Arabie Saoudite. Saudi Arabia Uncovered : la face cachée du royaume
Courrier International, 05/04/2016
C’est un documentaire à charge, et il ne s’en cache pas. Saudi Arabia Uncovered (l’Arabie Saoudite dévoilée), dont nous publions la bande-annonce ci-dessus, a été produit par l’organisation de défense des droits de l’homme Front Line. Mais il s’agit avant tout d’un film qui permet de voir la réalité d’un pays comme il n’a jamais encore été possible de la voir.
» Voir le documentaire sur le site de Front Line
Il a en effet été essentiellement tourné en caméra cachée. “Trouver des gens à l’intérieur d’un pays étroitement contrôlé, volontaires pour produire des vidéos qui ne soient pas approuvées par l’Etat, afin de montrer au reste du monde ce qui se passe” dans leur pays, tel a été le pari du réalisateur James Jones. Les images proviennent donc d’un certain Yasser, un Saoudien anonyme qui était prêt à prendre ce risque. A cela s’ajoutent d’impressionnantes scènes – elles aussi tournées en caméra cachée – dues à certains membres de l’équipe de tournage qui se sont rendus en Arabie en se faisant passer pour des hommes d’affaires.
Le film compile également une série de vidéos filmées clandestinement par des anonymes avec leur téléphone portable et qui circulaient déjà sur les réseaux sociaux. Mais on ne les avait jamais vues ainsi mises en perspective. Dont la flagellation du blogueur Raif Badawi et une décapitation sur la place publique, ou encore des interventions de la police religieuse contre des femmes jugées insuffisamment voilées.
Pas étonnant que le film passe mal en Arabie Saoudite. “C’est du racolage de bas étage”, écrit l’éditorialiste saoudienne Eman Al-Qoweifli sur le site Al-Araby Al-Jadid. Selon elle, il s’adresse au “téléspectateur européen qui aime à se faire peur face à cette société [saoudienne], forcément barbare” et qui cherche à “conforter son sentiment de supériorité” morale par rapport au reste du monde. Bref, selon l’éditorialiste, ce film relève de “l’orientalisme droit-de-l’hommiste”.
“Il montre des incidents extrêmes comme si ceux-ci faisaient partie de la vie de tous les jours”, écrit pour sa part sur son blog la Saoudienne Loujain Al-Hathloul, qui dénonce un “film sensationnaliste et partial”.
Elle est connue en tant que militante féministe. Fin 2014, elle s’était fait arrêter par la police parce qu’elle se filmait au volant de sa voiture, bravant l’interdit fait aux femmes de conduire. C’est à ce titre de militante engagée qu’elle apparaît dans le film, avec la particularité de parler à visage découvert alors qu’elle vit en Arabie Saoudite. Mais elle ignorait ce qu’allait être le film lorsque ses propos ont été recueillis.
Sa présence dans le film lui vaut aujourd’hui des “critiques violentes et injustes, au point de mettre en question [sa] loyauté envers [son] pays”, écrit-elle dans une longue tribune d’autojustification. “Nous devons apprendre que le fait de critiquer un certain nombre de phénomènes dans notre pays ne fait pas de nous des ennemis de la patrie.”
Source : Courrier International, 05/04/2016