Trump trouvera-t-il la bonne voie ?
Par Robert Parry
Consortium News, 30-07-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Un an après sa prise de fonction, le président Trump tombe dans une insignifiance, pour ne pas dire plus, digne de la « télé-réalité », mais il lui reste une petite chance d’apporter quelque chose d’historique à notre nation.
Le 29 juin, après que Wolf Blitzer, journaliste de CNN, demanda à John Podesta, président de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton, pourquoi ils avaient perdu face à Donald Trump, je m’attendais à l’excuse habituelle : « La Russie ! La Russie ! La Russie ! » mais Podesta me surprit en répondant sincèrement :

Rencontre des présidents russe et américain Vladimir Poutine et Donald Trump au sommet du G20, à Hambourg, en Allemagne, le 7 juillet 2017 (capture d’écran de whitehouse.gov)
« Même si 20 pour cent de ses électeurs ne le croient pas capable d’être Président, ils voulaient un changement radical, ils voulaient faire exploser le système. Je suppose que c’est ce qu’il leur a apporté. »
Pour ces millions d’Américains qui avaient vu leur travail disparaître et leurs communautés se décomposer, c’était un peu comme si on chargeait des prisonniers dans un camion, pour les acheminer vers leur mort programmée. Pour dangereuse ou mortelle que soit cette révolte désespérée, qu’avaient-ils à y perdre ?
En 2008, un certain nombre de ces mêmes Américains avaient apporté leurs voix à Barack Obama, alors candidat improbable, un sénateur qui n’avait fait qu’un mandat. Le slogan « change you can believe in » [NdT : le changement auquel vous pouvez croire] leur avait apporté de l’espoir, mais ensuite Obama s’est englué dans l’establishment officiel de Washington avec son mépris bénin — pour ne pas dire malin — envers les pékins moyens.
En 2016, le Parti démocrate balaya le sénateur populiste de gauche Bernie Sanders, qui aurait pu rallier le soutien de beaucoup de travailleurs américains. En lieu et place, le parti accorda l’investiture démocrate à la candidate parfaite du système — l’ancienne Première Dame, ancienne sénatrice et ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton.
Bien qu’issue d’un milieu modeste, Clinton a saisi à deux mains les privilèges du pouvoir. Elle s’est hautainement monté un serveur de mails privé pour ses affaires officielles au Département d’État ; elle a apporté son soutien aux interventionnistes néoconservateurs et libéraux pour des guerres de « changement de régime », dans lesquelles les combattants sont surtout des jeunes hommes et femmes des classes laborieuses ; et après avoir quitté le gouvernement, elle a cupidement empoché des millions de dollars pour des discours face à Wall Street et d’autres intérêts particuliers.
Le mépris de Clinton pour les nombreux prolos américains s’est révélé quand elle a qualifié 50 pour cent des partisans de Trump de « lamentables », même si plus tard elle a diminué son estimation de ce pourcentage.
C’est ainsi qu’une masse critique de travailleurs, votant dans le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie se sont levés face à la perspective de continuer sur la même lancée, et ont préféré le risque de choisir Donald Trump, magnat provocateur de l’immobilier, star de télé-réalité, un bonhomme qui en savait bien peu sur le fonctionnement d’un gouvernement et fanfaronnait grossièrement sur ses performances sexuelles.
Entraver Trump
Pour autant, après la victoire surprise de Trump en novembre dernier, deux nouveaux problèmes ont surgi. D’une part, Hillary Clinton et le camp Démocrate — incapable d’admettre leur propre responsabilité dans la victoire de Trump — ont pointé du doigt la Russie comme responsable de leur échec, en déclenchant une nouvelle hystérie de guerre froide, puis en s’appuyant sur cette frénésie pour entraver, voire détruire, la présidence de Trump.
D’autre part, ont manqué à Trump toute philosophie de gouvernement cohérente et toute compréhension des conflits mondiaux. Dans le domaine de la politique étrangère, la plupart des conseillers Républicains étaient contaminés à l’eau de la pensée unique néoconservatrice, menant aux guerres et aux « changements de régime ».
Trump, à la recherche d’alternatives, s’est tourné vers des compagnons néophytes, tel son gendre Jared Kushner et tel le gourou d’extrême droite Steve Bannon, et quelques autres outsiders de Washington, comme Michael Flynn, ancien directeur de la DIA (Defense Intelligence Agency), et Rex Tillerson, PDG d’Exxon Mobil. Mais tous ont montré de sévères limites.
Par exemple, Kushner s’est pris pour le génie qui apporterait la paix au conflit israélo-palestinien en appliquant la « stratégie de l’extérieur/intérieur » [NdT: outside/in strategy], c’est-à-dire en menant les Saoudiens et les États du Golfe à faire pression sur les Palestiniens, pour que ceux-ci en viennent à accepter toutes les expropriations décidées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.
Flynn, qui a tenu brièvement le rôle de conseiller à la sécurité nationale auprès de Trump, était à la tête de la DIA quand celle-ci avait justement prévenu le président Obama, au sujet des risques djihadistes, posés par le projet de « changement de régime » en Syrie, allant jusqu’à voir venir la montée de l’État Islamique.
Mais Flynn, comme beaucoup de gens de droite, a adhéré aux thèses erronées des meutes d’officiels de Washington, comme quoi l’Iran serait le principal soutien au terrorisme, et devrait être bombardé, bombardé et encore bombardé, au lieu de garder un canal de négociation diplomatique comme Obama l’avait fait, en y intégrant des contraintes serrées sur le programme nucléaire iranien. L’approche « bombarder, bombarder et bombarder encore » correspond aux désirs des gouvernements israélien et saoudien, qui voient l’Iran comme pays rival et veulent faire faire le sale travail de faire voler en éclats ce qu’ils appellent le « croissant chiite ».
C’est ainsi, à cause des vues de Kushner sur le conflit israélo-palestinien et de l’hostilité de Flynn et de l’aile droite envers l’Iran, que Trump s’est aligné sur une grande partie du consensus néoconservateur sur le Moyen-Orient, comme l’a manifesté le choix de Trump de ses premières visites diplomatiques, accordées en premier à l’Arabie saoudite et à Israël.
Mais l’obéissance à Israël et à l’Arabie saoudite — et à l’intérieur de Washington, aux néoconservateurs — est précisément ce qui a mené à la dévastation catastrophique de la politique étrangère américaine,gâchant des milliers de milliards de dollars, qu’on aurait sinon pu investir dans les infrastructures vieillissantes du pays, afin d’amener à rendre plus compétitive l’économie des États-Unis.
En d’autres termes, si Trump avait quelque espoir de « rendre à l’Amérique sa grandeur » [NdT : « make America great again »], il aurait dû rompre avec Israël/les Saoudiens/ les néoconservateurs/ les groupes de pensée des faucons libéraux, au lieu de se courber devant eux. A présent, voici que Trump se trouve ligoté par l’obsession des cercles de Washington pour le Russia-gate, incluant l’exigence quasi unanime du congrès de sanctions contre Moscou, sur fond d’une thèse sans preuve que la Russie serait intervenue dans l’élection américaine pour aider Trump et affaiblir Clinton. (La Maison-Blanche a indiqué que Trump accepterait de passer les menottes à la Russie).
Une tâche décourageante
Même à supposer que Trump ait eu le savoir et l’expérience nécessaires pour résister au puissant establishment en politique étrangère, il s’agirait d’une dure bataille, qui ne pourrait être gagnée qu’à force d’astuce et de talent.

Général de Marines Joe Dunford, président du Joint Chiefs of Staff, en marche avec le lieutenant général des armées Stephen J. Townsend, commandant de la Joint Task Force Operation Inherent Resolve ; Jared Kushner, premier conseiller du président Donald J Trump, et l’ambassadeur en Irak Douglas A. Silliman à leur arrivée à Bagdad le 3 avril 2017 (photo DoD par l’officier de Marine de deuxième classe Dominique A Pineiro).
Un chemin étroit, menant à une transformation présidentielle, existe encore face à Trump, mais il faudrait qu’il emprunte d’autres directions que celles qu’il a choisies au cours de ses six premiers mois.
Pour commencer, il faudrait que Trump fasse volte-face et devienne un champion improbable de la vérité, en se mettant à corriger le plus gros des rapports récents sur les points chauds mondiaux du moment.
En Syrie par exemple, Trump pourrait faire ouvrir les livres de la CIA sur les événements clés, révélant la vérité sur le dessein de « changement de régime » d’Obama et sur l’attaque présumée au gaz sarin du 21 août 2013 aux abords de Damas. Bien que l’administration Obama en ait fait porter la responsabilité au gouvernement de Assad, d’autres preuves indiquaient une provocation des djihadistes radicaux, à l’œuvre pour obtenir une intervention militaire américaine à leurs côtés.
Sur la crise ukrainienne également, Trump pourrait ordonner à la CIA de révéler la vérité sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État violent qui a éjecté du pouvoir le président élu Viktor Ianukovich et déclenché une guerre civile sanglante, voyant le régime de Kiev, soutenu par les USA, déployer des milices néo-nazies pour tuer des Russes ethniques à l’est du pays.
En d’autres termes, les faits pourraient être mis au jour, pour contrer le thème de propagande d’une « invasion russe » de l’Ukraine, un autre thème adoré par les cercles des officiels de Washington, qui est devenu le fondement d’une nouvelle et périlleuse guerre froide.
Pour continuer sur le terrain de la vérité, Trump pourrait aussi divulguer toutes les informations détenues par la CIA sur l’identité des responsables du crash du vol 17 de Malaysia Airlines en Ukraine de l’est le 17 juillet 2014, une atrocité où 298 personnes ont trouvé la mort, et qui a été attribuée aux Russes, alors que les preuves convergent vers un élément dévoyé de l’appareil militaire ukrainien. [Voir ici et ici].
Pour compléter sa volte-face, Trump pourrait aussi reconnaître avoir fait preuve d’un jugement hâtif au lendemain de l’incident aux armes chimiques, survenu le 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun, en Syrie, en ordonnant l’envoi d’une frappe de missiles vers l’armée syrienne le 6 avril, alors que les circonstances de l’incident étaient encore floues.
En partageant ces informations avec les hommes et femmes d’Amérique — au lieu de garder le secret et de leur distribuer des doses régulières de propagande — Trump pourrait gagner un soutien populaire en faveur de changements pragmatiques dans la politique étrangère des États-Unis.
De tels changements pourraient comprendre une parade historique contre l’emprise d’Israël et de l’Arabie saoudite sur la politique des USA au Moyen-Orient — et pourrait ouvrir la voie vers une coopération avec la Russie et l’Iran, en vue de stabiliser et reconstruire la Syrie, permettant à des millions de Syriens déplacés de retrouver leur foyer et de réduire les pressions sociales que les flux de réfugiés ont induit en Europe.
Un parti populiste
Sur le front domestique, si Trump veut vraiment remplacer la loi de santé d’Obama [NdT : Affordable Care Act] par quelque chose de mieux, il pourrait proposer la seule alternative logique qui permettrait d’aider les travailleurs qui l’ont porté au pouvoir et de rendre les entreprises américaines plus compétitives — un système de payeur unique qui s’appuierait sur des taxes plus élevées sur les riches, et quelques taxes plus larges pour financer un système de soin pour tous.
De cette manière, les entreprises américaines n’auraient plus à soutenir la charge coûteuse des assurances santé, et pourraient augmenter les salaires des travailleurs et/ou diminuer les prix des produits américains sur le marché mondial. Trump pourrait faire quelque chose de similaire sur l’enseignement supérieur, ce qui aiderait aussi à améliorer la productivité américaine.
En prenant ce type d’approche peu orthodoxe, Trump pourrait réorienter les politiques américaines pour une génération, faisant émerger les Républicains comme parti populiste attentif aux besoins des citoyens oubliés de ce pays, en reconstruisant l’infrastructure physique et économique de ce pays, et prenant en compte les vrais intérêts des États-Unis à l’étranger, pas le désirs « d’alliés » disposant de lobbies puissants à Washington.
Suivre une telle trajectoire supposerait, bien sûr, que Trump se heurte à une part importante de l’establishment du Parti républicain et ses vieilles priorités de « moins de taxes pour les riches » et plus de militarisme à l’étranger.
Une stratégie populiste mettrait également le parti démocrate face à un choix difficile : ou bien continuer de s’aligner en politique étrangère sur les néoconservateurs du cercle des officiels de Washington et en économie sur les magouilleurs de Wall Street, ou bien revenir aux racines du parti, défini comme voix des hommes et femmes ordinaires.
Mais est-ce que je crois vraiment que ça pourrait arriver ? Pas vraiment. Il est bien plus probable que la présidence de Trump reste engluée dans ses querelles de « télé-réalité », avec son parler grossier qu’on prendrait normalement la peine de couvrir par des bips à la télévision ; les Démocrates vont continuer de se soustraire à toute introspection en se cachant derrière le Russia-gate ; les Républicains vont continuer de demander des allègements de charges pour les riches ; et l’expérience grandeur nature américaine en matière de démocratie va continuer de s’enfoncer dans le chaos.
Le journaliste d’investigation Robert Parry a révélé au grand jour de nombreuses affaires sur l’Iran et les Contras, pour Associated Press et Newsweek, dans les années 80.
Source : Robert Parry, Consortium News, 30-07-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.