En condamnant le Qatar, Trump met le feu au Moyen-Orient
Par M K Bhadrakumar
Blog rediff.com
Traduction : Avic – Réseau International
Dans une prestation choquante selon ses propres normes, le président américain Donald Trump s’est acharné sur le Qatar en termes incendiaires l’accusant d’être un état soutenant le terrorisme et le classant comme adversaire des États-Unis.
Ne vous méprenez pas, ce n’était pas un Twitter matinal, ni une « tirade à la Trump » sur un terrain de golf en Floride le week-end. En fait, croyez-le ou non, cela se passait pendant qu’il lisait un texte préparé et rédigé à l’avance par les aides de la Maison Blanche pour une conférence de presse conjointe avec son hôte le président roumain Iohannis le vendredi à Washington – et c’était tout à fait hors contexte – comme si Trump faisait une déclaration de politique générale:
- J’ai prononcé un discours à un sommet devant plus de 50 dirigeants arabes et musulmans – une rencontre unique dans l’histoire des nations – où les principaux acteurs de la région ont convenu de cesser d’apporter leur soutien au terrorisme, que ce soit un soutien financier, militaire ou même moral.
- Le Qatar, malheureusement, a toujours été un bailleur de fonds du terrorisme à un niveau très élevé, et à la suite de cette conférence, des pays se sont réunis et m’ont parlé de leur opposition au Qatar du fait de son comportement. Nous avions donc une décision à prendre: Est-ce que nous prenons la voie facile, ou allons-nous enfin prendre des mesures difficiles, mais nécessaires ? Nous devons arrêter le financement du terrorisme. J’ai décidé, avec le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, nos grands généraux et les militaires, que le moment était venu d’appeler le Qatar à mettre fin à son financement – ils doivent mettre fin à ce financement – et à son idéologie extrémiste en termes de financement.
- Je veux appeler toutes les autres nations à cesser immédiatement de soutenir le terrorisme. Arrêtez d’enseigner aux gens à tuer d’autres personnes. Arrêter de remplir leur esprit de haine et d’intolérance. Je ne nommerai pas les autres pays, nous n’avons pas fini de résoudre le problème, mais nous allons résoudre ce problème. Nous n’avons pas le choix.
- Ceci est ma grande priorité, car c’est mon premier devoir en tant que Président de garder notre peuple en sécurité. Vaincre Daech et d’autres organisations terroristes est quelque chose que j’ai souligné tout au long de ma campagne et jusqu’à aujourd’hui. Pour ce faire, arrêtez le financement, arrêtez d’enseigner la haine, et arrêtez les tueries.
- Pour le Qatar, nous voulons que vous reveniez dans l’unité des nations responsables. Nous demandons au Qatar, et à d’autres pays de la région de faire plus et le faire plus vite.
- Je tiens à remercier l’Arabie Saoudite, et mon ami, le roi Salman, et tous les pays qui ont participé à ce sommet hautement historique. Il était vraiment historique. Il n’y a jamais eu quelque chose de semblable avant et peut-être qu’il n’y en aura jamais de nouveau. Espérons que ce sera le début de la fin du financement du terrorisme. Ce sera donc le début de la fin du terrorisme. Plus de financement. (La vidéo de la conférence de presse est ici .)
Prima facie, Trump a donné un avertissement brutal au Qatar – « CAPITULEZ – SINON … » Cela s’est passé le lendemain de la déclaration provocante du ministre des affaires étrangères du Qatar Cheikh Mohammed bin Abdulrahman al-Thani qui disait que son pays n’était « pas prêt à se rendre, et ne sera jamais prêt à se rendre, l’indépendance de notre politique étrangère ».
Donc, ne vous trompez pas, c’est maintenant un face-à-face les yeux dans les yeux. Soit c’est le POTUS qui baisse les yeux – soit c’est l’émir du Qatar. La communauté internationale retiendra son souffle.
En second lieu, Trump n’a pas seulement souligné son soutien aux décisions des Saoudiens et des Emiratis contre le Qatar, il a pratiquement admis qu’il était tout à fait sur la même ligne que la voie de confrontation empruntée par le roi Salman. En effet, Trump se rétracte de sa propre offre qu’il avait faite un peu plus tôt, le mardi, pour une médiation entre l’Arabie Saoudite et le Qatar (que Riyad avait ouvertement rejeté.) En fait, Trump a révélé que la démarche saoudienne contre le Qatar émanait des discussions lors de sa visite à Riyad il y a trois semaines.
Troisièmement, Trump pourrait avoir lancé un avertissement à la Turquie pour dire que le prochain pourrait bien être le président Recep Erdogan. Trump a dit: « Je ne vais pas nommer d’autres pays, mais nous n’avons pas fini de résoudre le problème, mais nous allons résoudre ce problème. Nous n’avons pas le choix. » Maintenant, Erdogan a clairement déclaré que le blocus saoudien contre le Qatar doit être levé .
Le fait est que Trump s’est exprimé tout de suite après la décision de M. Erdogan jeudi de déployer des troupes turques au Qatar et, plus important encore, son rejet de la qualification antérieure de Trump (lors de la visite à Riyad) des Frères musulmans comme une organisation terroriste. Erdogan insiste sur le fait que les frères représentent un mouvement idéologique. Les tensions croissantes entre les Etats-Unis et la Turquie, deux alliés de l’ OTAN, acquièrent maintenant une dimension supplémentaire.
Le fond du problème c’est que l’AKP, le parti au pouvoir de Erdogan, a de fortes affinités idéologiques avec les Frères musulmans et soutient avec véhémence l’organisation comme la source du « printemps arabe » de ces dernières années. Erdogan a même mis en péril les relations de la Turquie avec l’Egypte suite à l’éviction du gouvernement des Frères musulmans sous Mohamed Morsi dans un coup d’Etat militaire en 2013. (Lire un résumé perspicace dans le journal Hurriyet sur le lien de la Turquie avec les Frères – Les Frères qui divise le monde musulman .)
Enfin, le plus important, Trump a fait allusion à des intérêts stratégiques. Il a signalé en particulier qu’il a consulté à la fois le secrétaire d’Etat Rex Tillerson et « nos grands généraux et les militaires » pendant qu’il décidait que « le moment était venu d’appeler le Qatar à mettre fin à son financement – ils doivent mettre fin à ce financement – et à son idéologie extrémiste en termes de financement ». Il a laissé entendre que les Etats-Unis le feront respecter par le Qatar par des moyens coercitifs, le cas échéant.
Sans doute, le Commandement central des États-Unis, dont le siège est au Qatar, est directement affecté par la crise du Qatar. Trump faisait-il allusion à une intervention militaire des États-Unis au Qatar? C’est la grande question.
La seule explication charitable pourrait être que l’administration Trump, sur les conseils du Pentagone, pourrait être encline à accepter l’offre financière somptueuse reçue des cheikhs émiratis pour accueillir le Commandement central des États-Unis HQS sur le territoire des EAU.
Le mercredi, Trump a eu une conversation téléphonique avec le prince héritier des Émirats Arabes Unis Mohamed bin Zayed Al Nahyan au cours de laquelle, selon la Maison Blanche, ils étaient « d’accord sur l’importance de mettre en œuvre les accords signés à Riyad pour lutter contre l’extrémisme et lutter contre le financement des groupes terroristes. En outre, le Président a souligné l’importance de maintenir un Conseil de coopération du Golfe Uni pour promouvoir la stabilité régionale, mais jamais au détriment de l’élimination du financement de l’extrémisme radical ou la lutte pour vaincre le terrorisme. » De toute évidence, le sujet était sur les rails et et cela signifiait museler Qatar. Le lendemain, l’Arabie Saoudite et ses alliés ont annoncé une liste de cinq douzaines de personnalités basées au Qatar et une douzaine d’entités de marque qatari comme étant liées à des activités terroristes.
Ce qui est sûr, c’est que les plaques tectoniques de la géopolitique du golfe Persique sont en train de se déplacer. Si les choses se gâtent et que les Etats-Unis interviennent militairement au Qatar sous prétexte de lutte contre le terrorisme – ou, alternativement, dirigent de l’arrière une invasion saoudo-émiratie du Qatar – ce sera un événement cataclysmique qui plongera la région du Moyen-Orient dans de grosses turbulences. Et bien sûr, l’instabilité au Qatar a des conséquences sur le marché pétrolier mondial.
Mais une intervention directe des États-Unis aura besoin de l’approbation du Congrès, ce qui est peu vraisemblable. L’opinion publique américaine milite contre un plus grand chambardement dans le Moyen-Orient musulman. D’autre part, si le commandement central américain déplace ses HQS hors du Qatar, les grands réalignements deviennent inévitables dans la région du Golfe Persique. La nature géopolitique a horreur du vide – et, la Russie, la Turquie et l’Iran regarderont les prochaines actions de Trump de très très près.