mois Denis Robert. Avec la sortie de l’excellent thriller, L’Enquête de Vincent Garenq, le journaliste blacklisté fait la une des journaux comme dans le supplément du Monde (très drôle, quand on connaît l’acharnement du Monde contre lui), prend la pose et se promène sur les plateaux TV (il fallait le voir lors du Grand Journal de Canal, passer APRES un sujet sur les lanceurs d’alertes, alors que c’est lui, le lanceur d’alerte français ! Canal tente de transformer Robert en héros de cinéma, bravo à la société du spectacle). En plus de son actu ciné, Denis Robert expose ses sublimes toiles à la Galerie W, dans le 18e, des toiles colorées, éclatantes, où - entre street art et art contemporain - il griffe ses slogans (« La finance avance masquée », « Le pouvoir est au bout du stylo », « Je ne dirais plus de mal de Clearstream ») sur des listings de la chambre de compensation luxembourgeoise.
Mais l’œuvre la plus radicale, la plus étonnante et la plus forte de Denis Robert, c’est peut-être sa bande dessinée. Bizarrement, je n’avais jamais entendu parler de cette BD, parue il y a déjà quelques années déjà en quatre volumes. La presse était sûrement plus timide à propos de Robert à cette époque… Dans cette très belle réédition de 700 pages, Denis Robert raconte son enquête de dix années sur Clearstream. Il raconte tout : l’enquête bien sûr, qui s’apparente à un thriller enlevé, les 50 trillions d’euros qui passent chaque année par la chambre de compensation. Il y a aussi le duel Villepin/Sarko, Lahoud en embuscade, l’affaire des frégates… Plus fort, Denis Robert touche à l’intime, comme dans les meilleurs graphic novels, en racontant ses doutes, les huissiers, la vérité qui se dérobe, son désespoir ou le cancer de sa femme.
Bref, c’est incroyablement découpé et écrit, un chef-d’œuvre de la BD. Tout simplement.
« J’espère que cette nouvelle édition va enfin trouver son public… »
Quand j’ai rencontré Denis Robert pour le film L’Enquête, je n’ai pu m’empêcher de lui poser quelques questions sur sa BD. Voici aujourd’hui ses réponses :
« J’ai commencé cette bande dessinée avant mon procès et j’ai bossé dessus entre janvier 2008 et 2011. J’avais déjà écrit un scénario de BD avec Thomas Clément, Henriette. J’avais adoré l’expérience, pas très différente de l’écriture d’un scénario de film. J’avais les huissiers au cul, j’étais au fond du trou. Je faisais un documentaire et j’avais une idée de BD comme Maus d’Art Spiegelmann. Je voulais prendre un bestiaire comme dans Maus, avec des requins qui seraient les banquiers, des cochons… Et moi, un petit canard. Je racontais l’histoire à Yan Lindingre, et il dessinait des cochons. Il a fait 100 pages. Nous avons rencontré des éditeurs et Dargaud a dit oui. J’ai commencé à scénariser et trouvé Laurent Astier, le dessinateur. Et nous avons fait cette BD, publiée en quatre tomes. Dargaud le réédite aujourd’hui dans un seul volume, énorme, dans un beau format. C’est un bel objet, cela devient une véritable œuvre d’art, une BD unique qui raconte une histoire récente de la France.
Quand la BD est sortie, ma déception a été grande. Après tant d’énergie, tant de travail, nous n’avons quasiment pas eu de critiques, ni de retours. J’espère que cette nouvelle édition va enfin trouver son public…
Actuellement, je travaille sur une nouvelle BD de 150 pages, Le Colorado en plus petit, qui sortira fin 2015. »
L’Affaire des affaires, Clearstream l’intégrale de Denis Robert & Laurent Astier (Dargaud)
704 pages, 34, 90 €
Galerie W, 44 rue Lepic, 18e