Les polémiques n'en finissent plus dans la presse mainstream au sujet de l'organisation de la sécurité de la fête nationale à Nice, le 14 juillet 2016. Elles viennent d'entrer dans une phase rarement vue où une policière municipale se voit traîner en justice pour diffamation par le ministre de l'intérieur.
Retour sur les étapes des différentes polémiques qui n'en finissent plus et suscitent controverses et bon nombre de questions légitimes.
Au lendemain de l'attentat du 14 juillet, le Telegraph s'était déjà inquiété des failles dans l'organisation de la sécurité à Nice. Ainsi selon le journal britannique, des fourgons utilisés pour sécuriser la promenade des Anglais durant le défilé militaire du 14 juillet à Nice ont été enlevés avant la soirée des feux d'artifices. L'article intitulé "Des fourgons de police barrant la promenade des Anglais ont été retirés juste avant l'attaque" (Police vans blocking off promenade withdrawn just before attack) se posait également la question des effectifs de police sur la promenade des Anglais.
Le maire de Nice, Estrosi, qui a grand renfort de médias pointait la responsabilité du gouvernement et de la police nationale a dû par la suite mettre la pédale douce, quand les mêmes médias ont commencé à se poser des questions sur l'organisation de la sécurité dans sa propre ville. Comment se faisait-il dans une ville dont Estrosi se disait champion de la vidéo surveillance, que le terroriste, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, ait pu faire des repérages avec son camion de 19 tonnes les 12 et 13 juillet en plein jour pour finir par commettre son crime le 14 juillet sans avoir été repéré par les caméras et sans avoir été entravé par les forces de police municipale. En effet, par arrêté municipal, France bleu Azur révèle dès le 19 juillet que les poids lourds n'ont pas le droit de se rendre dans le centre de Nice et encore moins sur la promenade des Anglais les jours fériés :
"Un arrêté municipal interdit tout trafic de véhicule de plus de trois tonnes et demi, toute l'année sur la Promenade. Un autre arrêté, préfectoral, interdit la circulation des véhicules de plus de sept tonnes et demi les jours fériés." (France TV info). "Cette interdiction générale s’applique également les veilles de jours fériés à partir de 22h jusqu’à 22h le lendemain".(Huffington Post).
Estrosi a alors commencé à devenir la risée d'une partie de la blogosphère quand les médias ont rappelé ses déclarations au sujet des attentats de Paris où il prétendait qu'avec son système de vidéosurveillance ultra-sophistiqué à Nice, les auteurs de l'attentat auraient été vite arrêtés dans sa ville :
"Avec 999 caméras, et une caméra pour 343 habitants [alors qu’] à Paris, il y en a 1 pour 1532, je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipée du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient passé 3 carrefours sans être neutralisés et interpellés"
Le 20 juillet, face aux attaques d'Estrosi concernant le dispositif de sécurité mis en place par le gouvernement socialiste à Nice, Manuel Valls lui rétorquait : «ce dispositif a été concerté, consenti et validé par le maire de Nice !» (RT): Alors que Valls passait à l'offensive en déclarant à un Estrosi de plus en plus mal à l'aise à l'Assemblée nationale : «Un arrêté du 11 juillet signé par le directeur adjoint de la ville réglementait la circulation sur la Promenade des Anglais et ses abords car c'est une responsabilité du maire, de la police municipale», le journal Libération allait porter un coup de semonce au dispositif gouvernemental de sécurité à Nice et à sa communication. Dans un article publié le 21 juillet et intitulé : "Sécurité à Nice. 370 mètres de questions / Des failles de sécurité et un mensonge", Libération accuse ni plus ni moins le ministre de l'intérieur de "mentir" :
"Contrairement à ce qu’a affirmé le ministère de l’Intérieur, l’entrée du périmètre piéton de la promenade des Anglais n’était pas protégée par la police nationale le 14 juillet au soir. Ce manque de transparence entame la confiance dans l’exécutif ".
Image tirée des caméras de surveillance publiée par Libération montrant seulement deux policiers municipaux et pas de policiers nationaux au premier poste de contrôle quelques minutes avant le passage du camion bélier (Mise à jour le 24.07.16, 19h35)
Dans la même veine, le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve et ses services accuseront, dans un communiqué envoyé le 22.07 à 1h du matin, le quotidien Libération et les auteurs de l'article de faire des accusations de «contre-vérités» interrogera leur «déontologie» et les accusera d'emprunter «aux ressorts du complotisme». Cazeneuve a aussitôt saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) afin de procéder «à une évaluation technique du dispositif de sécurité et d’ordre public tel qu’il a été conçu puis mis en œuvre à Nice dans la soirée du 14 Juillet et dans la nuit qui a suivi». «Cette enquête, poursuit Bernard Cazeneuve, [permettra d’établir la réalité de ce dispositif] sans préjudice de l’enquête judiciaire en cours.».
Mais les auteurs de l'article de Libération rétorque que "l’enquête de l’IGPN se concentrera uniquement sur la vérification de l’application du dispositif tel qu’il a été co-élaboré entre la ville de Nice et la préfecture." et demande une commission d'enquête parlementaire (Libération).
Les auteurs de l'article maintiennent alors leurs propos et assurent dans un nouvel article en réponse à Cazeneuve (Attentat de Nice : la réponse de «Libération» à Bernard Cazeneuve) qu'il y avait deux points de contrôle sur la Promenade des Anglais et qu'au premier seulement deux agents municipaux étaient présents :
"Dans notre enquête, nous expliquons que seuls deux agents municipaux se trouvaient sur place, avec une mission de fluidification de la circulation. Une source policière qui a pu visionner les images de la vidéosurveillance assure que leur voiture était placée en travers de la chaussée (qui compte trois voies), côté mer."
On pense alors que les vidéos, dont se targuent fièrement le maire de la ville, pourront départager les protagonistes mais patatra, on apprend le 21 juillet par Le Figaro que la justice française avait demandé le 20 juillet à la mairie de Nice de détruire 24 heures d'images :
"Panique et incompréhension à la mairie de Nice. Mercredi à 11 heures, la sous-direction antiterroriste (SDAT) a envoyé aux agents qui gèrent la vidéosurveillance de la ville une réquisition citant les articles 53 et L706-24 du code de procédure pénale et de l'article R642-1 du Code pénal leur demandant l'effacement «complet» de 24 heures d'images provenant de six caméras nommées et numérotées, mais aussi de toutes les scènes depuis le début de l'attentat ayant eu lieu sur la promenade des Anglais, dans la nuit du 14 juillet..." (Attentat de Nice : quand la justice demande à la mairie de détruire 24 heures d'images).
Le parquet de Paris évoque un souci «d'éviter la diffusion non contrôlée de ces images» mais certains considèrent que le ministère de la justice vient au secours de l'intérieur.
Mais la polémique ne s'arrête pas là. La mairie de Nice refuse d'effacer les vidéos et fait de la résistance. (Reuters La ville de Nice refuse d'effacer des images de l'attaque) :
" Cette demande de la justice a surpris Me Philippe Blanchetier, qui assiste la ville de Nice, notamment "eu égard à la polémique sur la nature du dispositif policier déployé le soir de l'attaque". "C'est la première fois de ma vie que je vois une réquisition aux fins d'effacement de preuves", a-t-il dit à Reuters. "L'argument avancé de risque de fuite ne tient pas...Dans ce courrier, dont Reuters a eu copie, il indique que les données seront en principe automatiquement effacées à compter de dimanche soir, comme le prévoit la loi...
Il déplore plus loin dans la lettre : "Si jamais ces images étaient indisponibles, les victimes se verraient privées d'un moyen de preuve d'un éventuel manquement" des autorités en matière de sécurité, dans le cadre d'enquêtes futures, explique-t-il."
Dimanche matin, Sandra Bertin, cheffe du Centre de supervision urbain (CSU) de Nice et secrétaire générale du Syndicat autonome de la Fonction publique territoriale (SAFPT) Métropole-Ville de Nice, a déclaré dans un article publié aujourd'hui dans le JDD que :
"le ministère de l'Intérieur lui a ordonné, au lendemain de l'attaque du camion fou de Nice, de taper dans son rapport des positions spécifiques de la police nationale qu'elle «n'a pas vue à l'écran». La responsable du CSU est formelle : «Le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l’Intérieur a envoyé un représentant au CSU qui m’a mis en ligne avec la place Beauvau. J’ai alors eu affaire à une personne pressée qui m’a demandé un compte-rendu signalant les points de présence de la police municipale, les barrières, et de bien préciser que l’on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité.» (JDD La policière responsable de la vidéosurveillance à Nice accuse le ministère de l'Intérieur).
Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, a du alors démentir et a déclaré ce dimanche vers midi qu'il portait plainte contre la policière responsable de la vidéo surveillance :
"Le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve va porter plainte ce dimanche pour "diffamation" après les "graves accusations" d'une policière municipale niçoise affirmant avoir reçu des pressions de l'Intérieur pour modifier son rapport sur le dispositif policier du 14 juillet, a annoncé le ministère de l'Intérieur."(AFP Accusation d'une policière municipale niçoise: Cazeneuve porte plainte pour "diffamation").
Il a ajouté également dans le même communiqué :"Contrairement à ce que Madame Bertin affirme, ce n’est donc en aucun cas le cabinet du ministre de l’Intérieur qui a envoyé un commissaire au CSU ou qui aurait eu des échanges avec elle", assure Bernard Cazeneuve, qui ajoute qu'"il serait très utile que MmeSandra Bertin soit auditionnée par les enquêteurs et puisse leur produire les identités et les fonctions des personnes qu’elle met cause, les mails qu’elle évoque et leur contenu."
De son côté, le procureur de la République de Paris, François Molins, est sorti exceptionnellement de sa réserve et a confirmé que c'est sous sa “seule autorité et pour les besoins de l'enquête en cours que le 15 juillet, deux brigadiers chefs ont été envoyés au CSU de Nice”. “Jusqu'à l'ouverture de l'information judiciaire” jeudi, “l'enquête a été conduite exclusivement par le parquet”, a-t-il ajouté (M6 info).
Pour résumer :
La presse généraliste soulève des questions importantes sur l'organisation de la sécurité lors de l'attentat du 14 juillet suscitant l'ire du gouvernement actuel sur fond de passe d'armes entre le gouvernement socialiste et la mairie LR de Nice quant à de potentielles failles sécuritaires et la collaboration des polices nationale et municipale. Face aux vidéos qui apparaissent comme un recours, le Parquet par réquisition impose à la mairie de Nice d'effacer les vidéos pour «éviter la diffusion non contrôlée de ces images». Ce qui devrait être fait ce soir selon l'avocat de la ville de Nice.
Par ailleurs la polémique rebondit après que la responsable des enregistrements vidéos de la ville de Nice ait accusé le ministère de l'intérieur de faire pression sur elle pour modifier sa déposition quant à la constatation du dispositif de la police nationale déployé ce soir là. Suite à ces propos, Bernard Cazeneuve porte plainte contre la responsable des enregistrements vidéos et François Molllins sort de sa réserve de rigueur pour déclarer que c'est une brigade envoyée par le Parquet et non par le ministère de l'intérieur qui est venue la rencontrer.
A suivre.
MAJ : 19h35, 24.07.16