Où était Pompeo, le directeur de la CIA, sur la Syrie ?
Par Robert Parry
Consortium News
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Au moment où le Président Trump lançait ses frappes de missiles contre le territoire syrien, ni le directeur de la CIA Pompeo, ni d’autres officiels du renseignement n’étaient à la table, ce qui suggère qu’ils ont des doutes quant à la culpabilité de Bachar el-Assad.
Un obscur mystère enveloppe la photo publiée par la Maison-Blanche, faisant apparaître le président Trump et une bonne douzaine de ses conseillers, en réunion sur son domaine de Mar-a-Lago après sa décision de lancer des missiles Tomahawk contre la Syrie : Où sont le directeur de la CIA, Mike Pompeo, et les autres hauts représentants des services de renseignement ?
Avant la publication de cette photo vendredi dernier, une source m’indiquait que Pompeo s’était personnellement entretenu avec Trump, lui exposant que Bachar el-Assad n’était probablement pas responsable de l’incident au gaz mortel survenu au nord de la Syrie deux jours auparavant – et c’est pour cela que Pompeo fut exclu de la réunion plénière au cours de laquelle Trump décida du contraire.
À ce moment-là, j’ai trouvé l’information douteuse car Trump, le secrétaire d’État Rex Tillerson, et d’autres hauts fonctionnaires des États-Unis affirmaient tous de manière assurée qu’Assad était responsable. Au vu de cette confiance apparente, je supposai que Pompeo et la CIA avaient dû le valider et conclure à la culpabilité d’Assad. Je savais déjà que certains analystes du renseignement américains pensaient au contraire soit que l’incident était un épandage accidentel de produits chimiques, soit un leurre fomenté par les rebelles d’al-Qaïda visant à pousser les E-U à attaquer la Syrie.
Aussi étrange qu’ait pu être l’administration Trump lors de ses premiers mois d’existence, je ne pouvais pas croire que Trump aurait pu écouter l’opinion de la CIA puis chasser le directeur de la réunion qui allait décider des actions militaires à suivre contre un pays qui ne menaçait pas l’Amérique.
Après l’envoi contre la Syrie de 59 missiles Tomahawk, dont les officiels syriens déclarent qu’ils ont tué sept personnes dont quatre enfants, Trump a déclaré platement face au peuple américain :
“Mardi dernier, le dictateur syrien Bachar el-Assad lançait une terrible attaque chimique contre des civils innocents. Assad a pris la vie d’hommes, de femmes et d’enfants sans défense au moyen d’un gaz neurotoxique mortel. Pour beaucoup, ce fut une mort lente et cruelle. Cette attaque barbare a même ôté la vie de bébés magnifiques. Aucun enfant de Dieu ne devrait jamais avoir à subir de telles horreurs.”
Quels que soient les gains politiques que puisse récolter Trump à attaquer la Syrie – allant jusqu’à récolter des lauriers de ses critiques les plus fervents – l’idée qu’il ignorerait l’opinion de la communauté du renseignement des États-Unis sur une question de guerre ou de paix était, selon moi, difficile à croire.
Aussi, je commençai par mettre de côté ce que cette source m’avait dit sur cette rencontre Pompeo-Trump de la discorde. Je traitai cette information comme venant de quelqu’un qui n’a pas les informations de source sûre, et qui n’a pas bien perçu la situation.
Après tout, dans quasi toutes les situations similaires que j’ai pu couvrir au cours des dernières dizaines d’années, le directeur de la CIA ou le directeur du renseignement national ont eu un rôle de premier plan à jouer dans le processus de décision dépendant fortement des analyses et actions de la communauté du renseignement.
Par exemple, sur cette célèbre photo de 2011, où le Président Obama et son équipe attendent les résultats du raid qui tua Oussama ben Laden, le chef d’al-Qaïda, le directeur de la CIA Leon Panetta est au centre des regards de l’assemblée.
Même quand le gouvernement des États-Unis présente des informations fausses, comme en 2003 quand le secrétaire d’État Colin Powell étala des preuves fallacieuses de l’existence d’armes de destruction massive en Irak, le directeur de la CIA – George Tenet – était assis derrière Powell pour étayer ses mensonges.
Autour de la table
Mais sur cette photo de Trump et de ses conseillers, aucun membre des services de renseignement n’apparaît. On y voit Trump, le secrétaire d’État Tillerson, le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster, le chef de cabinet de la Maison-Blanche Reince Priebus, le conseiller en stratégie Steve Bannon, son beau-fils Jared Kushner et divers autres responsables, dont quelques conseillers économiques qui étaient présents à Mar-a-Lago pour la rencontre avec le président chinois Xi Jinping.
Mais quoi qu’il en soit, on n’y voit ni Pompeo ni Dan Coats, le directeur du renseignement national, ni aucun représentant des services de renseignement. Cette étrangeté a été remarquée jusque par le New York Times, qui a écrit : “Si des conseillers de la CIA ou d’autres services de renseignement avaient été présents, … ils ne sont pas sur la photo.”
Et cela m’a amené à m’interroger : et si ma source originelle avait raison ? Pompeo, directeur de la CIA, aurait pu faire part à Trump en personne de son analyse qu’Assad n’était pour rien dans l’incident, mais – en écartant Pompeo – Trump aurait fait connaître sa propre version du renseignement à son état-major.
En d’autres termes, ma source me disait que la version de Pompeo n’était pas parvenue aux oreilles des autres hauts responsables, mais qu’ils avaient plutôt reçu un compte-rendu de deuxième main du président. Trump aurait-il préféré s’appuyer sur les certitudes suffisantes des émissions de télévision et de la presse nationale, selon lesquelles Assad serait coupable, plutôt que de s’appuyer sur les analyses de ses services de renseignement ?
Après l’attaque, c’est le secrétaire d’État Tillerson, qui ne représente pas l’institution du renseignement et a peu d’expérience avec les finesses du monde du renseignement, qui déclarait que la communauté du renseignement des États-Unis avait conclu avec “un haut degré de confiance” que le gouvernement syrien avait largué une bombe chimique sur des civils dans la province d’Idleb.
Bien que les déclarations de Tillerson s’intègrent parfaitement à la pensée de groupe formée à la hâte par Washington, il est difficile de croire que les analystes de la CIA aient atteint une telle conclusion aussi rapidement, surtout au vu de l’éloignement de l’incident, et au vu du fait que les premières informations à ce sujet provenaient de sources pro rebelles (ou d’al-Qaïda).
Du coup, une grave question est de savoir si le président Trump aurait reçu cette conclusion “d’un haut niveau de confiance” de la part des agences de renseignement, ou s’il aurait écarté Pompeo pour éliminer un obstacle à sa décision de lancer l’attaque de missiles du 6 avril.
Si tel était le cas, une telle supercherie, pire que tout ce qu’on a pu voir au cours de ces deux premiers mois de l’administration Trump, pourrait ouvrir la voie à une destitution – ignorer délibérément les opinions des services de renseignement pour que le président puisse lancer une attaque de missiles politiquement favorable (quoiqu’illégale) qui a tué des syriens.
Le journaliste d’investigation Robert Parry a produit de nombreux articles sur l’affaire Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.
Source: Consortiumnews.com, le 08/04/2017