Conférence de Paris : et si l’Europe cessait de financer l’occupation de la Palestine par Israël ?
Luc Delval
Pour la Palestine.be
La France voudrait donc, en réunissant à Paris une assez étrange conférence internationale à quelques jours de la fin du mandat d’Obama et alors que son propre Président n’est plus qu’une sorte d’ectoplasme politique qu’on n’écoute que par politesse, «relancer le processus de paix» pour «sauver la solution à deux États».
L’ennui, c’est que de “processus de paix” il n’a en réalité jamais été véritablement question, et que la “solution à deux États” n’en a jamais été une. En fait de “relance” c’est un constat de faillite permettant de passer enfin aux choses sérieuses qui s’imposerait.
On sait depuis des années que le “processus de paix”, dont l’annonce avait soulevé tant d’espoirs, n’a jamais rien été d’autre qu’« une réorganisation du dispositif d’occupation israélienne, misant sur la cooptation de la direction historique du Mouvement national palestinien au sein des structures coloniales », comme le synthétisait brillamment en une phrase Julien Salingue, à l’occasion du 20ème anniversaire de la retentissante faillite « inscrite dans l’esprit et la lettre des Accords d’Oslo, qui n’ont pas constitué une rupture avec les logiques à l’œuvre dans les territoires palestiniens au cours des décennies précédentes et qui n’ont pas ouvert un quelconque “processus de paix” ».
On ne peut donc que souscrire à l’analyse livrée, à 24 heures de l’ouverture de la conférence de Paris, par Charles Enderlin (ancien correspondant de France 2 à Jérusalem et auteur de plusieurs ouvrages sur Israël et la Palestine [1]) sur Twitter :
Il suffit d’ailleurs de voir l’enthousiasme communicatif avec lequel l’envoyé spécial du Ministre français des Affaires étrangères parle de cette conférence…
Il s’agirait donc, contre toute raison, de “relancer” un “processus de paix” qui n’exista jamais (ou du moins ne mérita jamais ce nom), afin de s’accrocher à un “principe” (celui des “deux États”) qui n’a jamais été un principe que dans l’esprit de certains diplomates occidentaux, pour sauvegarder l’illusion d’une “solution” qui n’en est en aucun cas une, reposant sur “deux États” dont l’un serait privé de pratiquement tous les attributs de ce qui mérite d’être appelé un État…
Il n’y a donc dans tout cela ni processus, ni paix, ni “solution”, ni deux États, mais on parle de relance. Difficile de faire mieux dans le bullshit…
Le point de départ de cette sinistre comédie se situe dans le soi-disant l’accord de reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP – en fait, cette dernière reconnaissait “le droit de l’État d’Israël à vivre en paix et dans la sécurité” et prenait une série d’engagements en découlant, tandis qu’Israël ne reconnaissait rien du tout hormis que l’OLP représentait le peuple palestinien et qu’il lui fallait négocier avec elle, sans rien dire ni de l’objectif de la négociation, ni du calendrier et surtout pas d’un État palestinien, dont les dirigeants israélien n’ont à aucun moment accepté l’idée, quoiqu’on en dise.
Aussitôt après feu Edward Saïd [2], écrivait avec l’extrême lucidité qui était la sienne :
«Alors, avant tout, appelons cet accord de son vrai nom : un outil de la capitulation palestinienne, un Versailles palestinien. Ce qui le rend pire encore, c’est qu’au cours des 15 dernières années, l’OLP aurait pu négocier un arrangement meilleur que ce Plan Allon modifié, et exigeant de faire moins de concessions unilatérales à Israël. Pour des raisons que les dirigeants connaissent fort bien, ils ont refusé toutes les ouvertures précédentes. Pour donner un exemple que je connais personnellement : à la fin des années ’70, le secrétaire d’État Cyrus Vance m’a demandé de persuader Arafat d’accepter la résolution 242, avec une réserve (acceptée par les USA) à ajouter par l’OLP et insistant sur les droits nationaux du peuple palestinien ainsi que sur l’autodétermination palestinienne. Vance a dit que les USA reconnaîtraient immédiatement l’OLP et instaurerait les négociations OLP-Israël. Arafat refusa l’offre catégoriquement, de même que des offres similaires. Ensuite éclata la guerre du Golfe, et l’OLP perdit encore plus de terrain à cause des positions désastreuses qu’il adopta alors. Les gains de l’Intifada furent dilapidés, et maintenant, les défenseurs du nouveau document disent : « Nous n’avions pas d’alternative ». Il serait plus exact de dire : « Nous n’avions pas d’alternative parce que nous en avions perdu ou rejeté bien d’autres, ne nous laissant que celle-ci ».
Voir le texte complet d’Edward Saïd ICI.
Le diplomate français Pierre Vimont a cependant raison de dire qu’il ne servirait à rien de vouloir à tout prix remettre autour d’une table “les deux parties”, car le rapport de force est trop déséquilibré. Il aurait été honnête de sa part d’ajouter que surtout il y a dans le camp israélien une volonté délibérée de ne vouloir, au mieux, que “négocier pour négocier”, à l’infini et sans jamais conclure, tout en dérobant jour après jour progressivement l’objet principal même de la négociation, à savoir le territoire.
Cependant, telle était déjà la situation en 1993, et il y a bien longtemps que chacun sait que si une pression sérieuse et durable ne s’exerce pas sur Israël, sous la forme de sanctions effectives de la “communauté internationale” sous l’égide de l’ONU [3], rien n’évoluera véritablement et la colonisation se poursuivra inexorablement.
Après plus de 24 ans de passivité totale face à la violation constante du droit international par Israël, la France persiste à nier cette évidence, ce qui revient à dire qu’elle n’a pas d’autre véritable objectif (en dehors de sa propre gloriole et celle de ses dirigeants) que de servir les intérêts du gouvernement israélien, la partie la plus puissante.
Le même Vimont avoue d’ailleurs, avec une certaine ingénuité, que si tout cela ne risquait pas d’alimenter le terrorisme international, tout le monde s’en ficherait à l’unanimité.
Il est cocasse d’entendre le même Pierre Vimont regretter que “personne ne nous [ait] convaincus aujourd’hui qu’il pourrait y avoir une alternative”. Ma parole, il en parle comme si la “solution à 2 États” avait une quelconque substance, comme si quoi que ce soit permettait de croire qu’elle puisse voir le jour concrètement !
“Tous ces gens, dit-il, n’ont jamais été capables de nous dire par quoi on va la remplacer”, comme s’il était question de “remplacer” une chose qui n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais au mieux que comme une totale escroquerie doublée un abus de langage caractérisé.
En outre, ce qu’il affirme est faux : “l’alternative” est connue car on sait parfaitement qu’à défaut d’avoir imposé à Israël le respect du droit international tel qu’elle l’a pourtant elle-même défini dans les résolutions onusiennes, la Communauté internationale porte sur les fonts baptismaux un État d’apartheid, dont il existe déjà plus qu’un embryon et dont la réalité se renforce chaque jour. C’est cela, l’alternative à laquelle nous conduit la componction soporifique de Pierre Vimont et de ses patrons, parce que fondamentalement leur limite infranchissable est qu’ils ne veulent rien imposer à Israël, et que dans ces conditions il n’y a aucune issue à l’impasse dans laquelle ils se sont eux-mêmes enfermés, et les deux peuples directement concernés avec eux.
Au cours des huit années de la présidence Obama, 100.000 colons juifs de plus se sont installés en Cisjordanie, et tandis que Washington finance à coups de milliards de dollars chaque année l’armement israélien (et par le fait même assure à ses industriels un joli débouché aux frais du contribuable étatsunien), l’Union Européenne quant à elle finance l’occupation. Charles Enderlin, encore lui, fait un décompte édifiant dans un article de “Libération” :
Après l’échec du sommet de Camp David en juillet 2000, des négociations de Taba en janvier 2001, de la rencontre de Charm el-Cheikh en février 2005, George W. Bush, le président américain, décidait qu’il était temps d’en finir avec le conflit israélo-palestinien. Le 27 novembre 2007, à Annapolis, il réunissait Ehud Olmert, le Premier ministre israélien, et Mahmoud Abbas, le président palestinien, pour frapper dans le marbre le principe de la solution à deux États. Les deux hommes s’engageaient à conclure les négociations en une année.
Trois semaines plus tard, à Paris, Nicolas Sarkozy ouvrait la conférence internationale des donateurs pour l’État palestinien en rappelant qu’il s’agissait de créer aux côtés d’Israël :
«Un État souverain sur son territoire et ses ressources, contrôlant ses frontières, disposant d’une continuité entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Un État de droit, disposant d’institutions fortes et indépendantes, qui assurera la sécurité de ses citoyens, fera respecter la loi et l’ordre […]. Au bout du compte, un État politiquement et économiquement viable.»
Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, demandait 4,5 milliards d’euros aux donateurs qui, déjà, depuis la signature des accords d’Oslo, avaient déboursé plus de 7 milliards d’euros. Il a reçu des promesses pour la bagatelle de 6,5 milliards d’euros de la part des 70 délégations d’États réunies à Paris.
L’Union européenne a de nouveau mis la main au portefeuille. Aux 563,28 millions d’euros déjà transférés en 2007, sont venus s’y ajouter 494,91 millions en 2008. Selon des sources diplomatiques, il faut adjoindre les sommes offertes par les divers pays de l’UE, qui, en la doublant, portent l’aide aux Palestiniens à près de 1 milliard d’euros (en 2015, encore, l’UE a remis 342,42 millions d’euros à l’Autorité autonome).
Les pourparlers ont débuté et, à nouveau, ce fut l’échec. La droite israélienne en accuse les Palestiniens qui auraient refusé les «concessions sans précédent, offertes par Olmert». Faux, rétorque l’entourage d’Abbas : «Nous n’avons jamais reçu une proposition sérieuse par écrit pour l’étudier. Tout était verbal et n’engageait que ceux qui écoutaient.»
En réalité, sous le coup d’une enquête judiciaire pour corruption, impopulaire, Ehud Olmert n’avait plus la possibilité de conclure un accord en bonne et due forme. Condamné, il a fini derrière les barreaux. Benyamin Nétanyahou lui a succédé à la présidence du Conseil en 2009 et, depuis, Israéliens et Palestiniens n’ont plus repris les discussions de fond sur les éléments de la solution à deux États.
Barack Obama, arrivé à la Maison Blanche la même année, n’a même pas réussi à relancer des pourparlers autres que sur la reprise des négociations. John Kerry, avant de quitter le département d’État, relève que durant ces huit années 100.000 colons supplémentaires se sont installés en Cisjordanie. Il en rejette la responsabilité sur Nétanyahou et son gouvernement, «le plus à droite de l’histoire d’Israël», dit-il, en constatant le quasi total contrôle israélien sur la zone C, 60 % du territoire, habité par près de 400.000 colons et où le développement palestinien est interdit.
Une situation critiquée par de nombreux diplomates européens en poste dans la région. Tout en gardant l’anonymat, ils déclarent à qui veut les entendre : «De fait, nous finançons le maintien de l’occupation israélienne.*»
Dans ces conditions, n’est-il pas grand temps de faire le bilan ? Les milliards investis par la communauté internationale, s’ils ont permis le développement d’institutions palestiniennes, n’ont pas fait avancer d’un millimètre la solution à deux États *.
Alors, pourquoi, au nom des bailleurs de fonds européens, François Hollande et Angela Merkel ne prendraient-ils pas l’initiative de fixer une date limite au-delà de laquelle Israël – puissance occupante selon les conventions de Genève – devrait assumer le financement du budget palestinien ? Cela libérerait le contribuable européen de ce fardeau, et placerait le gouvernement de Netanyahou devant ses responsabilités à un moment où s’ouvre une nouvelle page de l’histoire du Proche-Orient. L’enjeu, c’est l’avenir de la région, d’Israël et de la nation palestinienne.
Car les premières décisions de la nouvelle administration Trump ne poussent pas à l’optimisme. Le président élu a nommé David Friedman au poste de nouvel ambassadeur américain en Israël. A la tête de l’Association des amis de la colonie Beit El, c’est un fervent partisan de l’annexion des Territoires palestiniens. Il entend œuvrer pour le transfert à Jérusalem de l’ambassade des États-Unis installée aujourd’hui à Tel-Aviv. Ce serait le dernier clou dans le cercueil du processus de paix entamé en 1993 avec la signature des accords d’Oslo. Il ne resterait plus qu’à en publier l’acte de décès formel.
A ce diagnostic on ne peut qu’ajouter que l’Union Européenne – dont l’ambassadeur en Israël, Lars Faaborg-Andersen, témoigne en permanence d’une écœurante soumission idéologique au gouvernement en place et d’un mépris non moins répugnant envers les Palestiniens – finance outre l’occupation par Israël la corruption d’une petite oligarchie palestinienne, et le train de vie confortable de centaines de cadres d’une kyrielle d’ONG internationales qui sous couvert de solidarité internationale s’activent surtout à “normaliser” l’occupation, dont la fin signerait aussi celle de leurs privilèges. C’est là aussi une page de l’histoire qu’il s’agirait de clore, pour ouvrir enfin des perspectives de paix qui rompent enfin avec la logique colonialiste.
Luc Delval | 14 janvier 2017
[1] Charles Enderlin s’est naguère défini comme “sioniste jusqu’à la ligne verte”, c’est-à-dire opposé à l’occupation des territoires palestiniens. Il est haï par les colons comme par les plus excités des propagandistes sionistes en France.
[2] Edward Saïd, décédé en 2003, était un des plus grands intellectuels palestiniens. Voir ICI
[3] A défaut pour les dirigeants politiques d’assumer leur responsabilité historique, les citoyens s’y substituent via la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), mais c’est faute de mieux
Source: Pourlapalestine.be