De la loi contre le terrorisme à la surveillance généralisée Par Xavier Monnier Mondafrique
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Alors que l'Assemblée examine, ce lundi 13 avril, la loi contre le terrorisme, le journaliste du Monde, Jacques Follorou, démontre dans un scud sans concession, "Démocraties sous contrôle", comment nos sociétés occidentales sont mises sous surveillance.
C'est un petit livre noir d'une cinquantaine de pages. Presqu'un fascicule. Ce ne sera pas un succès de librairie. «Ce discours, aujourd'hui, est inaudible», concède même son auteur Jacques Follorou, journaliste au Monde, spécialiste des questions corses et de renseignement.
Mais ces lignes, teintées de l'évidence des faits, balaient la doxa dominante des quinze dernières années. En fait, le terrorisme a gagné. Et l'auteur démonte les rouages du triomphe, planté sur trois ressorts. La main-mise des services de renseignements sur les démocraties occidentales, l'indolence des élus des mêmes contrées, l'acceptation par la population d'une privation de liberté pour se prémunir d'une menace, sinon virtuelle, du moins largement surestimée.
«Je vous le dis, la liberté et les droits de l'homme en Amérique sont condamnés. Le gouvernement des Etats-Unis entraînera le peuple américain - et l'Occident en général- dans un enfer insupportable et une vie étouffante», prédit un certain Oussama Ben Laden le 21 octobre 2001. Visionnaire sans aucun doute.
Depuis, le champ des lois antiterroriste n'a cessé de s'aggrandir, rognant sur les libertés individuelles, dérogeant toujours plus aux règles d'un Etat de droit. Et profitant de la menace fantôme du terrorisme pour surveiller toujours plus de choses, toujours plus de monde. Toujours avec moins de contrôle.
Des sociétés sous surveillance
Un simple exemple. Entre 2012 et 2013, les Etats-Unis ont intercepté près de 70 millions de données, téléphonique ou électronique en France. Sans grande réaction ni des autorités françaises ni des services secrets français. Il ne fallait pas fâcher l'ami américain, ni «l'amicale du renseignement», décrit l'auteur. Les agences américaines (NSA), anglaises (GHCQ), françaises (DGSE) entretiennent plus que des relations diplomatiques. Elles échangent allègrement leurs données techniques interceptées, ouvrent leurs accès et s'entraident sans compter pour tracer les communications. A l'ère numérique, autant dire une surveillance généralisée. Le tout sans en avoir référé à la tutelle politique… «A ce niveau là, avoue un haut responsable de l'exécutif français, c'est sous nos radars que les services disposent d'une autonomie de stratégie». Plus qu'un aveu d'abandon. Un renoncement quasi gratuit.
A tout collecter, les agences oublient souvent d'exploiter les données. Quand bien même elle le feraient, «la surveillance de masse est inadaptée à la lutte contre le terrorisme», scandent magistrats, vétérans du renseignements et autres experts. «Les profils de Mohammed Merah et Medhi Nemouche échappent en grande partie aux filets juridiques et de surveillance. Ils sont absents d'Internet et des réseaux sociaux, décrit l'auteur. Autoradicalisés ils n'ont pas de sociabilité religieuse et ne fréquentent pas la mosquée.» Aussi force est de lister à quoi servent le contrôle des échanges par les services secrets: représsion culturelle (comme en Chine), politique (l'exemple libyen), contrôle de la presse ou de l'opposition…
Une société ultra-surveillée sans contrôle politique, des communications interceptées au nom d'une menace fantômes, des citoyens asservis par un dogme. Quel est le nom de ce chemin emprunté par nos sociétés.
"Démocraties sous contrôle: la victoire posthume d'Oussama Ben Laden" (CNRS Editions), Jacques Follorou