Murs et barbelés. Les envoyer en détention ou les livrer à une dictature : voilà comment l’Europe « délocalise » ses réfugiés
Par Olivier Favier
Bastamag
Demander l’asile en Europe signifiera-t-il demain être renvoyé dans une dictature, un pays en guerre ou emprisonné pendant des années aux marges du continent ? C’est bien la nouvelle politique « d’asile » qui se prépare. Les demandeurs d’asile qui ne croupiront pas dans un centre de détention risquent de ne pas échapper au « processus de Khartoum » : la Commission européenne négocie avec des régimes pourtant infréquentables, pour qu’ils gardent « leurs » migrants, quitte à financer ces dictatures... et à perpétuer ainsi le flux de réfugiés qui tentent de fuir ceux qui les persécutent.
L’Australie est une source d’inspiration pour l’Europe. Non pour ses vastes étendues sauvages ou ses récifs coralliens, mais pour la manière dont le pays traite les migrants qui tentent d’y accoster. Pour décourager les réfugiés de venir par la mer, la marine australienne intercepte systématiquement les bateaux les transportant pour les renvoyer vers leur dernier pays de passage, l’Indonésie ou le Cambodge par exemple. Ceux qui parviennent à gagner la côte sont placés dans des centres de rétention « offshore », au large.
Sur la petite île de Nauru, 1 200 personnes – femmes, hommes, enfants – sont ainsi parquées dans des conditions telles que beaucoup d’entre eux perdent la raison. « Pendant des mois et parfois des années après leur arrivée à Nauru, les demandeurs d’asile sont détenus dans des camps quasi-carcéraux entourés de clôtures et gardés par des services de sécurité », note un rapport d’Amnesty international publié en août. Selon Anna Neistat, directrice de recherches au sein de l’ONG, « rares sont les pays qui déploient autant d’efforts pour infliger des souffrances à des hommes et des femmes en quête de sécurité et de liberté » [1].
Bien qu’inhumaine, la politique d’externalisation de l’asile mise en place par l’Australie est présentée comme exemplaire par certaines personnalités politiques européennes, comme les députés européens de la très droitière Ligue du nord italienne ou le jeune ministre des affaires étrangères autrichien, Sebastian Kurz. Pire, la gestion australienne semble inspirer l’Union européenne toute entière. Avec le « processus de Khartoum », amorcé en 2014, l’Europe s’engage un peu plus encore vers une « externalisation » de la question des réfugiés, renonçant à être une terre d’asile. Celles et ceux qui tentent de rejoindre le Vieux continent depuis la Corne de l’Afrique seront désormais officiellement « pris en charge » à l’extérieur des frontières nationales et européennes, dans les pays de départ ou de transit, du sud et de l’est de la Méditerranée, notamment les dictatures et les pays en guerre que ces mêmes migrants tentent de fuir...
Une inscription sur un mur indiquant le « Pavillon des immigrants sans état » à la Biennale de Venise, juillet 2015. © Olivier Favier
Le droit d’asile est apparu comme une question européenne – et non plus seulement nationale – en même temps que la suppression des contrôles aux frontières entre les pays membres de l’UE, en particulier avec l’accord de Schengen, en 1985 [2]. Dès lors, un paradoxe voit le jour, qui en trente ans n’a cessé de croître : plus les frontières intérieures de l’Union s’ouvrent, plus le contrôle de ses frontières extérieures se complexifie : d’un côté, on tend à définir une politique commune de l’asile ; de l’autre, son application revient au premier pays où le demandeur d’asile est enregistré [3]. Si ce premier pays refuse une demande d’asile, la mesure s’applique de facto à tous les autres pays européens. Un réfugié ayant obtenu le droit d’asile peut ensuite circuler en Europe mais n’aura pas le droit de s’installer dans un autre pays au-delà de trois mois...