Le nom du fils du président Denis Sassou Nguesso figure dans une société
basée aux îles Vierges britanniques
Depuis les hôtels luxueux du bord de mer à Pointe-Noire, capitale
économique du Congo-Brazzaville, le ballet pétrolier se livre à l'oeil
nu. Les tankers glissent au large dans la brume, chargés de pétrole brut
ou raffiné qui assure 75 % des revenus d'un Etat parmi les plus
corrompus d'Afrique. Mais l'essentiel est ailleurs, et opaque. La
richesse de ce petit pays d'Afrique centrale, dirigé depuis trente-deux
ans par Denis Sassou Nguesso, 72 ans - réélu le 20 mars pour au moins
cinq ans supplémentaires - s'évapore dans de complexes circuits offshore
que seules maîtrisent la famille au pouvoir et une poignée de proches.
Lucien Ebata, 47 ans, est l'un de ces intermédiaires liés aux Sassou
Nguesso. Domicilié de l'autre côté du fleuve Congo, à Kinshasa, il est à
la tête d'Orion Group SA, au capital de 10 millions de dollars (8,8
millions d'euros). Cette holding, qui commercialise des produits
pétroliers, est établie en Suisse et immatriculée aux Seychelles depuis
2009 par la firme panaméenne Mossack Fonseca, à travers la société
luxembourgeoise Figed. Parmi ses clients se trouvent la major
anglo-néerlandaise Shell ou la Société nationale des pétroles du Congo
(SNPC), dont Denis Christel Sassou Nguesso est directeur général
adjoint. Le fils cadet du président congolais et ami de Lucien Ebata est
d'ailleurs surnommé " Kiki le pétrolier ".
" Biens mal acquis "" Certains de mes clients pour l'Afrique me règlent
cash, car les virements prennent du temps ", avait expliqué M. Ebata aux
enquêteurs français le 18 octobre 2012, après avoir été interpellé à
Roissy avec 182 000 euros en espèces. Il touchait alors un salaire
annuel d'un million de dollars et dépensait des centaines de milliers
d'euros dans les palaces parisiens ou dans la location d'hélicoptères
pour faire un saut à Monaco. En novembre 2012, les Seychelles durcissent
leur législation et Orion transfère sa comptabilité vers Chypre. En
parallèle, M. Ebata fonde le magazine Forbes Afrique, toujours élogieux
pour le régime congolais. Il n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Son associé, un Français établi en Suisse, Philippe Chironi, 62 ans,
cofondateur d'Orion et administrateur de la société Forbes Afrique Media
Holding, est visé par un réquisitoire du parquet national financier
français, daté du 17 décembre 2014. Chef d'orchestre d'une myriade de
sociétés et de comptes à Saint-Marin - où il a déjà été visé par une
enquête -, aux Seychelles, à l'île Maurice et dans d'autres paradis
fiscaux, il est soupçonné par la justice française " d'avoir participé à
des opérations de blanchiment de détournement de fonds public au profit
de la famille Sassou Nguesso ". Les juges l'ont entendu en septembre
2015 dans l'enquête des " biens mal acquis " qui vise aussi le président.
" Denis Sassou Nguesso n'est pas intéressé par l'argent et méprise les
activités pétrolières douteuses menées par son entourage ", insiste un
intime du président. Pourtant, ses proches ont créé des sociétés comme
la SNPC, lorsqu'il est revenu au pouvoir en 1998. Parmi eux, Bruno Jean
Richard Itoua, conseiller du président et directeur général de la SNPC
jusqu'en 2005. Il a été mêlé à d'importants détournements de fonds par
le biais de sociétés fictives, selon une enquête de la Cour fédérale
américaine. Ce qui ne l'a pas empêché de devenir ministre de l'énergie
jusqu'en 2011. Les " Panama papers " révèlent qu'il est aussi " attorney
" (fondé de pouvoir) depuis 2004 de deux sociétés, Denvest Capital
Strategies et Grafin Associated SA, enregistrées par Mossack Fonseca au
Panama et aux îles Vierges britanniques. Les titres de ces sociétés sont
" au porteur ", et donc anonymes. M. Itoua, actuellement ministre de la
recherche scientifique, n'a pas souhaité répondre au Monde.
Le chef de l'Etat a des relations régulières avec une nouvelle
génération de négociants en pétrole qui perçoivent des commissions sur
chaque transaction. Parce que " l'affaire des biens mal acquis a
contraint la famille Sassou Nguesso à prendre davantage de précautions
en s'appuyant sur des personnes moins exposées politiquement ", estime
Marc Guéniat, de l'ONG suisse La Déclaration de Berne. Ces traders ont
en commun une longue amitié avec Denis Christel Sassou Nguesso, qui est
aussi député, membre du bureau politique du parti au pouvoir et
administrateur général de l'unique raffinerie du pays, la Coraf...
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