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Les USA et la course mondiale aux armements (Sécurité écologique)

par Ben Cramer 7 Mars 2017, 07:12 Course Armements USA Trump

Les USA et la course mondiale aux armements
Par Ben Cramer
Sécurité écologique

En début de semaine, le nouveau président US Donald Trump a annoncé son intention d'augmenter le budget militaire de 10%, soit 54 milliards de dollars, en prenant cet argent sur les programmes sociaux. Ben Cramer examine la course aux armements aux USA et dans le monde.-Tlaxcala

«Les pays peu­vent, ainsi que l’histoire l’a déjà démon­tré, être détru­its de mul­ti­ples façons. L’une d’elles con­siste à se lancer dés­espéré­ment dans une course aux arme­ments»

Peter Naray, ambas­sadeur de Hon­grie auprès de la Con­férence du Désarme­ment, Genève,  7 sep­tem­bre 1999

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_15483.jpg

Augmentation du budget militaire, par Tjeerd Royaards, Pays-Bas

S’il est de bon ton de se lamenter sur l’épuisement des matières pre­mières, l’épuisement des États de plus en plus en fail­lite, l’épuisement de l’empire (cf. Paul Kennedy, Nais­sance et Déclin des grandes puis­sances – Payot, Paris, 1989), l’épuisement de la puis­sance tout court (cf. Bertrand Badie), le com­plexe militaro-​industriel ne sem­ble pas du tout frappé par ce genre de symp­tôme.

Il n’en faut pas telle­ment pour embraser la planète, mais les faits sont là : les dépenses mil­i­taires mon­di­ales sont aujourd’hui plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été depuis la fin de la Sec­onde Guerre mon­di­ale. Avec plus de mille mil­liards de dol­lars, et sans ennemi attitré, on dépense, vous et moi, deux fois plus d’euros, de dol­lars ou de yuan que du temps de la guerre froide.

Pour faire sim­ple, 1.000 mil­liards, cela représente une colonne de 110 kilo­mètres de bil­lets de 1 000 dol­lars empilés les uns sur les autres sur une dis­tance qui va de Vienne à Bratislava. Les dépenses cumulées con­sacrées à leurs arse­naux par les neuf puis­sances nucléaires (déclarées comme telles) équiv­a­lent grosso modo à 100 mil­liards (de dol­lars). Ces chiffres ne vous dis­ent rien ? Pour compter jusqu’à 100 mil­liards, cela prendrait au lecteur, à rai­son d’une sec­onde par chiffre, beau­coup de temps : 31 000 ans, soit 317 siè­cles ou s’il préfère, 1 500 généra­tions. Si l’on inver­sait le décompte, le lecteur pour­rait remon­ter à l’époque des mam­mouths qui peu­plaient l’hémisphère Nord, une époque précé­dant une nou­velle ère glaciaire.

Les USA, dont les dépenses représen­tent au bas mot 40 % des dépenses mon­di­ales, débloquent chaque année, aux frais du con­tribuable, la même somme que celle investie en pleine Guerre mon­di­ale pour anéan­tir et pul­vériser Hiroshima et Nagasaki. En effet, 28 et 30 mil­liards de dol­lars sont con­sacrés au main­tien en état opéra­tionnel des 3 500 têtes nucléaires. Il leur faudrait d’ailleurs déblo­quer le dou­ble si Wash­ing­ton se décidait à nous débar­rasser des 40 tonnes excé­den­taires de plu­to­nium (Pu).

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Trump veut devenir la plus grande puissance nucléaire, par Joep  BertramsPays-Bas

Que l’USAmérique vive au-​dessus de ses moyens mil­i­taires, cela ne sem­ble pas per­turber outre mesure la dérive du monde. Dans les années 1960, Mar­tin Luther King avait prédit que les bombes de la guerre du Viet­nam engen­dr­eraient en USAmérique des bombes bien à nous : l’inflation et la pau­vreté. Un demi-​siècle plus tard, la leçon n’a pas été retenue. L’organisation ‘Food Not Bombs’, un col­lec­tif né en 1980 dans la région de Boston lors des mobil­i­sa­tions anti-​nucléaires (mil­i­taires) dis­tribue des repas pour les dému­nis. Parmi ceux qui vien­nent grossir les rangs des SDF fig­urent (pour un quart d’entre eux ) les vétérans et anciens com­battants, ceux qui ont été abîmés, esquin­tés et meur­tris en Irak et en Afghanistan. Eisen­hower, à la fin de son man­dat, avait fait observer que ‘chaque canon fab­riqué, chaque navire de guerre mis à flot, chaque fusée lancée représente, en dernière analyse, un vol com­mis au préju­dice de ceux qui ont faim et ne sont pas nour­ris, de ceux qui ont froid et ne sont pas vêtus’. (Every gun that is made, every war­ship launched, every rocket fired, sig­ni­fies in the final sense a theft from those who hunger and are not fed, those who are cold and are not clothed’.

La course et l’effet boomerang

Com­ment en est-​on arrivé là ? La course s’est faite au nom d’une cer­taine ratio­nal­ité économique. La bombe con­sti­tu­ait le meilleur retour mor­tel sur investisse­ment, tel était en tout cas le credo de l’époque si l’on se réfère à la for­mule sur­réal­iste ‘More Bang for the Buck’ (Tirer le max de notre fric), pronon­cée par le secré­taire à la Défense Charles E. Wil­son en 1954. Toute­fois, le dopage au nucléaire per­met de douter de la ratio­nal­ité et du sérieux des prof­i­teurs de cette fuite en avant. Le comble a été atteint avec le pro­jet de pro­duire en série des aéronefs civils à propul­sion nucléaire, inspiré par l’AEC, (l’équivalent US du CEA) et l' U.S. Air Force. Il s’est étalé sur une quin­zaine d’années, de 1946 à 1961. Finale­ment, après avoir dépensé 7 mil­liards de dol­lars, les ingénieurs ont dû se ren­dre à l’évidence que ces engins ne con­sti­tu­aient pas le moyen le plus adéquat pour assurer le trans­port des voyageurs, et que les aéro­ports, en rai­son du flux de pas­sagers, n’étaient pas des sites de prédilec­tion pour entre­poser des déchets.

Ce ver­tige pro-​nucléaire ne doit pas nous faire oublier que les dépenses con­sacrées à l’armement con­ven­tion­nel étaient et sont encore deux fois et demi plus impor­tantes que celles investies dans les dis­posi­tifs et l’infrastructure nucléaires (ref : Cf. Schwartz, Atomic Audit : The Costs and Con­se­quences of US Nuclear Weapons since 1940, Brook­ing Insti­tu­tion). Pour s’approprier une part du gâteau de la manne sécu­ri­taire, tous les coups tor­dus sont per­mis pour épuiser les ressorts économiques des adver­saires.

 Dans le cas des USA, l’amiral Eugene Car­oll, du Cen­tre for Defense Infor­ma­tion, à Wash­ing­ton, résume l’enjeu du con­cours élim­i­na­toire : ‘Au cours des 45 ans de guerre froide, la course fut menée dans le cadre d’une con­cur­rence effrénée avec l’Union sovié­tique. Main­tenant, explique-​t-​il, nous menons une course con­tre nous– mêmes’. Cette façon de jon­gler avec l’absurde n’est pas une exclu­siv­ité US. Saura-​t-​on un jour rameuter les con­sciences y com­pris écologiques sur un peak de destruc­tion mil­i­taire, comme on le fait sur le pic pétrolier (peak oil) ?

Dans ce tour­bil­lon des chiffres

Avec des ventes d’armes qui s’élèvent à 10.500 euros par sec­onde, ten­tons de cerner les prin­ci­pales raisons de cette envolée.

1) Chaque peu­ple a sa con­cep­tion de la sécu­rité, sa con­cep­tion pro­pre. Cer­tains États s’arrogent des respon­s­abil­ités mon­di­ales, d’autres s’en passent volon­tiers. On peut arguer du fait, réal­iste s’il en est, que tous les États ne sont pas exposés aux mêmes men­aces, his­toire et géo­gra­phie oblig­ent. Ainsi, qu’on le veuille au non, l’Iran n’est pas exposé aux mêmes menaces que le Liecht­en­stein, men­aces mil­i­taires com­prises. Même si les aspi­ra­tions à la sécu­rité sont plus ou moins équiv­a­lentes pour un Éthiopien et pour un Chi­nois, il va de soi que les moyens mis en œuvre pour assurer une défense mil­i­taire chez les uns et chez les autres ne peu­vent pas s’appliquer arbi­traire­ment avec des sché­mas ana­logues. Bien sûr, on pour­rait théorique­ment appli­quer à tout le monde (au nom de quelle autorité et avec quel moyen ?) des règles d’interdiction. Mais le réal­isme aidant, on s’aperçoit que le désarme­ment se traduit trop vite, et pas unique­ment le désarme­ment nucléaire, par un pro­gramme de désarme­ment des plus vul­nérables.

Les poids lourds de la scène inter­na­tionale qui bran­dis­sent leurs méga­tonnes comme signe extérieur de richesse éprou­vent le regret­table besoin de désigner à leur peu­ple un ennemi qui soit suff­isam­ment ter­ri­fi­ant pour jus­ti­fier la mise au point d’armes encore plus terrifiantes.

2) La mul­ti­pli­ca­tion des con­flits armés, ici et là, ne con­stitue pas un casse-​tête, mais plutôt un débouché qui néces­site moins de mar­ket­ing que pour écouler des pro­duits surgelés chez les Saami ou les Inuit. Les coûts et blessures de la guerre con­tre l’Irak prou­vent, s’il en était besoin, que pour se débar­rasser d’Armes de Destruc­tion Mas­sive (ADM) qui n’existaient pas, les forces de la coali­tion ont opté pour la solu­tion la plus chère et la moins efficace.

3) L’ONU n’a pas les moyens de son ambi­tion. Le bud­get total de toutes les organ­i­sa­tions et agences en charge du désarme­ment, de la non-​prolifération, de la préven­tion des con­flits pour une seule année équiv­aut à quelques heures de dépenses mil­i­taires dans le monde. Pour enfumer le pub­lic dérouté par ce décalage et pour don­ner quelque crédit à des ONG comme le Bureau Inter­na­tional de la Paix (BIP) à Genève, l’ONU a décidé dès 2011 d’officialiser le 17 avril en tant que journée d’action con­tre les dépenses mil­i­taires

4) Les pri­or­ités retenues accordées par nos dirigeants pour inve­stir dans la sécu­rité ne sont pas évi­dentes pour tous. Au Canada, des pan­car­tes ont été brandies avec la for­mule : ‘Nous avons besoin de H2O et pas de F35’ (en référence à l’avion de chasse du groupe Mar­tin Lock­heed. Les Européens, ou plutôt les 27 États de l’UE parmi les 47 du con­ti­nent (Con­seil de l’Europe) s’arrachent les cheveux à l’idée d’être si peu sol­datesques alors qu’ils brassent la moitié (ou presque) de ce que dépense l’Amérique. Les 194 mil­liards d’euros dépen­sés en 2010 pour la cuirasse de l’U.E. représen­tent l’équivalent de la somme des déficits annuels de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne, comme l’a fait remar­quer Frank Sli­jper, l’auteur d’un rap­port du Transna­tional Insti­tute (TNI) à Ams­ter­dam (cf. Mil­i­tary Spend­ing and EU cri­sis).

Les vain­cus de la Guerre de 39 – 45 ne sont pas devenus des géants économiques parce que libérés du poids des armes, comme le veut la légende. Ils ont rejoint la course et le pelo­ton de tête. L’Allemagne fig­ure aujourd’hui au 3e ou au 4e rang mon­dial parmi les expor­ta­teurs d’armes.

5) Le Japon dis­pose d’un bud­get pour ses forces armées, dites d’auto-défense, qui dépasse désor­mais le bud­get français. Avec un min­istère de la Défense qui s’assume et du matériel de guerre qui n’est plus inter­dit d’exportation, le Japon nor­mal­isé renonce par la même occa­sion à l’autolimitation qui con­sis­tait à ne con­sacrer à ce bud­get qu’1 % de son PIB, une règle que la Diète avait érigée en 1974.

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_15486.jpgManifestation nationale contre les dépenses militaires, Bruxelles, 24 avril 2016

Et l’exception française ?

Si la volonté de puis­sance ne peut faire abstrac­tion des con­tin­gences matérielles, il est de bon ton d’affirmer haut et fort que la sécu­rité n’a pas de prix ; que la dis­sua­sion n’est pas négo­cia­ble ; que notre dis­sua­sion exis­ten­tielle est le ‘min­i­mum vital’ (Sarkozy), qu’il faut ‘dépenser juste’ (Hol­lande). Le débat sur le beurre et les canons et la valeur ines­timable des canons est donc loin d’être clos. Au risque de cho­quer les galon­nés qui seraient ten­tés de pleur­nicher sur la baisse rel­a­tive des bud­gets dans une France au point de sor­tir de l’histoire, le monde de l’armement se porte plutôt ….bien.

À tra­vers le bap­tême de nos sous-​marins, par exem­ple, tout a été entre­pris pour nous faire croire que nous déte­nions de vrais bijoux. Si la marine fait plonger au large de Toulon le Rubis, le Saphir, l’Emeraude, l’Améthyste, la Perle (avec le Casablanca, ce sont les noms des 6 SNA (Sous-​Marins Nucléaires d’Attaque) de la classe Rubis en ser­vice, basés à Toulon), c’est aussi et surtout parce que, comme dirait l’Oréal, ‘nous le val­ons bien !’Cette parade luxueuse, à défaut de nous éblouir, nous a donné quelques longueurs d’avance dans la façon d’impacter le monde. Dans cette com­péti­tion mon­di­ale, les dépenses mil­i­taires par habi­tant sont plus explicites (et moins dif­fusées) que les mon­tants globaux, et la France n’est devancée que par les USA, l’Arabie Saou­dite et le Royaume-​Uni. Le citoyen lambda qui réside ici et paie ses impôts dépense donc 600 dol­lars par an, soit près de 2 dol­lars par jour.

Les Journées d'action mondiales contre les dépenses militaires auront lieu du 18 au 28 avril 2017. Cherchez ici un groupe près de chez vous

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