Trump prend le risque d’une guerre avec l’Iran
Par Paul R. Pillar
Consortium News, 30-06-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Encouragé par Israël et l’Arabie saoudite, le président Trump se rapproche d’une guerre avec l’Iran qui pourrait démarrer par une « sale mission » en Syrie, un renversement de la rhétorique de campagne de Trump, opposée aux aventures militaires, écrit l’ex-analyste de la CIA Paul R. Pillar
Une combinaison de circonstances a augmenté le risque qu’un conflit armé se déclare entre les USA et l’Iran. Une telle guerre n’est pas une certitude, mais la probabilité qu’elle se produise est plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’a été depuis des années. Certaines des circonstances pertinentes comme les deux premières mentionnées ci-dessous, existent sous différentes formes depuis un laps de temps assez important, alors que d’autres sont plus récentes.

Le président Trump rencontre le Premier ministre Benjamin Netanyahu en Israël le 22 mai 2017 (copie d’écran sur le site de la Maison-Blanche)
L’anti-Iranisme dans le discours américain. Le vocabulaire est devenu tellement répétitif et largement utilisé qu’il coule comme du miel : l’Iran est une « autocratie théocratique » et « l’État qui parraine le terrorisme le plus grand » qui, dans le cadre de de sa « quête d’hégémonie régionale », adopte des comportements « néfastes », « pernicieux » et « déstabilisants » , etc. Le verbiage est devenu un substitut à la pensée et pour tout examen soigneux de ce que fait ou ne fait pas l’Iran exactement et comment cela affecte ou pas les intérêts américains. Une litanie aussi communément acceptée signifie que quiconque fait une effort systématique pour semer le trouble avec l’Iran démarre avec un avantage intrinsèque pour rallier l’appui du public et des politiques.
Le lobby pousse à l’hostilité contre l’Iran. Effectivement il y a eu et il y a encore, des efforts systématiques pour semer le trouble. De solides intérêts politiques ont leur propres raisons étriquées pour maintenir les relations US – Iran les plus mauvaises possibles et garder l’Iran isolé. En tête de ces intérêts se trouve le gouvernement de droite d’Israël, pour qui faire passer l’Iran pour la principale bête noire sert à handicaper un concurrent pour l’influence régionale, à expliquer tous les troubles régionaux en termes qui ne sont pas liés à Israël, à détourner l’attention de questions (en particulier l’occupation des territoires palestiniens) dont le gouvernement israélien préfère ne pas discuter, et à garder les USA attachés à Israël comme leur soi-disant seul partenaire régional fiable.
Étant donné l’impact évident des préférences du gouvernement israélien sur la politique américaine, ce facteur pèse lourdement sur les politiques de l’administration actuelle envers l’Iran. Donald Trump s’est incliné platement devant ces préférences israéliennes, comme le reflètent ses nominations et sa rhétorique depuis la deuxième moitié de la campagne présidentielle. Trump aspire toujours à parvenir à un accord de paix israélo-palestinien, ce qui exigerait des ruptures brutales avec la politique actuelle du gouvernement de Netanyahou. Mais cela pourrait rendre d’autant plus nécessaires l’agressivité et la confrontation avec l’Iran, comme contrepartie à des pressions sur Netanyahou pour obtenir des concessions envers les Palestiniens.
« Anti-Obamaisme » et accord nucléaire. Le facteur précédent était une des deux raisons majeures de l’opposition au plan d’action global conjoint, l’accord multilatéral qui limite sévèrement le programme nucléaire de l’Iran et ferme toute voie d’accès à une arme nucléaire. L’autre importante – et très partisane – raison était que l’entente était probablement la plus grande réalisation spécifique de Barack Obama en politique étrangère.
Trump, qui a dénoncé l’entente de manière cinglante pendant la campagne et dont l’administration ne reconnaît qu’à contrecœur que l’Iran respecte ses obligations conformément à l’accord, montre toujours une forte inclination à faire l’opposé de tout ce qu’Obama a fait. Maintenant que les efforts des Républicains pour annuler la réalisation domestique phare d’Obama, la loi sur les soins abordables, ont échoué face aux réalités des soins médicaux, l’envie peut être plus forte que jamais de défaire la réalisation de politique étrangère phare d’Obama. Si elle peut être défaite, non pas directement par la renonciation américaine, mais comme un effet collatéral d’une autre confrontation avec l’Iran, alors tant mieux du point de vue de Trump

Le secrétaire à la Défense Jim Mattis accueille le prince héritier saoudien et le ministre de la Défense ben Salmane au Pentagone, le 16 mars 2017.
Les faibles voix contraignantes dans l’administration. Des articles de presse font état de débats au sein de l’administration Trump sur certains aspects de sa politique envers l’Iran, et un vrai débat est bien mieux qu’une politique menée à coups de tweets écrits au petit matin. Mais il n’est pas certain que les sobres raisons expliquant pourquoi un conflit armé avec l’Iran serait une folie reçoivent une attention appropriée. Ce n’est pas seulement à cause de la domination des voix théâtrales, comme par exemple celle de Stephen Bannon, l’auto-proclamé léniniste destructeur-de-mondes, qui a fait étalage de son influence lors du retrait de Trump des accords de Paris sur le climat. Le problème est aussi qu’un anti-iranisme viscéral infecte même ceux que l’on considère comme les adultes présents dans la pièce, en particulier le Secrétaire à la Défense James Mattis.
La respectabilité attribuée au changement de régime. Un autre parmi les adultes, le Secrétaire d’État Rex Tillerson, a récemment déclaré à la Commission des affaires étrangères de la Chambre que le changement de régime faisait partie de la politique américaine concernant l’Iran. Ce commentaire ressuscite un concept malveillant qui mérite amplement sa place sur le monceau d’ordures de l’histoire de la politique étrangère américaine, surtout si l’on considère les résultats désastreux obtenus lors des deux précédentes administrations concernant les changements de régime en Irak et en Libye. Ce concept n’est pas plus approprié en Iran, où il n’existe pas de quelconque mouvement politique à notre propre image juste en train d’attendre d’être libéré du joug des autocrates théocratiques via une nouvelle révolution.
Ceux animés par d’autres raisons d’encourager l’hostilité envers l’Iran ont également promu l’idée d’un changement de régime. Par exemple, peu de temps après l’investiture, la Fondation pour la Défense des Démocraties, subventionnée par Sheldon Adelson, mettait en avant au Conseil National de Sécurité un document centré sur le changement de régime. Le concept habituellement mis en avant est que des formes de subversion pas très éloignées d’un conflit armé feraient l’affaire, mais l’issue fantasmée d’un régime nouveau et attrayant à Téhéran peut aisément devenir l’objectif d’opérations militaires initiées, ou ostensiblement initiées, pour d’autres raisons. Pendant ce temps, la rhétorique du changement de régime accroît les tensions et la méfiance entre Téhéran et Washington, ce qui rend de plus en plus vraisemblable la survenue d’incidents déstabilisants.
Sale mission en Syrie. L’écrasement du soit-disant califat de l’État Islamique est suffisamment proche de l’achèvement pour que soit regardée en face la question délicate, et jusqu’ici différée, du devenir du territoire syrien qui faisait partie du califat. Aux États-Unis, de nombreux avis sur cette question recommandent ce qui équivaut à une expansion significative des objectifs américains en Syrie par la confrontation avec le régime de Damas et ses soutiens russes et iraniens.

Le destroyer à missiles guidés de classe Arleigh Burke USS Ross lance un missile d’attaque terrestre Tomahawk vers la Syrie depuis la mer Méditerranée, le 7 avril 2017. (Photo de la Marine par le sous-officier de 3e classe Robert S. Price).
Les actions aériennes et terrestres américaines ont déjà pris cette direction. Parmi les incidents, on relève l’abattage de drones iraniens et d’un avion syrien avec son pilote, ainsi que des attaques américaines de ce qui est décrit comme des milices « recevant le soutien de l’Iran ». Il est remarquable de constater combien la mission en Syrie a évolué et subi des dérives.
Comme le dit Josh Wood, « Dans la brève durée de son mandat, le discours de M. Trump et de son administration est passé d’un possible partenariat avec Damas et Moscou contre [l’État Islamique] à un apparent désintérêt total pour la guerre civile et, de là, au bombardement de cibles gouvernementales syriennes ».
L’évolution des objectifs au cours des cinq prochains mois pourrait être aussi rapide que celle des cinq derniers. Compte tenu du rôle significatif de l’Iran en Syrie et du rôle croissant des États-Unis là-bas, la Syrie est vraisemblablement un des endroits d’où partira l’étincelle qui mettra le feu aux poudres entre les États-Unis et l’Iran.
Les déplacements depuis la Russie. Il est certainement aussi important de se soucier des incidents impliquant l’autre soutien majeur du régime syrien, à savoir la Russie, que des incidents concernant l’Iran. Mais certaines des mêmes raisons de se tracasser au sujet d’un conflit armé direct avec la Russie – une ex-super puissance possédant l’arme nucléaire – sont aussi les raisons pour lesquelles on peut s’attendre à une certaine retenue, du même ordre que celle qu’on a pu observer entre les États-Unis et la Russie pendant la guerre froide.
De plus, sous l’administration Trump, la Russie ne joue pas le même type de rôle que l’Iran en tant qu’adversaire automatique « qui va de soi ». Il nous reste à comprendre l’ensemble des raisons justifiant la position plus mitigée, voire bienveillante de Trump envers la Russie, mais il n’y a pas de doute que ces raisons existent. Si l’administration doit frapper un des monstres impliqués dans la guerre en Syrie, ce monstre sera l’Iran, même si le soutien russe est probablement au moins aussi important que le soutien iranien dans la consolidation du régime d’Assad.
Délégation aux forces militaires. La méthode de Trump qui consiste à déléguer au Pentagone les décisions majeures, même celles de nature plus stratégique que tactique, concernant le déploiement ou l’utilisation des forces militaires pourrait dans une certaine mesure être un encouragement à la retenue, compte tenu du peu d’inclination des officiers militaires expérimentés à se voir lancés dans de nouveaux conflits dans lesquels les États-Unis ne sont pas encore impliqués. Mais les États-Unis sont déjà impliqués dans des endroits comme la Syrie et le golfe Persique où la confrontation avec les Iraniens est possible, et, dans un tel contexte d’engagement, la partialité militaire est plutôt d’en faire beaucoup que pas assez.
Le partialité tend à plus d’agressivité afin d’atteindre les objectifs présumés, et en particulier de protéger les forces américaines. Jusqu’à présent au moins une attaque américaine en Syrie s’est produite au nom de la protection des forces américaines. Des décisions militaires prises pour des raisons militaires pourrait déclencher un conflit généralisé.
Bellicisme accru en Arabie. La tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran est particulièrement élevée en ce moment, et ce à l’initiative saoudienne pour une majeure partie. L’accession au pouvoir de l’inexpérimenté fils du roi saoudien, Mohammed ben Salmane, en est une des causes. Le jeune prince héritier a annoncé comment « nous travaillerons à ce que la bataille se passe là-bas, en Iran ».
Il a utilisé le lien relativement insignifiant entre un groupe yéménite et l’Iran comme prétexte au déclenchement d’une guerre qui a transformé le Yémen en un désastre humanitaire. Sa plus récente décision déstabilisatrice a été de diviser le Conseil de Coopération du Golfe dans le but dénigrer le Qatar, dont l’une des infractions visées est d’avoir des relations plus ou moins normales avec l’Iran. La possibilité pour les États-Unis d’être entraînés dans une intensification de ces tensions est significative, compte tenu notamment de la propension de Trump à tout miser jusqu’à présent sur les Saoudiens.
Stratégies diplomatiques hautement risquées dans le golfe Persique. Même sans l’imprudence supplémentaire de jeunes princes, le Golfe demeure, à part la Syrie, l’espace le plus probable où un incident impliquant les forces américaines et iraniennes pourrait dégénérer gravement. La présence américaine affichée dans ce que les Iraniens considèrent comme leur propre cour maritime est au moins égalée par les manœuvres occasionnellement imprudentes et dangereuses des petits navires de la Garde révolutionnaire islamique d’Iran.

Le président iranien Hassan Rouhani rencontre le président russe Vladimir Poutine le 23 novembre 2015, Téhéran. (Photo tirée de : http://en.kremlin.ru).
La récente collision meurtrière entre un destroyer de la marine américaine et un navire de commerce dans les eaux japonaises montre ce qu’il peut arriver dans des voies maritimes encombrées, même en l’absence de conflit international ou d’animosité. Imaginez que quelque chose de ce genre se produise dans le golfe Persique en pleine période d’hostilité dans les relations américano-iraniennes actuelles, sans l’intérêt apparent de l’administration Trump à restaurer une voie diplomatique afin de désamorcer des incidents.
La nature de la personne à la Maison-Blanche. Dans son témoignage devant le Congrès, l’ancien directeur du FBI James Comey a mentionné « la nature de la personne » comme la raison pour laquelle il a méticuleusement documenté ses conversations avec le président Trump, sous-entendant ainsi que Trump est un menteur professionnel. Les cinq premiers mois de l’administration Trump suffisent à voir que le mensonge s’étend non seulement à des malhonnêtetés ponctuelles mais aussi à de larges segments de ses décisions politiques.
En matière de politique économique intérieure, le populisme qu’il a exprimé, et qui l’a fait gagner les votes décisifs l’an dernier, s’est révélé frauduleux en réalité ; le système de santé n’en étant qu’un des signes. Il n’y a aucune raison qui laisse à penser que ce que Trump a dit à propos de politique étrangère et de sécurité, y compris la rhétorique anti-guerre efficace électoralement, ne soit pas moins mensonger.
Avec un discours quasiment dépourvu de tout sens, d’autres aspects de la nature de la personne seront décisifs, y compris l’impétuosité de Trump, sa vision à court terme au détriment de conséquences durables, et son insatiable désir d’approbation personnelle aux dépens des intérêts généraux de la nation. Aucune de toutes ces qualités n’augure bien quant à l’empêchement d’un affrontement avec l’Iran.
Détournement d’un obstacle. Ces qualités personnelles de Trump font de lui un candidat de premier choix pour dévier vers la tactique traditionnelle qui consiste à utiliser un conflit à l’étranger afin de détourner l’attention des problèmes internes et de gagner un support pouvant fédérer le peuple. D’après les derniers sondages sur le sujet, sa cote de popularité continue de chuter.
Un conflit armé avec l’Iran serait un événement très négatif pour les intérêts américains sous divers aspects ; à commencer par le sang et les économies américaines versés. D’autres conséquences seraient de laisser le champ libre aux éléments les plus radicaux des affaires iraniennes, ce qui pourrait entraîner un retrait de l’accord sur le nucléaire et ouvrir la voie à l’arme atomique iranienne, autant qu’à des dégâts collatéraux sur la bonne volonté américaine et ses relations avec beaucoup d’autres groupes, parmi lesquels certains radicaux qui feraient couler du sang américain au nom de la lutte contre l’Iran. On peut espérer qu’il y aura matière à réfléchir à de telles conséquences afin d’empêcher un conflit armé de ce type de se déclencher.
Mais la guerre est une possibilité, dont la probabilité est non négligeable en certains lieux. C’est une incertitude. Incertaine également est la mesure dans laquelle tout conflit qui a éclaté se conçoit pleinement, comme étant distincte des conséquences involontaires de politiques et de postures agressives et conflictuelles.
Les citoyens et les membres du Congrès se doivent d’être pleinement conscients des possibilités et des dangers qui en découlent. Ils devraient être attentifs à tout signe montrant que les États-Unis se dirigeraient vers une telle guerre, et ils devraient poser à chaque étape les questions les plus dures quant à savoir si cette perspective étaient dans les intérêts américains.
Paul R. Pillar, au cours de ses 28 années passées au sein de la CIA, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.
Source : Paul R. Pillar, Consortium News, 30-06-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.