Les USA aident en douce l'Arabie Saoudite à mener une campagne aérienne dévastatrice au Yémen
Par Sarah Leah Whitson
Los Angeles Times
Traduit par Jacques Boutard, Tlaxcalla
Une semaine avant les attentats terroristes de Bruxelles, une coalition dirigée par les Saoudiens a bombardé un marché à Mastaba, au Yémen. Bien que le nombre de victimes y ait été plus élevé qu'à Bruxelles — 106 contre 34 — les médias et la communauté internationale en général ont ignoré cette atrocité, tout comme ils ont ignoré la plupart des attaques aériennes aveugles qui ont été rapportées par les Nations Unies et l'ONG Human Rights Watch au cours de l'année écoulée.
Le problème est pourtant bien plus grave qu'un simple défaut d'attention : car l'Occident soutient bel et bien — en fournissant des armes et de l'assistance militaire — cette guerre presque ignorée.
Le dernier crime de guerre saoudienen date : le bombardement d'une cérémonie funéraire à Sanaa, le 8 octobre 2016, a fait au moins 140 morts et 500 blessés
L'Arabie Saoudite a déclaré que son objectif au Yémen était de ramener au pouvoir le président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui a fui la capitale, Sanaa, à la suite d'un coup d'État des milices Houthis et pour contrecarrer les plans iraniens pour contrôler le pays. Quoi qu'on puisse penser de ces ambitions, il est indéniable que les Saoudiens violent le droit international en effectuant des frappes sans aucun objectif militaire apparent et en utilisant des armes prohibées, telles que les bombes à sous-munitions. Des frappes aériennes ont touché des écoles, des hôpitaux, des marchés et des lieux d'habitation. Selon l'ONU, ces frappes ont causé 60 % des 3200 morts de civils dans le conflit.
On sait assez bien que les USA et le Royaume-Uni contribuent à l'effort de guerre comme principaux fournisseurs de matériel militaire de la coalition menée par les Saoudiens. L'Arabie Saoudite s'est engagée dans une débauche d'achat d'armes de tout poil et est aujourd'hui le premier acheteur mondial d'armements. Elle en a commandé pour au moins 20 milliards de dollars auprès des usa et presque 4, 3 milliards auprès de la Grande-Bretagne en 2015. Les Émirats arabes unis, principaux partenaires de l'Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen, ne sont pas loin derrière, en quatrième position mondiale pour les achats d'armes, en ayant acquis pour 1,07 milliards de dollars des USA et pour 65,5 millions de la Grande-Bretagne l'année dernière.
La réalité brutale est que certaines de ces bombes sont tombées sur des hommes, des femmes et des enfants yéménites innocents. C'est pourquoi beaucoup d'organisations humanitaires et de défense des droits humains, tout comme le Parlement européen, ont appelé à un embargo sur les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite.
L'inconnue qui demeure est la nature exacte du rôle que jouent les USA et le Royaume-Uni dans la campagne militaire des Saoudiens. Le Département d’État US a vaguement déclaré qu'il fournit une “assistance au ciblage1”, ce qui signifie que, légalement , il peut être poursuivi pour les frappes illégales auxquelles il prend part. À quoi ressemble donc exactement cette assistance au ciblage ? Les USA ont-ils aidé à définir la cible dans le cas du bombardement qui a frappé le marché ? Ont-ils aidé à cibler la clinique de Médecins Sans Frontières que la coalition a frappé à plusieurs reprises en octobre dernier ? Et qu'en est-il de l'emploi d'armes à sous-munitions contre l'Université de Sanaa en janvier ?
La Grande-Bretagne, pour sa part, a dit qu'elle fournissait “un entraînement militaire en conformité avec les lois de la guerre” — opérant depuis le Centre de Commandement Opérationnel de Riyad — le nombre estimé de conseillers variant considérablement, de 6 à 150. Mais que font exactement ces gens ? S'ils fournissent une assistance au ciblage, on pourrait considérer qu'ils sont partie prenante au conflit. S'ils se contentent de donner des conseils, il est manifeste que les Saoudiens n'en tiennent aucun compte.
Une manière appropriée pour les Saoudiens — ainsi que les USA et la Grande-Bretagne — de faire face aux flots d'informations qui circulent sur les frappes aériennes illégales au Yémen serait de soutenir une enquête internationale indépendante sur les actes commis tant par la coalition que par le groupe armé houthi Ansar Allah qui contrôle actuellement une grande partie du pays.
Les États membres du Conseil des droits de l'homme des Nations unies ont bien essayé de mener une enquête de ce genre, mais la triade Arabie Saoudite-USA-Grande-Bretagne l'a proprement étouffée dans l’œuf. Au lieu de cela elle a appuyé la création d'une commission d'« enquête interne » au Yémen menée par le Président Hadi, qui est pratiquement exilé et soutenu par l'Arabie Saoudite. Il ne faut pas s'étonner de ce que cette commission, annoncée en septembre dernier, n'ait fait aucun progrès depuis. La coalition s'est aussi empressé d'annoncer la création d'un comité destiné à “promouvoir le respect de la loi ” mais a clairement précisé que celui-ci n'enquêterait sur aucune des violations alléguées.
Au moment même où les USA mènent la charge en faveur de poursuites judiciaires internationales le gouvernement syrien de Bachar el-Assad, ils ferment donc les yeux sur les exactions commises par l'Arabie Saoudite et n'hésitent pas à contrecarrer les enquêtes internationales sur la question.
À plusieurs reprises, le Président Obama a souligné les liens qui existent entre la prolifération de la violence extrême et les exactions commises par des gouvernements autoritaires du monde arabe qui n'ont de comptes à rendre à personne. Quant aux risques que font courir aux citoyens US les alliances que passent les USA avec ces mêmes gouvernements et le soutien militaire qu'ils leur apportent , il est moins bavard sur la question.
Mais à notre époque, où peu de connaissances et d'équipement sont nécessaires à des terroristes pour semer le chaos dans les capitales occidentales, Obama devrait s'inquiéter sérieusement du possible effet boomerang de telles alliances. Les frappes illégales et les massacres de civils de grande ampleur encouragent à coup sûr l'instabilité et l’extrémisme, dont les effets risquent bien de se faire sentir, non seulement dans la région concernée, mais aussi plus près de chez nous. L'ère des guerres secrètes n'est pas complètement révolue, mais la protection qu'offraient les frontières nationales a bel et bien expiré.
NdT
1Voir http://www.defense.gouv.fr/actualites/dossiers/l-espace-au-profit-des-operations-militaires/fiches-techniques/cnc