Trump : le narcissique et ceux qui le haïssent
Par David Marks
Consortium News, 30-05-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
David Marks, Consortium News, 30-05-2017
De bien des façons, le président Trump illustre le cas classique du paranoïaque avec des ennemis, hormis qu’il est aussi un narcissique qui rejette toute critique et ne sait pas se discipliner pour désarmer un bataillon de détracteurs, écrit David Marks.
Si, pendant un instant, nous laissons de côté la dynamique des forces politiques en jeu à Washington et considérons l’étrange profil psychologique du président, nous nous rendons compte que Donald Trump apparaît comme l’architecte principal de sa propre chute.

Le président Donald Trump et la première dame Melania Trump posent pour une photo avec des religieux, le 22 mai 2017, dans l’Église du Saint Sépulchre à Jérusalem ( Photo officielle de la Maison Blanche de Sheelah Craighead )
Que les allégations sur l’ingérence russe dans l’élection américaine ou la collusion russe avec la campagne Trump soient vraies ou non, la controverse a contribué à mettre en lumière les limitations de Trump en tant que dirigeant politique dans l’environnement extrêmement stressant de la Maison Blanche.
En ce sens, les inquiétantes pratiques personnelles et commerciales de sa vie privée n’ont fait que devenir plus inquiétantes et plus manifestes à mesure qu’il les transpose à la présidence et à l’immense pouvoir qu’elle procure. Il ne se rend pas compte, apparemment, que ses anciennes méthodes sont incompatibles avec ses nouvelles fonctions.
En fait, depuis son investiture, les mots et la conduite de Trump traduisent une aggravation de son dogmatisme et de son narcissisme. Des rapports préoccupants émanant de la Maison Blanche font apparaître encore plus nettement l’inadéquation entre la façon de fonctionner de Trump et les exigences de la présidence.
L’indignation vertueuse de Trump contre toute critique et sa réticence à faire des compromis est la marque d’un dirigeant qui croit être au dessus des lois et des normes de la société. Mais malheureusement pour Trump, comme pour tous les présidents des États Unis, tout ce qu’il fait est sans cesse passé au crible. Dans le cas de Trump, cependant, il ne dispose pas de conseillers chevronnés capables de le modérer. Bien au contraire, ses aides et ses alliés du Congrès encouragent son arrogance. Ses confidents semblent incapables de contredire ses opinions.
Personne ne paraît capable de l’empêcher de débiter, souvent dans des tweets du petit matin, des commentaires qui vont s’avérer dommageables : ainsi à plusieurs reprises a-t-il contesté des déclarations de la Maison Blanche qui visaient à soutenir sa position. Ses réactions aux rapports d’actualités préjudiciables rappellent sa campagne, qui réussissait souvent à être à la fois autosatisfaite et autodestructrice.
L’année dernière, au moment le plus difficile de sa campagne, après la publication d’un enregistrement qui révélait son approche crue pour séduire les femmes, Trump a dû se défendre. Son explication de l’expression « les attraper par la chatte » livre un aperçu sur bien autre chose que sa misogynie. Il nous a demandé de lui pardonner ses propos en expliquant : « C’était une plaisanterie de vestiaires, une conversation privée qui a eu lieu il y a de nombreuses années ». Au moment de ce commentaire en 2005, Trump avait 59 ans.
Trump, qui en a maintenant 70, veut que nous croyions qu’il a changé depuis qu’il a prononcé ces mots, bien que ce soit le contraire qui semble vrai. Maintenant, devenu président, incorrigible, il ne cesse de présenter toujours plus d’excuses pour les paroles qu’il a prononcées et ses comportements, ce qui coïncide avec le développement de son narcissisme.
Lâcher le mot « Israël »
Trump a récemment découvert qu’en tant que président, il peut déclassifier sur un coup de tête presque n’importe quoi. Lors d’une réunion à la Maison Blanche, il a partagé des informations sensibles sur l’EI avec le ministre russe des Affaires étrangères et l’ambassadeur de Russie. Après des articles de presse déplorant que Trump ait fourni suffisamment de détails pour que les Russes comprennent que la source probable du renseignement était Israël, Trump a pour l’essentiel confirmé cette spéculation en disant spontanément, lors d’un voyage en Israël : « Oh mes amis, ce n’est qu’un exemple, je vous le répète, je n’ai jamais mentionné le mot ou le nom d’Israël pendant cette conversation ».

Le président Trump rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en Israël le 22 mai 2017. (Capture d’écran de Whitehouse.gov)
L’incapacité de Trump à comprendre le poids qu’une remarque présidentielle peut avoir – par rapport à, par exemple, un homme d’affaires qui fait des commentaires désinvoltes à des collègues sur un terrain de golf – s’est révélée à nouveau dans sa tentative évidente de dissuader le directeur du FBI, James Comey, d’enquêter sur l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn.
Comey aurait rapporté les mots de Trump dans un mémo joint au dossier : « J’espère que vous pouvez laisser passer ça ». Mais Trump, sans confirmer ces mots précis, a insisté sur le fait qu’il était tout à fait approprié de faire ce genre de réflexion d’ordre général. Trump n’a pas compris en quoi son commentaire pouvait être interprété comme une tentative d’influencer le directeur du FBI dans l’exercice de ses fonctions.
Trump voudrait nous assurer à nouveau que c’est le genre de conversation que les hommes ont quand ils sont seuls. Avant que Trump n’ait fait à Comey la dite suggestion, le Président avait fait sortir tout le monde de la salle, de sorte que, de son point de vue, c’était une rencontre privée. Mais l’impression d’inconvenance s’est renforcée lorsque Trump a limogé Comey, en le jugeant non pas comme un membre de l’équipe, mais plutôt comme un « fanfaron » et un « poseur ».
Au cours des quatre mois depuis son investiture, Trump a montré qu’il ne s’est pas imprégné de la gravité de sa fonction. Il agit toujours comme un homme d’affaires indépendant ou une célébrité privilégiée, surfant sur et parfois au-delà de la limite du comportement acceptable.
Au fur et à mesure que les controverses se font plus nombreuses autour de lui, il se peut qu’il apprenne vite que sa capacité à tordre les bras, à négocier des transactions douteuses ou à utiliser sa position pour protéger ses amis est limitée par les lois et la Constitution. Lorsque cela se produira, il est probable qu’il se mettra plus en colère et qu’il demandera à ses avocats de trouver un moyen de sortir de sa mauvaise passe, comme il l’a fait quand – en tant qu’homme d’affaires – il a exploité le statut de la faillite pour se sortir du danger d’une position financière risquée.
Un paranoïaque avec des ennemis
Il est tout aussi indéniablement vrai que Trump a des ennemis politiques qui guettent ses points de vulnérabilité afin de l’affaiblir ou de le détruire. C’est le cas classique du paranoïaque avec des ennemis réels, mais il leur facilite la tâche en tombant à répétition dans n’importe quel piège.

Le président Donald Trump touche un globe illuminé en compagnie du président égyptien Abdel Fattah al-Sisi et du roi saoudien Salman, à l’ouverture du Centre mondial saoudien de lutte contre les idéologies extrémistes, le 21 mai 2017. (Photo de la télévision saoudienne)
Si l’apitoiement sur soi-même est ce que le narcissique ressent quand il est critiqué, Trump tient le pompon. Il se dépeint comme une victime aux proportions historiques. Au cours de la campagne présidentielle, il a affirmé lors d’un rassemblement qu’il avait été « victime de l’une des grandes campagnes de diffamation politique de l’histoire de notre pays » – apparemment pas conscient que les États-Unis ont une histoire longue et désagréable de campagnes de diffamation politiques depuis le temps des Fondateurs.
Dans l’introduction de son discours à l’Académie des Garde côtes, Trump s’est senti encore plus désolé pour lui-même, déclarant « qu’aucun politicien de l’histoire – et je le garantis – n’a été traité de pire manière ou plus injustement ». Il est difficile de croire que Trump ignore que quatre présidents américains ont été assassinés, dont Abraham Lincoln et John F. Kennedy, sans parler des nombreux dirigeants politiques étrangers qui ont connu d’épouvantables destinées.
Il y a aussi la probabilité que nous connaissions seulement une petite fraction du comportement bizarre de Trump dans ses fonctions, et du dysfonctionnement de la Maison Blanche qui en résulte. On peut supposer que si ce modèle se poursuit et que son équipe se désintègre, il n’y aura que plus de révélations sur la façon dont le Président s’emploie à contribuer à ses propres malheurs.
L’aggravation des problèmes de Trump le conduira probablement à resserrer le cercle de ses conseillers de confiance, dont certains – comme son beau-fils, Jared Kushner – se trouvent déjà en danger juridique : ce qui, à leur tour, les oblige à « prendre un avocat » et à écouter des conseils sur la façon de se sauver eux-mêmes.
S’il est vrai qu’une grande partie du Washington officiel a toujours canardé Trump parce que son comportement bizarre et son bric-à-brac politique avaient été perçus comme une menace contre la marche habituelle des choses, il est tout aussi vrai que Trump a été son pire ennemi. Il n’a jamais montré de pitié envers ses adversaires ; il a répugné à sortir de son enthousiasme de fond ; il a choisi des combats stupides et inutiles, comme de prétendre faussement que la foule à son investiture était plus grande que celle du président Obama ; il a gaspillé les premiers jours cruciaux de son mandat par une interdiction d’immigration anti-musulmans mal conçue, et d’autres actes qui étaient offensants pour des millions d’Américains.
Maintenant, après seulement quatre mois de présidence, Trump se comporte comme un animal blessé et les dirigeants du monde entier sont perturbés par ce qu’il pourrait faire si les vagues allégations contre lui et son cercle intime se durcissaient en inculpations pour crime et en arguments de destitution.
Mais une chose semble certaine : il ne s’en ira pas tranquillement. Cependant, si ce moment arrive, on peut dire qu’il aura précipité sa chute moins par sa politique erratique que par sa personnalité égotique.
David Marks est un documentariste confirmé et journaliste d’investigation. Son travail comprend des films pour la BBC et PBS, sur l’or nazi, sur le rôle de la Suisse dans la Seconde Guerre mondiale et des biographies de Jimi Hendrix et Frank Sinatra.