Tout récemment, Jeff Davis, porte-parole du Pentagone, a fait savoir à Reuters que les USA étudient l’option d’envoyer 4000 soldats supplémentaires en Afghanistan.

Au même moment, l’ancien vice-chef d’état-major de l’US Army et un général quatre étoiles à la retraite, Jack Keane, traitaient la campagne militaire de 16 ans en Afghanistan de « honte », et constataient qu’une troupe de quatre mille hommes de plus ne changera rien à la situation là-bas. Le quatre étoiles retraité est convaincu qu’il est insensé de faire un truc qui ne fera pas pencher la balance en faveur de Washington, et que le Pentagone doit envoyer au moins 10 à 20 000 hommes s’il veut s’attaquer à la situation.

On peut se rappeler que l’agression militaire US a débuté le 7 octobre 2001, et qu’elle était prétendue répondre aux attentats terroristes du 11 septembre à l’époque. Au plus fort de la campagne militaire en Afghanistan, 100 000 hommes de troupes US étaient déployés là-bas. C’était une force armée mixte, composée de 20 brigades tout armées et équipées – une armée considérable.

Il était prévu au départ que les forces US et de l’OTAN règlent rapidement le sort des extrémistes afghans, tout en restaurant l’ordre dans le pays. Seize ans se sont écoulés depuis le jour où ce plan a été annoncé, mais pas grand chose n’a changé en Afghanistan. Les Talibans, même s’ils ont perdu le pouvoir, ont réussi à conserver leur potentiel combatif, et ils sont passés à la guérilla. Pour empirer les choses, il y a quelques années, l’État Islamique a lancé ses propres opérations là-bas.

Il n’est guère secret que l’invasion de l’Afghanistan par les USA a fichu le chaos et la destruction dans le paradigme de la sécurité régionale.

Mais qu’a gagné Washington en lançant une guerre qui se traîne depuis tant d’années ?

Les USA ont dépensé près de mille milliards de dollars dans le bombardement de régions désertiques et d’alpages et, ils ont perdu près de 3500 hommes. Dans l’affaire 20 000 civils au total ont été tués. Mais, selon des rapports officiels, qui sont, il faut bien le dire, plutôt imprécis, plus de 670 000 Afghans ont quitté le pays en 2016. Les drones US attaquent tout ce qui bouge. Quant au personnel militaire US et ses alliés, ils se déplacent d’un abri à l’autre exclusivement à bord de véhicules blindés formant de longs convois. Les bases militaires US ressemblent de l’extérieur à des forteresses assiégées du Moyen Âge.

En mai dernier, l’Inspecteur général spécial désigné pour la reconstruction de l’Afghanistan, John F. Sopko, a ébranlé le Capitole en fournissant au Congrès un rapport sur la situation dans le pays. Ce rapport montre en particulier que toute les mesures prises par les USA pour l’Afghanistan, celles qui tourne autour de l’idée que Washington doit former une administration et une armée nationales compétentes, ont fait fiasco. Il est toutefois peu probable que cela étonne quiconque en dehors du cercle washingtonien, puisque la plupart d’entre nous avons à l’esprit des échecs similaires, comme la tentative de Washington de former un État irakien abouti et une opposition syrienne compétente.

Mais l’ampleur du fiasco afghan a même choqué les membres du Congrès et les sénateurs, qui semblent pourtant habitués à toutes sortes d’échecs. Après seize ans de guerre ininterrompue, l’Afghanistan reste plongé dans un conflit sanglant, avec des pertes étonnamment élevées dans les forces de sécurité et la population civile

L’US Army subit aussi des pertes, mais ce n’est pas de la faute des Talibans. Les soldats US sont plutôt tués par l’analphabétisme et l’incompétence de la fameuse armée afghane, qui a été formée par des instructeurs US. Parmi les cas récents, il y a deux agents des forces spéciales US morts et un autre blessé, et ce n’est que l’exemple d’une affaire de tir fratricide que le Pentagone doit reconnaître officiellement.

En avril dernier, l’armée de l’air US a lâché une monstrueuse bombe, Massive Ordnance Air Blast, connue aussi  [aux USA, pas en Russie, NdT] sous le nom de « mère de toutes les bombes », qui a détruit une petite installation dans la province de Nangarhar.

Étant donné que ni le Pentagone, ni les Taliban, ni Kaboul, ni l’État Islamique n’ont commenté de quelque manière que ce soit le déploiement d’une des charges non nucléaires les plus puissantes, on peut qualifier cet événement de test de routine d’équipement militaire, bien que la campagne de propagande qui a suivi à travers les USA, visait à persuader la partie la plus ignare de la population, que Washington remportait des succès majeurs dans sa fameuse guerre au terrorisme [personnelle, NdT].

L’Afghanistan reste le plus grand producteur mondial de drogues. En fait, c’est un monopole qui produit environ 80% de l’héroïne du marché noir. La production d’héroïne afghane a été multipliée par cinquante depuis l’invasion ! Devant cela, la production des cartels de drogue colombiens et mexicains ne sont que des décors en carton-pâte coloré pour films hollywoodiens où de courageux policiers luttent contre la criminalité. Il est singulier qu’à l’époque où les Talibans sont arrivés au pouvoir, il y a plus de vingt ans, il ont réussi, grâce à des mesures cruelles, à éliminer la grande majorité des producteurs de drogues du pays. Or, après l’invasion, en soudoyant les responsables corrompus embauchés par Washington, les narcotrafiquants sont revenus en grâce. Selon l’Office contre la drogue et le crime des Nations Unies (UNODC), la valeur brute potentielle du commerce de l’opium atteint 1,56 milliard de dollars, soit 7,4% du PIB de l’Afghanistan.

Après de dures palabres à l’intérieur du bureau de la sécurité nationale US, les représentants de la Maison Blanche ont annoncé officieusement que le temps d’appliquer une nouvelle stratégie dans la guerre afghane est venu. Et bien que pendant sa campagne électorale, Trump en personne préconisait le renvoi là-bas de troupes, l’héroïne afghane est toujours un problème US.

Selon les représentants de l’administration Trump, la « nouvelle stratégie proposée en Afghanistan » alliera les objectifs US avec le plan ambitieux réussi du Président Ashraf Ghani Ahmadzai, qui prévoit la refonte du gouvernement et ce qui en résultera : la récupération des territoires contrôlés par les Talibans. En même temps, la stratégie vise à obtenir un accord de paix avec les Talibans, mais en situation de force et sous pression militaire, afin d’imposer la négociation.

Et devinez quoi, selon des proches de Trump, la nouvelle stratégie n’est pas bon marché. Washington prévoit de dépenser au moins 23 milliards par an pour sponsoriser diverses initiatives en Afghanistan, en particulier pour l’entretien de la police et de l’armée afghanes, et des services policiers et forces spéciales chargées de lutter contre la corruption.

Il est très important que la nouvelle stratégie diverge complètement de celle de l’ancien président Barack Obama, qui voulait le retrait des troupes. Au lieu de cela, d’autres militaires US seront encore envoyés au combat.

Dans ces conditions, on dirait que la campagne militaire la plus longue de l’histoire US en est tout bonnement à ses débuts, car l’héroïne est chère et sa commercialisation juteuse, non seulement pour les narcotrafiquants afghans, mais aussi pour certains « dealers » étasuniens.

Quant au financement de la « nouvelle stratégie » en Afghanistan, il va sans dire que le contribuable sera l’obligé de Washington.

NEO, Jean Périer

Jean Périer est chercheur indépendant, analyste et expert renommé sur le Proche et Moyen Orient, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.