«Le colonialisme refuse les droits de l’homme à des hommes qu’il a soumis par la violence, qu’il maintient de force dans la misère et l’ignorance, donc, comme dirait Marx, en état de ‘sous-humanité’. Dans les faits eux-mêmes, dans les institutions, dans la nature des échanges et de la production, le racisme est inscrit.» (Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes, n°137, 1957).
Comment expliquez-vous une répression aussi violente en France?
Saïd Bouamama: L’explication médiatique dominante attribue la responsabilité du massacre au seul Maurice Papon et, pour ce faire, évacue tous les éléments du contexte. Ceux-ci mettent en évidence au contraire la probabilité forte d’un massacre décidé par les plus hautes autorités de l’État. Depuis le 20 mai 1961, l’indépendance de l’Algérie est l’objet de négociations.
Dans ce cadre, le FLN décide la cessation des attentats en France. La stratégie gaulliste est d’imposer une indépendance sans le Sahara, compte tenu à la fois des gisements de pétrole découverts et des premiers essais nucléaires qui s’y déroulent. Les négociations sont interrompues le 13 juin 1961 par la partie française du fait du refus algérien de cette amputation du Sahara.
L’État français veut reprendre les négociations en situation de force. Cela se traduit par un retour de la répression contre les Algériens de France, à laquelle répond la reprise, en août 1961, des attentats des militants du FLN.
La raison de realpolitik froide qui a conduit à prendre la décision d’un massacre est précise: reprendre la main dans les négociations afin d’imposer non plus l’indépendance sans le Sahara mais une indépendance néocoloniale favorable aux intérêts français.
Peut-on parler de crime d’État?
S.B.: Oui, à l’évidence. Une violence de cette ampleur n’a pas pu être décidée par le seul Papon. Plusieurs éléments attestent d’une volonté étatique de développer une répression massive. Fin août 1961, le garde des Sceaux, Edmond Michelet, favorable à une solution négociée en Algérie, est démis de ses fonctions.
Dès septembre 1961, des rafles massives d’Algériens reprennent. Dans la même période, les disparitions de militants nationalistes se multiplient et plusieurs cadavres sont retrouvés dans la Seine. Le 2 octobre, Maurice Papon déclare aux obsèques d’un brigadier exécuté par le FLN que «pour un coup donné, nous en porterons dix». Un couvre-feu est instauré pour les seuls Algériens le 5 octobre. Tous ces faits attestent de l’impossibilité d’une décision isolée relevant du seul préfet de police...
ATTENTION IMAGES CHOQUANTES !!!
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