Article extrait de la Revue de presse n°5
Dans un rapport paru jeudi 20.07.17, Amnesty International (AI) a dénoncé la détention au secret et la torture par les forces de sécurité camerounaises des prisonniers soupçonnés de faire partie du groupe armé Boko Haram. D'après Médiapart, AI notait également la présence de militaires français et étatsuniens sur une base utilisée comme centre de détention à Salak, dans le nord du pays.
"Nous ne pouvons pas être à 100% sûrs que les Etatsuniens ont été au courant de la torture," a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheur principal d'Amnesty International repris par The Intercept. "Mais notre preuve démontre qu'à Salak ces pratiques arrivent dans des endroits qui sont accessibles et peuvent être visibles par le personnel étatsunien et d'autre personnel étranger."
Le Monde précise quant à lui que des militaires dépêchés par Washington et Paris, pour appuyer l’effort de guerre camerounais, ont été aperçus sur cette base par des chercheurs d’AI ou par des détenus à travers « les trous qui servaient de fenêtres » à leur cellule.
Toujours selon Le Monde, face à ces allégations, l’ambassade des Etats-Unis à Yaoundé a répondu à l’ONG que certaines unités du BIR, sur lesquelles existent « des informations crédibles de violations massives des droits de l’homme », ne bénéficient plus de l’assistance étatsunienne. L’ambassade de France n’a pas encore donné suite.
« Dès qu’il est question de Boko Haram, les chancelleries occidentales et les Nations unies sont très timides sur les principes fondamentaux », constate Ilaria Allegrozzi. Les autorités camerounaises, après s’être montrées dans un premier temps ouvertes aux échanges avec l’organisation de défense des droits de l’homme, semblent désormais rétives à la critique. Fin mai, les délégués d’Amnesty International n’ont pu rencontrer aucun représentant du gouvernement à Yaoundé et leur conférence de presse a été interdite à la dernière minute.
La torture n'est pas nouvelle au Cameroun et remonte à l'époque coloniale dont ce pays françafricain a gardé un certain savoir faire. (Lire à ce sujet, pour ceux qui souhaitent avoir une perspective historique : Gestapo, napalm et massacres français au Cameroun (1956-1971) dans la plus grande indifférence).
Maintenant il est fort probable que ces méthodes soient inspirées des méthodes françaises de guerre contre-insurrectionnelle ou antisubversive théorisée par Lacheroy et sophistiquée par Trinquier puis appliquée en Algérie et au Cameroun, dont l'Etat français sous De Gaulle a exporté le savoir faire aux Etats-Unis puis en Amérique latine et qui récemment avec la politique impérialiste effrénée des néocons a également été appliquée en Irak et en Afghanistan.
"L'armée française, (fut) la première à théoriser la doctrine (de guerre contre-insurrectionnelle) lors de la guerre d'Algérie, qui l'appelait alors « guerre contre-révolutionnaire », en référence à la guérilla théorisée par Mao Zedong, pour qui le guérillero devait vivre dans la société civile comme un « poisson dans l'eau ». Par la suite, les Américains, aussi bien des États-Unis que d'Amérique latine, ont préféré parler de contre-insurrection ou de guerre contre-insurrectionnelle."(Wikipedia).
Marie Dominique Robin dans un documentaire diffusé par Arte « Escadrons de la mort: l’école française » (cf. vidéo ci-dessus) a révélé la filiation entre la politique de « lutte contre le terrorisme » développé par le président Bush après les attentats du 11 septembre, et celle conduite par les militaires et le gouvernement français pendant la guerre d’Algérie mais aussi du Cameroun.
Lire l'interview de Marie-Dominique Robin sur ce qui est communément appelé "la french school" sur Arte : "Dès 1957, de nombreuses armées étrangères, intéressées par ce qu’on appelle la « french school », envoient des officiers se former en France : Portugais, Belges, Iraniens, Sud-Africains, ou Argentins… Certains iront en Algérie suivre des cours au Centre d’entraînement à la guerre subversive, qu’on surnommait “ l’école Bigeardville ”, inauguré le 10 mai 1958 dans le hameau de Jeanne-d’Arc, près de Philippeville, par Jacques Chaban-Delmas, éphémère ministre des armées. Pendant la guerre d’Algérie, le nombre de stagiaires étrangers à l’École supérieure de guerre à Paris augmente (avec un pic en 1956-1958), dont beaucoup de latino-américains (24% de Brésiliens, 22% d’Argentins, 17% de Vénézuéliens et 10% de Chiliens) et ils font des “ voyages d’information ” en Algérie. Parmi eux, par exemple, de 1957 à 1959, figure le colonel argentin Alcides Lopez Aufranc que l’on retrouvera en 1976 dans l’entourage du général Videla. À l’inverse, dès 1957, en pleine Bataille d’Alger, deux lieutenants-colonels français spécialistes de la guerre révolutionnaire sont envoyés à Buenos Aires, et, en 1960, un accord secret élaboré sous la houlette de Pierre Messmer, ministre des armées (que j’ai pu interviewer) crée une “ mission permanente d’assesseurs militaires français ” en Argentine, chargée de former les officiers à la guerre antisubversive : elle sera active jusqu’en 1980, quatre ans après le coup d’Etat du général Videla. "
Toutefois l'action militaire française au Cameroun, ajoute les références nazies à la guerre antisubversive qui en les intégrant évoluera vers l'application de la théorie de de la "guerre psychologique" et de la "guerre totale" de Ludendorf compagnon d'Hitler. C'est aussi l'expérimentation de la guerre psychologique et révolutionnaire par l'armée française au Cameroun qui évoluera vers la "guerre totale" inspirée des méthodes nazis.
Le Canard Enchaîné 27 avril 2011 "Une guerre française au Cameroun cachée pendant quarante ans"
Références nazies A l'approche de l'indépendance promise en 1960 par de Gaulle, la France met en place une administration néocoloniale. On installe ainsi le président Amadou Ahidjo, et l'on dote le pays d'une Constitution sur mesure, assortie d'accords secrets d'assistance militaire. Les conseillers du Président sont nommés par les Français. Au nombre desquels Samuel Kamé, qui avoue son admiration pour les régimes fascistes et cite volontiers Hitler et Goebbels. C'est avec ces alliés que Paris prépare son ultime opération avant de retirer le gros de ses troupes : la liquidation de l'UPC, qui persiste à combattre pour une authentique indépendance. Camps à l'allemande Depuis la fin 1959, les opérations antiguérilla se sont intensifiées. La torture n'a plus pour seul but de faire parler les chefs maquisards, elle devient systématique à l'égard des opposants. Gégène, baignoire, balançoire, importées d'"Indo" ou d'Algérie, sont pratiquées dans tous les postes de police. Des prisonniers sont jetés vivants dans les chutes d'eau de la rivière Metchié. L'un deux, en tombant entraînera d'ailleurs dans la mort un gendarme français. Des camps de concentrations sont édifiés. Ancien haut-commissaire (il sera plus tard ambassadeur, puis maire de Cannes), Maurice Delaunay évoque, dans ses Mémoires, celui de Bangou : "J'avais été prisonnier en Allemagne, je savais comment ça se passait ! J'avais fait un camp avec des barbelés, des miradors". Il abrite 700 à 800 détenus, gardés par des gendarmes français et camerounais...
Sur la guerre totale française et la torture systématique au Cameroun sous le général de Gaulle et son supplétif camerounais Ahidjo visualiser le documentaire à partir de 32'00
Pour ne pas forclore l'histoire, il convient d'intégrer en quoi ce passé récent influence le présent actuel. En effet le régime dictatorial installé par l'Etat français au Cameroun après les "indépendances" est toujours en place,
Le Monde du 23 juin 2008 Comment le Cameroun est passé de la colonisation à la dictature
"La France choisit le futur président Ahidjo, non sans avoir tout fait pour écraser le principal parti d'indépendance, l'UPC (Union des populations du Cameroun)... La répression contre l'UPC est d'une extrême violence : tortures, assassinats, exposition des têtes coupées des victimes, bombardements...Epaulées par l'armée française, les forces camerounaises appliquent ses méthodes. Dix années de terreur et des centaines de milliers de morts seront nécessaires pour venir à bout de l'opposition. Aujourd'hui, Paul Biya, héritier du régime Ahidjo, conservce le soutien de la France".
Et devrait-on ajouter, sans doute ses méthodes.
Selon le chercheur français, Gabriel Péries, cette guerre totale ou guerre révolutionnaire fut également appliquée durant le génocide rwandais en 1994. (Gabriel Périès est l’auteur d’une thèse sur la guerre révolutionnaire : De l’action militaire à l’action politique, impulsion, codification et application de la doctrine de "la guerre révolutionnaire" au sein de l’armée française (1944-1960), Université de Paris I). Pour Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro puis à Afrique XXI, l'armée française a mis en place une stratégie de guerre totale au Rwanda en 1991 pour lutter contre l'avance du FPR : En 1991, le colonel Gilbert Canovas, conseiller officieux de l’armée rwandaise, dresse un bilan de son action : « la mise en place de secteurs opérationnels afin de faire face à l’adversaire (...) ; le recrutement en grand nombre de militaires de rang et la mobilisation des réservistes, qui a permis un quasi-doublement des effectifs ; la réduction du temps de formation initiale des soldats limitée à l’utilisation de l’arme individuelle en dotation. » Il souligne également que « l’évident avantage concédé » aux rebelles au début des hostilités « a été compensé par une offensive médiatique » menée par les Rwandais à partir du mois de décembre 1991.Saint-Exupéry déduit : « "Secteur opérationnels", cela signifie "quadrillage". "Recrutement en grand nombre", cela signifie "mobilisation populaire". "Réduction du temps de formation", cela signifie "milice". "Offensive médiatique", cela signifie "guerre psychologique". ». L’implication des militaires français est particulièrement visible en février-mars 1993, avant le génocide, dans le cadre de l’« opération Chimère ». L’objectif du détachement Chimère est« d’encadrer et de commander indirectement une armée d’environ 20 000 hommes ». (Voltaire.net L'inavouable responsabilité française au Rwanda).
D’après le rapport de la Mission d’information parlementaire française sur le Rwanda de 1998 « un officier français estime que cette mission est sans doute la première application à grande échelle, depuis vingt ans, du concept d’assistance opérationnelle d’urgence, et attribue ce mérite à la bonne connaissance du Rwanda par les hommes du 1er RPIMa ».
À la tête de l’unité Chimère, le colonel Didier Tauzin avec « une vingtaine d’officiers et de spécialistes du 1er RPIMa », une unité dépendant du 11e Choc, le service Action de la DGSE créé par le général Paul Aussaresses. Pour Saint-Exupéry, la France n’a certes pas assassiné les Tutsis. Mais « nous avons instruit les tueurs. Nous leur avons fourni la technologie : notre "théorie". Nous leur avons fourni une méthodologie : notre "doctrine". Nous avons appliqué au Rwanda un vieux concept tiré de notre histoire d’empire. De nos guerres coloniales. Des guerres qui devinrent "révolutionnaires" à l’épreuve de l’Indochine. Puis se firent "psychologiques" en Algérie. Des "guerres totales". Avec des dégâts totaux. Les "guerres sales" ».
La torture dans le régime néocolonial et françafricain du Cameroun est une vieille tradition coloniale et néocoloniale française qui perdure encore de nos jours et encore plus si il y a une menace terroriste dans la région, mais il n'est pas impossible que ces méthodes soient inclus dans une stratégie franco-étatsunienne plus globale de guerre antisubversive voire totale contre les terroristes de Boko Haram.
En sachant que Boko Haram est financé par les Etats du Golfe et que ces derniers pays dont l'Arabie saoudite sont armés et soutenus politiquement par la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, on ne manquera pas d'être stupéfait de la complexité de la situation géopolitique et du terrorisme qui frappe l'Afrique après la destruction de la Libye par ceux-là même qui soutiennent les Etats du Golfe qui sponsorisent le terrorisme islamique de par le monde.
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- L'EI accepte l'allégeance de Boko Haram (La Presse.ca)