« Regardons en face le passé colonial de la France »
Par François Gèze et Gilles Maceron
Le Monde
L’éditeur François Gèze et l’historien Gilles Manceron réagissent aux propos d’Emmanuel Macron jugeant que la colonisation relevait du « crime contre l’humanité ».
Emmanuel Macron a eu le mérite de lancer, le 15 février, dans la campagne électorale présidentielle, tel un pavé dans la mare, le sujet de notre passé colonial. Et de dire clairement que la colonisation a été en contradiction avec les principes des droits de l’homme que la France affirmait par ailleurs. C’est un thème de réflexion important, tant, faute d’avoir été depuis l’époque des indépendances l’objet d’un travail critique de nos institutions, ce passé a laissé des traces durables dans les représentations collectives et dans les comportements de parties importantes de notre société.
On ne peut que saluer l’évolution d’Emmanuel Macron par rapport à ses propos tenus dans le Point, en novembre 2016, selon lesquels, dans l’Algérie coloniale, « il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un Etat, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie ». C’était reprendre la théorie des « aspects positifs de la colonisation » qui avait suscité un tollé quand une loi du 23 février 2005 avait demandé aux professeurs de les enseigner. Ses nouvelles déclarations sont infiniment plus pertinentes, même si elles auraient pu éviter de recourir à l’expression, sujette à malentendus et polémiques, de « crime contre l’humanité ».
Car cette expression polysémique renvoie à la fois à un concept juridique inapplicable en l’occurrence, forgé pour juger spécifiquement les crimes nazis et introduit tardivement dans le droit français, et à une notion politique et morale parfaitement juste, employée à de multiples reprises depuis le XVIIIe siècle par les dénonciateurs de la colonisation. Tel Condorcet, qui qualifiait en 1781 la première colonisation esclavagiste de « crime contre la morale » et de « violation du droit naturel », ou comme Jaurès qui, en 1908, appelait à la tribune de la Chambre les massacres de villages marocains des « attentats contre l’humanité ». Ou comme ceux qui, plus tard, dénoncèrent la « barbarie » des massacres du Nord-Constantinois en mai-juin 1945, celle de la répression de la révolte malgache de 1947 ou les guerres sans merci menées par l’armée française à partir de 1955 contre les nationalistes algériens et camerounais, les uns et les autres en lutte pour l’indépendance de leur pays.
Une forme de « gangrène »On peut regretter aussi que le candidat...