Un nouveau développement dans l’affaire Seth Rich
Par Joe Lauria
Consortium News, 08-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Les médias dominants des États-Unis rejettent tout lien entre le meurtre du responsable du DNC (Democratic National Comittee) et les fuites des mails du DNC en le qualifiant de « théorie du complot », tout en en accusant à la place la Russie, mais une nouvelle possibilité est apparue, écrit Joe Lauria.
Alors que les tensions entre la Russie et les États-Unis sont aussi dangereusement élevées qu’elles l’ont été aux pires jours de la guerre froide, il y aurait de nouvelles preuves que la Russie n’était pas à l’origine du piratage du DNC, même si le Congrès et les médias dominants des États-Unis acceptent comme un fait indiscutable l’accusation non prouvée de la culpabilité russe.
La nouvelle preuve potentielle nous arrive sous la forme de la fuite d’une cassette audio du journaliste d’investigation chevronné Seymour Hersh. On y entend Hersh déclarer que la source des mails du Parti démocrate rendus publics par Wikileaks avant le début de la convention nationale du Parti démocrate, ce n’est pas la Russie, mais un élément intérieur au DNC.
Hersh affirme dans la cassette que la source de la fuite est l’ancien employé du DNC, Seth Rich, qui a été assassiné dans une rue sombre d”un quartier défavorisé du nord ouest de Washington deux semaines avant la Convention, le 10 juillet 2016. Cependant Hersh ne semble pas convaincu par la théorie selon laquelle Seth Rich a été assassiné en représailles pour les fuites. Bien plus, il partage l’avis de la police locale pour qui le meurtre n’est qu’une tentative de vol qui a mal tourné.
Des médias dominants ont tourné en dérision la possibilité de tout lien entre le meurtre de Rich et la divulgation des mails du DNC en le qualifiant de « théorie du complot », mais les commentaires de Hersh suggèrent une autre éventualité : le meurtre et les fuites n’ont aucun rapport, même si Rich peut avoir été à l’origine des fuites.
En rejetant l’éventualité que Rich ait été la source, les médias dominants passent souvent sous silence l’une des raisons principales pour lesquelles certains sont convaincus que Rich était la source. Peu après son assassinat, Wikileaks, qui a nié avoir reçu les mails du gouvernement russe, a posté un tweet qui offrait une récompense de 20 000 dollars pour tout renseignement qui résoudrait le mystère de l’identité de l’assassin de Seth Rich.
Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, a évoqué, hors contexte, le meurtre de Rich lors d’une interview donnée à la télévision hollandaise en août dernier. « Les lanceurs d’alerte font d’énormes efforts pour nous faire parvenir des informations et courent souvent d’énormes risques », dit Assange. « Vous voyez, un jeune homme de 27 ans qui travaille pour le DNC a été abattu dans le dos, il vient d’être assassiné, il y a quelques semaines pour des raisons inconnues alors qu’il marchait dans une rue de Washington. »
Comme le journaliste insistait pour que Assange dise si Rich était la source des mails du DNC, il a déclaré que Wikileaks ne révélait pas ses sources. Toutefois cette réponse a semblé une façon indirecte de nommer Rich tout en poursuivant officiellement la politique de Wikileaks. On pourrait croire aussi que Assange utilise cyniquement la mort de Rich pour détourner l’attention de la vraie source.
Il est probable cependant que « Assange soit l’une des quelques personnes qui connaissent effectivement l’identité de la source. Ainsi son intérêt avoué pour le meurtre de Rich constitue-t-il un indice en ce qui concerne la source des fuites que tout média responsable devrait au moins prendre en compte, alors que cela n’a pas été le cas dans beaucoup d’articles récents de la presse dominante au sujet de la prétendue « théorie du complot » autour de Seth Rich.
Hersh enregistré à son insu
Les commentaires de Hersh qui ont été enregistrés ajoutent un autre élément au mystère, le journaliste ayant souvent et depuis longtemps mis au jour les crimes du gouvernement des États-Unis, ses mensonges et sa façon d’étouffer ces affaires. Il a révélé le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam, dévoilé, dans les années 70, l’espionnage
Dans la cassette audio — ce que Hersh m’a dit a été fait sans sa permission — il a cité une source gouvernementale anonyme qui lui a dit que Rich a offert les courriels du DNC à Wikileaks contre de l’argent.
« Ce que je sais vient d’un rapport du FBI. Ne me demandez pas comment. Vous pouvez comprendre, j’y ai passé du temps », dit Hersh sur la bande. « J’ai quelqu’un à l’intérieur qui va lire un fichier pour moi. Cette personne est incroyablement précise et prudente, c’est un gars de très haut niveau et il me fera une faveur. Vous allez devoir me faire confiance. »
L’unité cybernétique du FBI s’est impliquée après que la police du district de Columbia n’a pas pu accéder aux fichiers protégés sur l’ordinateur de Rich, a déclaré Hersh. Le FBI a donc « trouvé ce qu’il avait fait. Il avait soumis une série de documents, de courriels. Quelques e-mails juteux du DNC, à Wikileaks », a déclaré Hersh.
« Il a offert un échantillon, un gros échantillon, vous savez que je suis sûr de dizaines de courriels et il disait : “Je veux de l’argent.” Plus tard Wikileaks a obtenu le mot de passe, il avait un Dropbox, un Dropbox protégé », a déclaré Hersh.
« Wikileaks a eu accès, et avant qu’il ne soit tué… il a aussi, c’est également dans le rapport du FBI, il a aussi fait savoir avec qui il traitait… je ne sais pas comment il a géré Wikileaks et le côté technique mais… la consigne fut passée selon le rapport de la NSA : “J’ai également partagé cette boîte aux lettres avec quelques amis afin que si quelque chose m’arrive ça ne résolve pas votre problème.” » Hersh affirme ne pas savoir quel était ce « problème ».
Soit Hersh s’est mal exprimé quand il a mentionné un « rapport de la NSA », au lieu de dire un rapport du FBI, soit la NSA peut avoir fourni un enregistrement de la communication de Rich au FBI. Le FBI et la police de Columbia ont nié que le FBI était impliqué dans l’affaire.
L’enregistrement a fuité
La cassette audio de Hersh a été publiée sur un site Web appelé Big League Politics, qui affiche des liens vers Project Veritas, un groupe de droite dirigé par James O’Keefe, bien qu’il n’y ait aucune preuve que Veritas soit impliqué dans la cassette de Hersh. Veritas réalise clandestinement des enregistrements audio et vidéo de sujets sans méfiance et a été accusé de les avoir falsifiés. Mais une récente vidéo secrète d’O’Keefe sur un intervenant de CNN medical, disait que la couverture de l’histoire du Russie-gate était une « connerie » confirmée par CNN, qui n’a pris aucune mesure contre le producteur.
Ceux qui croient que les révélations présumées de Hersh pourraient réduire les tensions russo-américaines lui réclament une confirmation de ses propos. La célèbre blogueuse Caitlin Johnstone a publié : « Si Hersh a la moindre information indiquant que les révélations de Wikileaks de l’année dernière ne provenaient pas de hackers russes mais d’une source interne, il est moralement obligé de fournir toutes les informations dont il dispose. Même la plus petite possibilité que ses informations puissent aider à stopper le conflit entre les USA et la Russie, en mettant fin au soutien public d’une nouvelle escalade dans la guerre froide, rend son mutisme totalement inexcusable. »
On n’entend que la voix de Hersh sur l’interview enregistrée et effectuée par Ed Butowsky, un riche donateur républicain et partisan de Trump. Jusqu’à ce jour, le seul commentaire public de Hersh à ce sujet a été fait à National Public Radio : « J’ai entendu des ragots, a-t-il dit. [Butowsky] a ajouté deux et deux et a trouvé cinq. »
Vendredi j’ai contacté par mail Hersh. Il m’a confirmé que c’était bien sa voix sur l’enregistrement mais a fermement condamné ceux qu’il a accusés de l’avoir enregistré à son insu, sans donner leur nom. Il ne m’a pas répondu quand je lui ai demandé s’il pensait que l’enregistrement avait été modifié. Il a refusé de faire plus de commentaires.
Le 2 juin, lors d’un échange de mails entre Hersh et Butowsky, Hersh a nié avoir connaissance du rapport du FBI. Ceci se déroulait deux mois avant qu’il ne découvre avoir été clandestinement enregistré, lorsque l’enregistrement a été rendu public le 1er août par le site Big League Politics. Une capture d’écran de l’échange de mails a été publiée par ce même site la semaine dernière.
« Je suis curieux de savoir pourquoi vous n’avez pas approché le comité de la Chambre en leur disant ce que vous m’avez lu de votre ami du FBI, en rapport avec Seth Rich », a écrit Butowsky.
Hersh a répondu : « Ed, vous avez une mauvaise mémoire… je n’ai rien lu de mon ami du FBI… Je n’ai pas d’informations de première main et je souhaite vraiment que vous arrêtiez de donner des informations que vous m’attribuez… Je vous en prie, cessez de transmettre des informations qui ne vous appartiennent pas… et que je n’ai aucune raison de croire… »
Sans le prévenir qu’il avait été enregistré, Butowsky répond : « Je sais que ce n’est pas une connaissance de première main, mais vous avez clairement dit, je m’en souviens parfaitement, que vous aviez un ami au FBI qui vous a lu, ou qui vous a dit ce qu’il y avait dans le dossier sur Seth Rich. Et je me demande pourquoi vous n’êtes pas en train d’aider votre pays en partageant cette information sur son identité ? »
En suggérant en outre que Rich peut avoir été la source des courriels du DNC, Wikileaks a publié un lien vers la cassette audio sur Twitter.
Hersh n’a pas confirmé avoir l’intention de publier quoi que ce soit sur la base des données de son informateur qui, a-t-il précisé, a vu le rapport du FBI. Aux cours des années précédentes, il a rencontré des difficultés à être publié aux États-Unis. Il a écrit pour la London Review of Books, jusqu’à ce qu’au début de cette année ce magazine refuse un article remettant en cause les supposées preuves américaines concernant l’attaque aux armes chimiques en Syrie, ayant mené à la décision de Trump du bombardement d’une base aérienne syrienne. Son récit fut publié alors dans un grand hebdomadaire allemand, Die Welt.
Un mépris de la presse mainstream
La réaction unanime des grands médias a été de traiter l’option « Seth Rich est la source Wikileaks » comme conspirationniste, alors qu’ils ont majoritairement ignoré les soupçons de Julian Assange et maintenant l’enregistrement de Hersh. Les plus importants organes de presse américains ont couvert le Russie-gate comme si l’interférence russe dans les élections américaines de novembre dernier était prouvée, plutôt que fondée sur une évaluation peu fiable d’analystes « triés sur le volet » issus de trois (et non des dix-sept existantes) agences de renseignement américaines.
Si le procureur spécial du Russie-gate, Robert Mueller, est vraiment déterminé à connaître la vérité sur l’identité de la source de Wikileaks, plusieurs pistes s’offrent à lui. Il pourrait vérifier les comptes bancaires de Seth Rich afin de voir s’il y eu un transfert d’argent d’un représentant de Wikileaks. Il pourrait essayer de découvrir à quels amis Seth Rich a donné son mot de passe de DropBox. Il pourrait essayer d’interroger Hersh.
« Quelqu’un devrait demander à Robert Mueller, s’il avait la moindre intégrité (ce qu’il n’a pas), pourquoi il ne montre pas ces rapports du FBI et/ou de la NSA à son grand jury, ce qui reviendrait à étaler au grand jour le Russie-gate dont l’enquête lui a été confiée », m’a écrit dans un mail l’ancienne agent du FBI et lanceuse d’alerte Coleen Rowley. « Il est dommage que le FBI puisse garder cela secret. Mais je pense que la famille [de Seth Rich] pourrait engager une procédure judiciaire pour obtenir le rapport du FBI mentionné par Hersh. Ou alors maintenant que Fox est poursuivie en justice, leur avocat pourrait essayer d’exiger la production des documents du FBI durant l’enquête ». Elle a ajouté que le FBI combattrait cependant une telle assignation.
L’action en justice mentionnée par Coleen Rowley a été présentée par Rod Wheeler, détective privé de Washington, contre Butowsky et Fox News. Il avait été engagé par Butowsky pour la famille Rich afin de trouver l’assassin. Le 16 mai sur la chaîne Fox News, Wheeler fut cité mentionnant une source de Fox au gouvernement fédéral qui affirmait que Seth Rich était la source de Wikileaks.
Fox News démentait l’information la semaine suivante, arguant de vagues violations de sa politique éditoriale. A l’époque, Fox avait subi un boycott publicitaire lorsque son président, Roger Ailes, et son présentateur vedette de l’époque, Bill O’Reilly, avaient été les cibles d’accusations de harcèlements sexuels. Tous les deux démissionnèrent plus tard. Sean Hannity, un autre présentateur vedette, avait continué à suivre l’affaire Rich jusqu’à ce qu’à ce qu’il soit menacé de boycott publicitaire, Fox démentant alors toute l’affaire.
Wheeler affirme maintenant que ses propos ont été déformés et que le but de Fox News était de détourner l’attention des liens de la Russie avec les mails du DNC. Le site Big League Politics a posté un document audio de Wheeler où celui-ci affirme qu’Aaron Rich, frère de la victime, l’avait empêché de poursuivre des pistes sur l’ordinateur de Seth Rich.
Il n’est pas évident de savoir si la source de Hersh est la même que celle de Fox (ou si Fox se servait de Hersh de façon détournée). Butowsky a un lien avec Fox en tant que commentateur. La date de l’enregistrement audio de Hersh n’est pas encore connue, bien qu’on puisse supposer qu’elle soit antérieure à ses échanges de mails avec Butowsky le 2 juin.
Si un rapport du FBI indiquant que Seth Rich était bien la source des mails du DNC existe et qu’il soit rendu public, cela pourrait apaiser les tensions avec la Russie que le Congrès a fait monter d’un cran la semaine dernière en instaurant des sanctions progressives (une forme de guerre économique) contre la Russie en punition pour son rôle supposé dans la divulgation des mails du DNC et d’autres affaires liées à John Podesta, le directeur de campagne de Hillary Clinton.
Les mails du DNC montraient au grand jour des représentants du DNC interférant de manière irrégulière dans les primaires démocrates pour affaiblir le rival de Mme Clinton, le sénateur Bernie Sanders. Dans les mails de John Podesta on trouve les discours de Mme Clinton à Wall Street et à d’autres groupes d’intérêts, ainsi que des méthodes d’extorsion de la fondation Clinton.
Le 6 janvier, avant de quitter leurs fonctions, les chefs du renseignement du président Obama ont supervisé des analystes de la CIA, du FBI et de la NSA « triés sur le volet » qui avaient rédigé une étude accusant la Russie du piratage des mails sans pour autant présenter la moindre preuve concrète. Les représentants russes ont nié avoir fourni les mails à Wikileaks et Wikileaks a nié les avoir reçus de la Russie.
Craig Murray, ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan et collaborateur de Julian Assange, a formellement affirmé que la source de Wikileaks venait de l’intérieur et n’était pas un hacker. Dans un mail de la semaine dernière adressé à l’ancien analyste de la CIA Ray MacGovern, que celui-ci m’a montré, Murray a écrit : « A ma connaissance, ni DNC ni John Podesta n’ont fait fuiter vers Wikileaks de quoi impliquer la Russie. Alors que j’étais à Washington j’ai rencontré quelqu’un qui, d’après les informations dont je dispose, est une réelle source. »
Néanmoins les accusations dénuées de preuves sur l’interférence russe dans les élections ont fait monter la tension entre les deux puissances nucléaires à des niveaux jamais atteints depuis les jours les plus sombres de la guerre froide, et vraisemblablement au-delà. Stephen Cohen, un expert américain de haut niveau de la Russie, a affirmé que l’épreuve de force actuelle pourrait être encore plus dangereuse que la crise des missiles cubains.
« Je pense que c’est le moment le plus dangereux des relations américano-russes, au moins depuis la crise des missiles cubains. Et c’est sans doute plus dangereux car bien plus complexe », a-t-il dit à la chaîne internet Democracy Now ! en avril. « Par conséquent, nous avons à Washington ces accusions, à mon avis sans fondement, selon lesquelles Donald Trump aurait été d’une manière ou d’une autre compromis par le Kremlin. »
Lors de la crise des missiles, « il n’y avait aucun doute sur ce que les Soviétiques avaient fait : mettre des silos à missiles à Cuba », ajouta-t-il. « Aucune preuve d’aucune sorte n’a ce jour été présentée. Imaginez si Kennedy avait été accusé d’être un agent secret du Kremlin. Il aurait été bloqué. Et la seule façon qu’il aurait eue de prouver qu’il ne l’était pas aurait été de déclarer la guerre à l’Union Soviétique. Et à l’époque, la guerre nucléaire était la seule option. »
Comme ça l’est toujours aujourd’hui.
Joe Lauria est un journaliste chevronné spécialisé en affaires étrangères. Il a travaillé pour le Boston Globe, le Sunday Times (Londres) et le Wall Street Journal parmi d’autres titres.
Source : Joe Lauria, Consortium News, 08-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.