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Tchad : surenchère militariste, fragmentation sociale et myopie française Par Acheikh Ibn-Oumar Le Monde
Acheikh Ibn-Oumar est un ancien ministre des affaires étrangères sous Hissène Habré, ancien représentant du Tchad à l’ONU sous Idriss Déby et ex-rebelle.
l y a 115 ans, jour pour jour, le 22 avril 1900, le bassin du lac Tchad était déjà le lieu d’affrontements militaires multinationaux. Ce fut la bataille de Kousséri, ouvrant la voie à la colonisation du Tchad par la France. La configuration des protagonistes rappelle étrangement la situation actuelle.
L’adversaire principal était le conquérant d’origine soudanaise, Rabah, qui rêvait d’instaurer un califat islamique – déjà – à cheval sur le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigeria. Ses troupes étaient recrutées au Darfour, dans le nord-est de l’actuelle RCA et le sud-est du Tchad. Elles étaient encadrées par des officiers soudanais de la tribu des Ja’aliyine (à laquelle appartient le président du Soudan, Al-Béchir). La confrérie libyenne des Senousistes occupait une partie du nord, et était déjà dans la mêlée. Rabah trouva la mort, mais aussi le chef des troupes françaises, le commandant Lamy, qui donna son nom à la future capitale du Tchad, Fort-Lamy, rebaptisée N’Djamena, en 1973.
Depuis cette décisive bataille de Kousséri, l’histoire du Tchad a été sans interruption, celle des soubresauts militaires internes et externes. La France y a toujours été impliquée. En conséquence, le Tchad dispose d’une grande masse de combattants et de matériels, disproportionnée par rapport à sa population et son économie...
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L’autre similitude avec le Rwanda, c’est la présence de l’armée française qui a toujours travaillé en symbiose avec l’armée tchadienne, évitant la chute du régime à plusieurs reprises. Apparemment, malgré cette intimité militaire, les autorités françaises ne mesurent pas le danger, ni les conséquences pour toute la région et pour la France elle-même.
Cette myopie est d’autant plus incompréhensible que l’hostilité envers la France est en train de monter dangereusement. Elle est perçue comme étant le principal pilier de ce régime et donc responsable direct du malheur du peuple tchadien. Et qu’on ne parle pas de nécessité de lutte antiterroriste, les Tchadiens se souviennent très bien que la France a toujours soutenu militairement ce régime au moment où il n’y avait pas cette menace ; c’était alors au nom de la « stabilité ».
Hostilité grandissante envers la France
D’ailleurs, c’est elle qui l’avait porté au pouvoir, en 1990, dans une alliance insolite avec la Libye et le Soudan. Elle continue à couvrir la disparition du professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh. Coordinateur de la principale coalition de l’opposition, il avait été enlevé en février 2008, au moment où la France était militairement engagée aux côtés du général Déby Itno.
En s’asseyant sur ses propres valeurs, la France est en train de développer au sein de la jeunesse un sentiment d’hostilité qui rejoint justement la propagande des groupes terroristes.
Naturellement, il appartient aux dirigeants tchadiens, pouvoir, opposition et société civile de prévenir l’explosion interne et définir une nouvelle règle du jeu politique qui réconcilie l’Etat, l’armée, la classe politique avec la société. Cependant le rôle de la France est d’une importance capitale. A force de calculs à court terme, le temps risque de manquer, dramatiquement.