Le régime n'est prêt à négocier avec aucun groupe armé, ce qui pose la question de l'intérêt d'une reprise des négociations à Genève.
Faire la guerre pour préparer la paix. Ou plutôt faire la guerre pour imposer ses conditions de paix. La logique a beau être ancienne, elle n'a rien perdu de son efficacité. Les Russes en ont fait, dans la nuit de jeudi à vendredi, une nouvelle démonstration en concluant avec les autres acteurs extérieurs du conflit syrien un accord de « cessation des hostilités ». Malgré leurs nombreuses critiques à l'égard des frappes russes dans la province d'Alep, les Américains, les Turcs, les Saoudiens et les Français ont salué l'initiative de Moscou, y voyant peut-être la seule possibilité de remettre le sujet à la table des négociations.
Après avoir repris l'avantage sur le terrain, notamment en coupant le principal corridor de ravitaillement dans la province d'Alep, le régime syrien et ses alliés russo-iraniens sont en train de convertir leurs avancées militaires sur la scène diplomatique. Le timing de l'annonce de la trêve ne doit ainsi rien au hasard. Elle intervient à un moment où l'opposition est laminée et où le départ du président syrien Bachar el-Assad n'est plus d'actualité.
« La cessation des hostilités » ne rentrant en vigueur que dans une semaine, le régime et ses alliés peuvent encore renforcer leurs avantages sur le terrain, notamment en encerclant complètement les rebelles installés dans la partie est d'Alep. Ils pourraient également progresser au sud, dans la province de Deraa, où les rebelles ne peuvent plus compter sur le soutien de la Jordanie.
Pour le régime et ses alliés, la conclusion de la trêve est d'autant plus une bonne nouvelle qu'elle ne signifie pas la fin des combats. Le Front al-Nosra, branche d'el-Qaëda en Syrie, et l'État islamique (EI) sont en effet exclus de cette trêve. Or ce sont ces deux groupes qui, hormis les Kurdes du PYD (Parti de l'union démocratique), participent actuellement le plus aux combats sur le terrain. L'exclusion de ces deux groupes permet en outre aux forces du régime de faire pression sur les rebelles alliés au Front al-Nosra, comme le groupe salafiste Ahrar el-Cham avec qui avait été créée une coalition militaire, et non politique, qui avait pris le nom de Jaych el-Fateh.
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Double avantage
En première ligne dans la bataille d'Alep, mais également dans la province d'Idleb, le Front al-Nosra pourrait profiter du fait que les autres factions rendent les armes pour recruter davantage de combattants. L'affaiblissement des « rebelles modérés », martelés par l'aviation russe depuis des mois, fait autant le jeu des groupes les plus radicaux que celui du régime. En faisant le vide entre M. Assad d'un côté, et l'EI et le Front al-Nosra de l'autre, les Russes et les Iraniens peuvent justifier leurs interventions par une volonté de lutter contre le terrorisme. Les propos de M. Assad, dans une interview accordée hier à l'AFP, vont d'ailleurs dans ce sens : « Deux volets sont indispensables en Syrie : premièrement, celui de négocier, et deuxièmement, celui de frapper les terroristes. Le premier volet est indépendant du second. » Avec la signature de la trêve, ils auraient donc le double avantage de pouvoir continuer les combats au nom de la lutte contre le terrorisme, tout en ayant obtenu l'aval des pays alliés aux rebelles, et de négocier uniquement avec l'opposition qu'ils tolèrent. Dans cette même interview, M. Assad a précisé qu'ils ne faisaient pas la différence entre l'EI, al-Nosra et les groupes comme Ahrar el-Cham ou Jaych al-Islam, soutenus par Riyad et Ankara. Autrement dit, le régime n'est prêt à négocier avec aucun groupe armé, ce qui pose la question de l'intérêt d'une reprise des négociations à Genève.
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Pour les forces de l'opposition, la seule bonne nouvelle vient de la décision d'intensifier les livraisons d'aide humanitaire pour les villes assiégées par le régime de Damas ou par l'EI. C'est une bien maigre compensation par rapport aux conséquences désastreuses provoquées par l'offensive d'Alep, mais l'opposition ne semble pas avoir d'autre choix. Le risque pour elle, aujourd'hui, étant tout simplement de ne plus exister.
Critiqués pour leur passivité face à l'offensive russe, les Américains ne se font pas « d'illusions » sur la difficulté à mettre en œuvre la trêve. Les propos de M. Assad, interrogé avant l'annonce de la trêve, ne risquent pas de les tranquilliser puisque celui-ci a affirmé sa volonté de reconquérir l'ensemble du territoire syrien. Une reconquête qui paraissait impossible il y a quelques mois, et qui semble aujourd'hui réaliste si les Russes et les Iraniens le désirent vraiment. Cette annonce apparaît comme une réponse directe à la volonté des Turcs et des Saoudiens d'envoyer des troupes à l'est de la Syrie pour combattre l'EI et sécuriser cette portion de territoire pour l'opposition. À la question de savoir s'il juge cette intervention possible, M. Assad a répondu hier : « Logiquement, je dirais qu'une intervention est impossible, mais la logique est parfois en contradiction avec la réalité », ajoutant que « de toute manière, une telle action ne sera pas facile pour eux et nous allons très certainement y faire face ». On est assez loin de l'esprit d'une trêve.