La présidentielle française 2017 et le crépuscule des « élites »
Par Jean-Yves Jézéquel
Mondialisation.ca
1 – Tout le monde connaît Christophe Barbier, omniprésent sur les plateaux de télévision, ancien éditorialiste au magazine l’Express. Chacun se représente aisément le journaliste qui porte sa perpétuelle étole rouge de la messe des martyrs et qui affiche le visage innocent d’un jeune communiant. Cet homme là nous expliquait récemment que son métier consistait à «affirmer ses certitudes par essence improuvables» et à être «comme un tuteur sur lequel le peuple, comme du lierre rampant, peut s’élever». (Journal du dimanche du 14 avril 2017).
«Se confronter au terrain pollue l’esprit de l’éditorialiste», affirmait-il encore dans la même interview, alors qu’on le questionnait sur la «déconnexion» dont sont régulièrement accusés les journalistes.
Ainsi donc, l’affirmation voulait aussi dire que le seul et unique rôle des lecteurs, c’était d’acheter le journal et d’en rester là ! Le journaliste fixe les sujets «qui comptent». Il précisait encore : «Les lecteurs en ont marre? Peu importe. On en parle, car pour nous, c’est important». Autrement dit : c’est nous les journalistes kapos qui décidons ce qui est important et ce qui ne l’est pas! Nous sommes là pour encadrer le troupeau ou être les tuteurs du peuple, cette mauvaise herbe rampante qu’il faut discipliner…
Barbier s’insurgeait encore contre « l’agaçante jérémiade des “petits” ». C’est ainsi qu’il a titré l’un de ses éditoriaux concernant les candidats du peuple aux élections présidentielles, car « les petits candidats sont inutiles », voire nuisibles.
Les maires qui les ont parrainés, ajoutait-il encore, sont « des élus que motivent la crédulité autant que la charité, la naïveté autant que l’équité » !
Enfin, cela commence à bien faire, selon Barbier, car « le peuple prend goût au triomphe de l’engouement, au règne du caprice » !
Conclusion : Christophe Barbier préconise un « parrainage obligatoire pour les élus nantis du privilège de signature, mais en organisant le relèvement du seuil à 2 000, voire 5 000 paraphes»; la suppression du «remboursement des frais de campagne » ; l’obligation «d’investir 577 candidats aux législatives»…
Après ces déclarations sidérantes, disant brutalement le déni de démocratie, les journalistes continuent de s’étonner des réactions violentes qu’ils suscitent, de la colère à leur égard et de la méfiance légitime généralisée contre les medias qu’ils animent!
2 – Quand on entend cet autre discours demeuré sur la politique ou l’économie politique d’une Vanessa Burggraf dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier, comment ne pas être sidéré par l’aveuglement de cette personne convaincue d’être libre et exprimant pourtant une pure « servitude volontaire », formatée au discours habituel sur la seule conception possible du monde ultra libéral, monde qui pourtant a entraîné avec lui un désastre sans nom. Cette journaliste est comme tant d’autres du monde des « élites » et des medias, dans une croyance qu’elle prend pour du « réalisme », alors qu’on ne peut pas imaginer plus irrationnel que la croyance ! Comment n’aurait-on pas envie de secouer cette journaliste franchement écervelée, parce qu’elle ne voit pas qu’elle cautionne implicitement le malheur, le désastre, l’échec, la faillite d’un système qui ne veut pas se remettre en cause ?!
Dès que quelqu’un pense autrement le monde que comme le veut l’idéologie ultra libérale, il est montré du doigt par Vanessa Burggraf et ses semblables, comme « utopiste », « rêveur », « complotiste » ou simplement « imbécile » qui n’a rien compris… Il est traité de « délirant », elle éclate même de rire, ouvertement, comme devant Philippe POUTOU sur «ONPC» où elle le regardait avec condescendance et pitié avant de le tuer par son mépris et son regard étrangement froid, vide de la moindre flamme d’humanité!
En réalité, elle représente tous ces gens qui ne se sentent pas concernés par la dictature de « l’austérité » : elle a un salaire disproportionné au regard de celui qui concerne la majorité des travailleurs de France et donc, des moyens très confortables de vivre ; elle représente les bobos nantis, bon chic bon genre, qui ne sont pas concernés par l’angoisse des fins de mois difficiles, commençant d’ailleurs dès le début du mois pour 80% de la population française incluant les millions de pauvres qui travaillent pourtant tout autant qu’elle sinon bien plus!
Non seulement cette personne du sérail journalistique ne voit pas l’insupportable injustice de cette situation sociale pour le grand nombre, mais en plus de cela, sa spontanéité lui échappe : elle défend « bec et ongles » le modèle ultra libéral en croyant défendre la « vérité révélée » du dogme sacro saint de la religion de marché dont elle s’est faite une prêtresse toute dévouée! Il est tout à fait certain qu’elle ne joue pas un rôle « d’avocat du diable » par souci d’objectivité journalistique et d’équité dans le rôle que lui donne « ONPC ». Il est bien possible qu’elle ne sache même pas l’importance de son parti pris, tellement le catéchisme ultra libéral a été formaté dans son mental de privilégiée du système…
3 – Quant à Hervé Gattegno, celui-ci disait sur Europe 1, le 19 mars 2017: « …Si on veut un débat sérieux, un débat où on aborde les vrais thèmes, il faut se concentrer sur les candidats qui peuvent prétendre vraiment gouverner le pays. Vous savez, avec onze candidats, dont un complotiste, deux trotskistes et celui qui veut coloniser la planète Mars, ce n’est plus un débat, c’est un jeu télévisé. C’est à dire que c’est au mieux ‘Question pour un champion’, au pire, ‘Le Maillon faible’. Donc, ça ne veut évidemment pas dire que les autres candidats, ceux que l’on appelle les ’’petits candidats’’, n’aient pas droit à la parole dans d’autres cadres, y a des règles pour ça ; et d’ailleurs en France, ces règles sont exagérément contraignantes et même un peu bureaucratiques. Comparé aux autres grands pays, cinq candidats pour débattre des grands enjeux de l’élection, c’est déjà beaucoup. Il ne faut pas confondre la démocratie et la cacophonie ».
Il ne faut pas « confondre la démocratie et la cacophonie ». Pour lui, bien entendu, il est hors de question de limiter les temps d’antenne des « surveillants kapos » du système et leur cuisine journalistique ! Pas question non plus de laisser le peuple faire valoir ses attentes concernant les chaînes d’information en continu ! Après avoir lu de telles déclarations, comment voulez-vous qu’on ait envie d’exprimer du respect pour ces « chiens de garde » du monde des « bien-pensants » fermement décidé à promouvoir le mépris de tout ce qui ne se soumet pas à la pensée unique de l’idéologie ultra libérale dominante?
4 – Les choses s’aggravent encore un peu plus, lorsqu’on écoute ce que dit Alain Duhamel sur Jean-Luc Mélenchon, dans le reportage réalisé par Gérard Miller ! On se demande tout d’abord s’il n’est pas ouvertement de mauvaise foi, tellement le discours est injurieux ! Comment c’est possible ? Comment un homme qui se fait passer pour prestigieux analyste politique, peut-il sortir les inepties déconcertantes qu’il débite avec conviction, comme s’il était devenu soudain débile ou sénile avant l’âge! Le jugement humiliant qu’il prononce sur l’homme politique JL Mélenchon, frise la diffamation et se situe réellement dans la subjectivité outrancière d’un parti pris évident et l’ignorance flagrante d’un devoir de neutralité objective quand on occupe une place comme la sienne !
Ce qui m’étonne le plus, c’est que compte tenu de son âge, de sa fonction et de son « expérience », cet homme pense encore, comme n’importe quel gamin immature, que ses convictions sont une sorte d’équivalence de la vérité indiscutable et la référence universelle de ce qui est juste ! C’est très étonnant de la part de cet homme qui devrait savoir que le contraire d’une vérité ce n’est pas l’erreur mais une vérité contraire et que par conséquent la vérité est toujours relative, comme tout le reste dans ce monde! Personne ne détient la vérité, sauf ceux qui ont un esprit sectaire, pratiquant le sectarisme et pensant que leurs convictions sont indiscutables et normes de vérité non relativisables!
Alain Duhamel est le contraire de la sagesse et finalement un échec spectaculaire en terme de compétence et de crédibilité… Ce n’est pas sa « Légion d’honneur » qui peut nous faire changer d’avis en nous imposant je ne sais quelle « amende honorable », nous obligeant à revenir sur le regard critique qui est le nôtre concernant ses déclarations aberrantes à propos de Jean Luc Mélenchon !
Après un tel constat déplorable, qui dit si bien le crépuscule des « élites », il y a de quoi désespérer des hommes et de la société. Pourquoi ces gens privilégiés ne comprennent-ils rien dans un ordre aussi basique des choses? Comment ne comprennent-ils pas que la complémentarité, loi universelle et essentielle de la vie, implique les différences, les paradoxes et que tout ne doit donc pas être nivelé dans une vision univoque des choses ? Bien entendu, ce n’est pas aussi confortable d’admettre la différence, les oppositions, les contraires, les contradictoires, les antagonismes, les paradoxes que de se situer dans le manichéisme de la pensée néo conservatrice et déterministe du monde ultra libéral.
Ces gens, comme l’exemplaire Alain Duhamel, n’ont toujours pas compris, à leur âge, que c’est une « éthique de conviction » qui complète une « éthique de responsabilité » ; que ce n’est pas en opposant les deux sens complémentaires qu’on est dans le plus juste ! Les deux convictions ne s’opposent pas en réalité, elles se complètent ! Pourquoi cette compréhension paraît être si difficile à admettre par tous ces « faiseurs d’opinions »?
CONCLUSION
La seule réponse valable que j’ai à donner sur le sujet, c’est celle qui dit qu’il y a là une dualité en soi non encore résolue. Si je porte en moi-même le conflit de la dualité, si je n’ai pas découvert l’harmonie de mon anima et de mon animus, j’ai toutes les chances de rester dans cet archaïsme d’une vision duelle, opposée, incompatible entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Sans le savoir, tous ces gens ne font que révéler à l’extérieur le conflit non résolu qu’ils portent à l’intérieur ! Il s’agit de pathologie de la personnalité narcissique. Tous ces gens qui prennent la parole en public devraient d’abord faire un travail considérable sur eux-mêmes avant d’aller polluer l’existence de leurs concitoyens qui ne sont pas là pour encaisser à longueur de temps leurs lacunes, parfois leurs tares et tout ce qui relève de leurs croyances archaïques. Ce que nous attendons légitimement de ces gens-là, c’est leur conscience éveillée traduisant une sagesse positive digne de leur fonction et de leur âge !
Il va de soi que la liste de ces journalistes crépusculaires est interminable : on pourrait encore citer tellement de gens qui sont peut-être malgré eux, les témoins de l’échec culturel d’une civilisation de la répression, de la pensée unique, d’un triomphe des croyances sur la conscience, d’une idéologie de la compétition, de la loi du plus fort sur le plus faible, de l’élimination, de la domination et de la soumission…
A l’occasion de la campagne présidentielle française de 2017, nous avons tout d’abord constaté le crépuscule des « élites », la distance sidérale qui existe entre elles et le peuple souverain qui se réveille d’un long « sommeil de ses puissances ».
Cette campagne électorale, c’est aussi une découverte de la violence d’un monde dominant qui revendique sa supériorité incontestable sur le peuple, condamnant même la manifestation démocratique en soi comme un vulgaire « populisme » mal venu, déplacé, disant ainsi l’outrage vécu par les « élites » comme un crime de lèse-majesté, le renversement du dominant par le dominé… Cette campagne électorale française aura été celle du signal fort donné d’une fin de la grande récréation néo conservatrice et ultra libérale dans tout l’espace Européen ainsi que celui du crépuscule de ses « élites ». Prudence : le prédateur blessé peut encore mordre !
Jean-Yves Jézéquel