Le vilain petit Qatar au coeur du scandale des « Panama Papers » Par Nicolas Beau Mondafrique
Dans un entretien avec le site tunisien « Info Halal », Nicolas Beau, rédacteur en chef de Mondafrique, estime que la présence des principaux responsables qataris sur les listes des « Panama Papers » était, hélas, plus que prévisible.
Info Halal : Dans les Panama Papers, on trouve l’ancien émir du Qatar, Hamad bin Khalifa Al Thani, et Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani, ancien Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et directeur de l’Autorité des investissements du Qatar. Cela vous étonne ?
Nicolas Beau : Qu’ils disposent de sociétés offshore n’est pas une surprise. On avait vu, lors du rachat de Printemps ou de l’hôtel Monceau que les Qataris étaient passés par une cascade de sociétés. Les banques citées dans ce scandale, le Crédit Suisse et HSBC, figurent, comme par hasard, parmi les principales banques internationales du Qatar. C’est clair, le Qatar, cet ami qui nous veut du mal, aime investir en tout discrétion, il est donc logique de le retrouver dans les Panama Papers.
Info Halal : Peut-on y voir un lien avec le financement du terrorisme ?
Nicolas Beau : Je ne pense pas. On sait qu’ils ont financé le Front al-Nosra en Syrie, avant que Daesh ne se développe. Personne ne peut ignorer aujourd’hui que les Qataris sont en phase avec Al-Qaeda.
Le Trésor américain, dans son rapport annuel, a accusé noir sur blanc le Qatar de financer Al-Qaeda. Mais le Qatar n’est pas un Etat, ce sont des grandes familles qataries, au coeur du sérail, qui ont participé à ces financements, en clair des hommes d’affaires liés à la famille royale. Dans tous les cas, je pense rien n’est possible sans l’aval de l’émir. Celui-ci joue un rôle de régulateur en chef. Par exemple, Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, ne fait partie d’aucune famille liée directement la famille royale, on lui a donc collé un vice-président de confiance qui n’est autre que le beau-père de l’Emir et qui, pourrait-on dire en langage sportif, le marque à la culotte.
Info Halal : En France, on parle beaucoup de l’Arabie Saoudite en ce moment et moins du Qatar. Pourquoi ?
Nicolas Beau : On a redécouvert que l’Arabie Saoudite était la puissance principale avec l’Iran dans cette région. Et puis, le wahhabisme saoudien est moins soft que celui du Qatar. A la différence du Qatar, où les dirigeants sont les rois de la communication, l’Arabie Saoudite a une image désastreuse mais se souciait, jusqu’à maintenant, très peu de sa réputation. Jusqu’à ce qu’elle fasse appel à plusieurs agences de communication pour changer cela.
Diplomatiquement, le Qatar s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas intervenir partout. A l’époque, ils cherchèrent même, via des colloques à Doha et via leurs relations privilégiées avec un des groupes djihadistes, le MUJAO, à imposer leur politique sur le Sahel, qui s’opposait en tous points à l’intervention militaire française, dite « opération Serval ».
Mais les Qataris ont réalisé que jouer un rôle international un peu partout dans le monde était surdimensionné. Le nouvel émir a décidé de réduire la voilure du Qatar sur ce volet-là.
Info Halal : Al Jazeera est en difficulté, et le pouvoir semble ne plus vouloir y investir…
Nicolas Beau : Al Jazeera a joué un grand rôle entre 2005 et 2010, avec une information de qualité. Mais le Qatar a décidé de réduire les moyens, car la chaîne est face à une grosse concurrence : des chaînes saoudiennes, mais aussi des chaînes locales comme en Algérie, où ils ont largement vu baisser leur audience. Et puis, le nouvel émir est imprégné de valeurs plus traditionnelles, la télévision ne fait pas forcément bon ménage avec cela. Il veut revenir à une chaîne qui défendrait ces valeurs traditionnelles, sans un quelconque vernis.
Info Halal : Est-ce que cela signifie aussi que le Qatar est en voie d’affaiblissement financier, notamment à cause de la chute des cours du pétrole ?
Nicolas Beau : Tout cela va dépendre de l’essor du gaz de schistes, notamment aux Etats-Unis. On disait qu’en 2017, les Etats-Unis seraient énergiquement autonomes et que le gaz de schistes y remplacerait le pétrole. Mais la chute des cours laisse un délai supplémentaire, difficile à mesurer. Et puis il y a l’Iran, pays avec lequel le Qatar partage des nappes communes. Le Qatar a pris, pendant l’embargo contre Téhéran, ses aises dans le pillage de ces réserves communes. Le retour de l’Iran sur la scène internationale, si il était confirmé après le départ d’Obama, pourrait provoquer de sérieuses frictions sur le marché du pétrole.
Info Halal : Le wahhabisme qatari a-t-il de l’influence en France ?
Nicolas Beau : Le Qatar a financé beaucoup moins de mosquées que l’Arabie Saoudite. Certes, ils ont fourni des fonds aux mosquées de Mulhouse ou de Lille, ainsi qu’à des centres d’enseignement, mais ils ont une stratégie d’achat de joueurs plutôt que d’achat de clubs… Ils se sont rapprochés des dirigeants de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France), disposent de l’appui de Tariq Ramadan. De Mohamed Bechari aussi, l’ancien dirigeant de la FNMF (Fédération nationale de la Mutualité Française), qui est un de leurs fidèles.
Info Halal : Le PSG, la Coupe du Monde : le football est-il une stratégie à court-terme de la part du Qatar ?
Nicolas Beau : Il faut voir ce que donnera la grande enquête sur la FIFA. Mais l’émir est un passionné de sport, et de foot en particulier. Ces investissements dans le football sont venus de lui, c’est par le sport qu’il s’est mis à exister. Il suit le PSG heure par heure, ça reste pour lui un véritable enjeu. En revanche, si la Coupe du Monde était annulée, il le vivrait comme une véritable humiliation.
Info Halal : Finalement, le vilain petit Qatar est-il toujours cet ami qui nous veut du mal ?
Nicolas Beau : Avec l’Arabie Saoudite, on a de nouveaux diables. Avec le Qatar, la situation s’est un peu normalisée, le soufflet est retombé. Finalement, ils ont investi une quinzaine de milliards d’euros en France, dans l’immobilier et dans des sociétés du CAC 40, c’est plutôt limité. Ils ont raté leur entrée dans le capital d’Areva ou d’EADS. François Hollande est diplomatiquement passé de Doha à Ryad, nous ne sommes plus dans la même situation que sous Nicolas Sarkozy.
Jacques Marie Bourget et Nicolas Beau sont les co-auteurs du « Vilain petit Qatar », paru chez Fayard en 2013