À l’intérieur de la nouvelle science économique de l’effondrement à petit feu du capitalisme
Par Nafeez Ahmed
Insurge Intelligence
Et pourquoi la lutte pour un nouveau paradigme économique est sur le point de devenir urgente.
De nouvelles recherches économiques réécrivent tranquillement les fondamentaux de l’économie. La nouvelle science économique montre résolument que l’âge de la croissance sans fin du capitalisme industriel, basé sur le postulat d’un approvisionnement abondant en énergies fossiles, est terminé.
Le long déclin du capitalisme comme nous le connaissons, commença, comme la nouvelle science le démontre il y a quelques décennies et est en passe d’accélérer bien avant la fin du XXIe siècle.
Avec le capitalisme tel que nous le connaissons sur un inexorable déclin, la tâche urgente à venir est de réécrire l’économie pour s’adapter au monde réel : et en conséquence, de redessiner nos concepts de valeur et de prospérité, précisément pour reconstruire nos sociétés avec la vision de s’adapter à cet âge de transition extraordinaire.
Une étude révolutionnaire publiée par deux économistes français dans la revue Ecological Economics d’Elsevier prouve pour la première fois que le monde a franchi un point de non-retour dans sa capacité à extraire l’énergie fossile, avec des implications massives pour l’avenir à long terme de la croissance économique mondiale.
L’étude, « Estimations à long terme du retour sur investissement énergétique (EROI) pour la production mondiale de charbon, de pétrole et de gaz », s’intéresse au concept d’EROI, qui mesure la quantité d’énergie fournie par une ressource énergétique, par rapport à la quantité d’énergie consommée pour recueillir cette ressource. En termes simples, si un seul baril de pétrole est utilisé pour extraire l’énergie équivalente à 50 barils de pétrole, c’est plutôt bien. Mais moins nous sommes capables d’extraire de l’énergie en utilisant ce baril, moins le processus est efficace et plus onéreux (en termes d’énergie et d’argent).
Des études récentes suggèrent que l’EROI des combustibles fossiles a régulièrement décliné depuis le début du XXe siècle, ce qui signifie qu’au fur et à mesure que nous épuisons nos ressources de haute qualité, nous utilisons de plus en plus d’énergie juste pour extraire de nouvelles énergies. Cela signifie que les coûts de production d’énergie augmentent alors que la qualité de l’énergie que nous produisons diminue.
Mais contrairement aux études précédentes, les auteurs du nouveau journal – Victor Court, un macroéconomiste de l’Université Paris Nanterre, et Florian Fizaine du Laboratoire d’économie de Dijon (LEDi) de l’Université de Bourgogne – ont dissipé toute incertitude qui aurait pu subsister en la matière.
Un point de non-retour
Court et Fizaine constatent que les valeurs EROI de la production mondiale de pétrole et de gaz ont atteint leur maximum dans les années 1930 et 1940. La production mondiale de pétrole a atteint son pic d’EROI à 50 pour 1 ; tandis que la production mondiale de gaz atteint le pic d’EROI à 150 pour 1. Depuis lors, les valeurs EROI du pétrole et du gaz – l’énergie totale que nous sommes en mesure d’extraire de ces ressources pour chaque unité d’énergie que nous injectons – décline inexorablement.
Même pour le charbon, seule ressource fossile dont l’EROI n’a pas encore atteint le maximum, il est prévu de subir un pic EROI entre 2020 et 2045. Cela signifie que si le charbon pourrait encore avoir un potentiel de production important dans certaines parties du monde, les coûts la production le rend de moins en moins rentable.
Axiome : Le regroupement de ces données révèle que les combustibles fossiles du monde entier ont connu leur EROI cumulatif maximum d’environ 44 pour 1 au début des années 1960.
Depuis, la valeur totale de l’énergie que nous sommes capables d’extraire de la base mondiale de ressources en combustibles fossiles subit un déclin prolongé, continu et irréversible.
Perspective : À ce rythme de déclin, d’ici à 2100, nous prévoyons d’extraire la même valeur d’EROI des combustibles fossiles que nous avions dans les années 1800.
Plusieurs autres études suggèrent que ce déclin continu de la valeur totale de l’énergie extraite des combustibles fossiles mondiaux a joué un rôle fondamental dans le ralentissement de la croissance économique mondiale ces dernières années.
En ce sens, le krach financier de 2008 n’a pas représenté un événement singulier, mais plutôt un événement clé dans un processus en cours.
Le lien économie-énergie
Car la croissance économique reste en fin de compte tributaire de la « croissance de la consommation de matériaux et d’énergie », comme démontré dans une étude de la revue PLOS One en octobre dernier. Cette étude, menée par James D. Ward, de l’École des environnements naturels et bâtis de l’Université d’Australie-Méridionale, a remis en question l’idée que la croissance du PIB puisse être « découplée » des impacts environnementaux.
« L’illusion du découplage », selon Ward et ses collègues, a été maintenue à travers les techniques trompeuses suivantes :
- substitution d’une ressource par une autre ;
- financiarisation du PIB, comme par exemple avec un accroissement du « flux monétaire », la création de nouvelles dettes, sans toutefois accroître le débit de matière ou d’énergie (pensez à l’assouplissement quantitatif) ;
- exportation des impacts environnementaux sur d’autres pays ou régions, de sorte que les réalités de l’augmentation du débit de matières puissent être supprimées des calculs de données.
- l’inégalité croissante du revenu et de la richesse, qui permet au PIB de croître au profit de quelques-uns, tandis que la majorité des travailleurs voient diminuer leur revenu réel – autrement dit, une minorité de riches monopolise la plus grande fraction de la croissance du PIB, mais n’augmente pas leur niveau de consommation avec autant de demande d’énergie et de matériaux.
Ward et ses coauteurs ont cherché à tester ces facteurs en créant un nouveau modèle économique pour voir à quel point il se compare aux données.
Perspective : Ils ont constaté que la croissance économique continue du PIB « ne peut pas être découplée de la croissance en consommation matérielle et énergétique, démontrant catégoriquement que la croissance du PIB ne peut pas être maintenue indéfiniment. »
Une autre recherche scientifique récente a affiné cette relation entre l’énergie et la prospérité.
Le lien prospérité-ressources
Adam Brandt, éminent expert EROI du département de l’ingénierie des ressources énergétiques de l’Université de Stanford, dans l’édition de mars de BioPhysical Economics and Resource Quality, prouve que le déclin d’EROI a un impact direct sur la prospérité économique.
Des études antérieures sur ce sujet, souligne Brandt, ont mis en évidence le risque d’un « précipice énergétique net », qui se réfère au fait que « le déclin de l’EROI entraîne une augmentation rapide de la fraction d’énergie dédiée au simple entretien du système énergétique ».
Axiome : Donc, plus l’EROI décline, plus une grande proportion de l’énergie produite doit être utilisée simplement pour extraire plus d’énergie. Cela signifie que le déclin de l’EROI conduit à moins de croissance économique réelle.
Cela crée également une situation compliquée pour le prix du pétrole. Alors qu’au début, on peut s’attendre à ce que les EROI en déclin conduise à une hausse des prix pour répercuter les coûts de production plus élevés, la relation entre EROI et les prix commence à se dégrader au fur et à mesure que l’EROI diminue.
Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’avec un EROI fortement réduit, les consommateurs d’une économie moins prospère ne peuvent plus payer, énergétiquement ou économiquement, le côut de produire plus d’énergie – déclenchant ainsi une chute spectaculaire des prix du marché malgré des coûts de production plus élevés. À ce stade, dans la nouvelle ère de réduction de l’EROI, la fluctuation des prix du pétrole devient de moins en moins une indication de « l’insuffisance » de l’offre et de la demande.
Le nouveau modèle économique de Brandt examine la manière dont l’EROI affecte quatre secteurs clés : l’alimentation, l’énergie, les matériaux et la main-d’œuvre. Explorant ce que signifierait une baisse de l’énergie nette pour ces secteurs, il conclut :
« La réduction de la fraction d’une ressource libre et la productivité du système énergétique s’étend du système énergétique à tous les aspects de l’économie, ce qui donne une indication des mécanismes par lesquels la baisse de la productivité énergétique affecterait la prospérité générale.
Une implication claire de ce travail est que la diminution de la productivité des ressources énergétiques, modélisée ici comme l’exigence de plus de matériaux, de main-d’œuvre et d’énergie, peut avoir un effet significatif sur les flux requis pour soutenir tous les secteurs de l’économie. De telles baisses peuvent réduire la production discrétionnaire effective de l’économie en consommant une fraction de plus en plus importante de la production brute pour satisfaire aux exigences inter-industrielles. »
Le modèle de Brandt est théorique, mais il a des implications directes pour le monde réel.
Perspective : Étant donné que l’EROI des combustibles fossiles mondiaux a diminué régulièrement depuis les années 1960, le travail de Brandt suggère qu’un des principaux moteurs sous-jacents du processus à long terme de stagnation économique que nous connaissons est l’épuisement des ressources.
Le nouvel âge de la stagnation économique
L’ampleur exacte de l’impact de l’épuisement des ressources sur l’économie pourrait être, peut être, mesurée par une étude distincte du professeur Mauro Bonauiti du Département d’économie et de statistique de l’Université de Turin.
Son nouveau document publié en février dans le Journal of Cleaner Production évalue les données sur les innovations technologiques et la croissance de la productivité. Il conclut que :
« […] les sociétés capitalistes avancées sont entrées dans une phase de déclin des rendements marginaux – ou une décroissance involontaire – avec d’éventuels effets majeurs sur la capacité du système à maintenir son cadre institutionnel actuel. »
Bonauiti s’inspire du travail de l’anthropologue Joseph Tainter sur la croissance et l’effondrement des civilisations. L’œuvre séminale de Tainter, The Collapse of Complex Societies, a montré que la croissance même de la complexité conduisant à l’expansion d’une civilisation, génère de nouveaux problèmes complexes qui nécessitent plus de complexité pour les résoudre.
Axiome : Les civilisations complexes ont tendance à accélérer l’utilisation des ressources, tout en diminuant la quantité de ressources disponibles pour l’expansion continue de la civilisation – parce qu’elles sont continuellement investies dans la résolution des nouveaux problèmes générés par la complexité croissante.
Il en résulte que les sociétés complexes ont tendance à atteindre un seuil de croissance, après quoi les rendements diminuent à tel point que la complexification de la société ne peut plus être maintenue, conduisant à son effondrement ou sa régression.
Bonauiti s’appuie sur la trame de Tainter et l’applique à de nouvelles données sur la « productivité totale des facteurs » pour évaluer les corrélations entre la croissance et l’affaiblissement de la productivité, les révolutions industrielles et les implications pour la croissance économique continue.
Les avantages qu’une certaine société tire de ses propres investissements dans la complexité « n’augmentent pas indéfiniment », écrit-il. « Une fois un certain seuil atteint (T0), l’ensemble de l’organisation sociale entre dans une phase de déclin des rendements marginaux, c’est-à-dire une phase critique qui, si elle est ignorée, peut entraîner l’effondrement de l’ensemble du système. »
Ce seuil semble avoir été atteint par l’Europe, le Japon et les États-Unis avant le début des années 1970, affirme-t-il.
Perspective : L’économie américaine, a-t-il montré, semble avoir atteint « le pic de productivité dans les années 1930, la même période où l’EROI des combustibles fossiles atteint la valeur extraordinaire d’environ 100. »
Bien sûr, Court et Fizaine quantifient différemment la valeur exacte de ce pic EROI en utilisant une nouvelle méthodologie, mais ils conviennent que le pic s’est produit à peu près vers cette période.
Les États-Unis et d’autres économies avancées sont actuellement en train de connaître progressivement ce que Bonauiti appelle la « troisième révolution industrielle » (IR3), dans les technologies de communication de l’information (ICT). Il s’agissait cependant de la révolution industrielle la plus courte et la plus faible du point de vue de la productivité, celle-ci « s’évaporant » après seulement huit ans.
Aux États-Unis, la première révolution industrielle a utilisé le charbon pour alimenter la technologie des moteurs à vapeur et du télégraphe, stimulant une augmentation rapide de la productivité qui a culminé entre 1869 et 1892, à près de 2%.
La deuxième révolution industrielle a été alimentée par le moteur électrique et le moteur à combustion interne, qui a transformé la fabrication et la consommation domestique. Cela a permis à la productivité de culminer à 2,78%, stagnant à environ 2% pendant au moins 25 ans.
Après les années 1930, cependant, la productivité a continuellement décliné, atteignant 0,34% au cours de la période 1973-1995. Depuis lors, la troisième révolution industrielle menée par la technologie informatique a conduit à une reprise de la productivité qui, cependant, s’est déjà ralentie d’une manière plutôt faible par rapport aux précédentes révolutions industrielles.
Axiome : Le plus haut niveau de productivité a été atteint vers les années 1930, et depuis lors, il a diminué à chaque révolution industrielle.
La période de déclin correspond également approximativement à l’ère qui a suivi le pic EROI pour les combustibles fossiles totaux identifiés par Court et Fizaine.
Ainsi, conclut Bonauiti, « les preuves empiriques et les raisons théoriques conduisent à conclure que les innovations introduites par IR3 ne sont pas assez puissantes pour compenser les rendements décroissants de l’IR2. »
Perspective : Cela implique que le XXIe siècle représente la fin de l’ère de l’expansion économique industrielle, à l’origine inauguré par des innovations techniques permises par des sources abondantes d’énergie fossile
La dernière étape est illustrée par le graphique suivant qui montre la montée et la baisse rapides de la productivité de la dernière grande révolution de l’innovation technologique (IR3) :
La productivité de la troisième révolution industrielle a ainsi atteint un sommet autour de 2004 et a depuis reculé pour revenir aux niveaux des années 1980.
Bonauiti conclut ainsi que « les sociétés capitalistes avancées (États-Unis, Europe et Japon) sont entrées dans une phase de rendements marginaux décroissants ou de décroissance involontaire dans de nombreux secteurs clés, avec des effets négatifs majeurs sur la capacité du système à maintenir son cadre institutionnel actuel. »
En d’autres termes, le système économique mondial est entré dans une ère fondamentalement nouvelle, représentant un déphasage biophysique dans un paysage énergétiquement contraint.
Pour en revenir à la nouvelle analyse de l’EROI par les économistes français Victor Court et Florian Fizaine, on prévoit une diminution de l’EROI du pétrole à 15 pour 1 d’ici 2018. Il continuera de baisser aux alentours de 10 pour 1 d’ici 2035.
Ils ont globalement prévu la même tendance pour le gaz et le charbon : Globalement, leurs données suggèrent que l’EROI de tous les combustibles fossiles atteindra 15 pour 1 d’ici 2060 et diminuera encore jusqu’à 10 pour 1 d’ici 2080.
Si ces projections se réalisent, cela signifie qu’au cours des prochaines décennies, les coûts globaux de la production d’énergie fossile augmenteront, même si la valeur marchande des combustibles fossiles reste faible. Le rendement énergétique total net disponible pour alimenter la croissance économique continue diminuera inexorablement. Ceci, à son tour, réduira la possibilité de l’économie d’acheter de l’énergie fossile de plus en plus chère à produire.
Nous ne pouvons pas être sûrs de ce que cette situation sans précédent annoncera pour les prix du pétrole, du gaz et du charbon, qui ne suivront probablement pas la dynamique conventionnelle de l’offre et de la demande à laquelle nous étions habitués au XXe siècle.
Mais ce que dont nous pouvons être certains, grâce à la nouvelle science, c’est que l’ère de la croissance économique illimitée – caractéristique déterminante du capitalisme financier néolibéral tel que nous le connaissons – est bel et bien terminée.
Le cas typique de la fin de la croissance au Royaume Uni
Le fonctionnement concret de cette analyse a été défini par une équipe d’économistes du Centre for Climate Change Economics and Policy de l’Université de Leeds, dont les travaux de recherche ont été financés en partie par le géant d’ingénierie Arup, ainsi que par les principaux conseils de recherche financés par le gouvernement britannique, à savoir le Centre de recherche sur l’énergie du Royaume-Uni, le Conseil de recherche économique et sociale et le Conseil de recherche en ingénierie et en sciences physiques.
Dans leur article publié en janvier par le Sustainability Research Institute de l’université, Lina Brand-Correa, Paul Brockway, Claire Carter, Tim Foxon, Anne Owen et Peter Taylor développent une mesure de l’EROI de niveau national pour le Royaume-Uni.
En étudiant les données pour la période 1997-2012, ils constatent que « l’EROI du pays est en déclin depuis le début du XXIe siècle ».

L’énergie restituée (Eout) et l’énergie investie (Ein) au Royaume-Uni (1997-2012) Source: Brand-Correa (2017)
L’EROI net du Royaume-Uni a culminé en 2000 à une valeur maximale de 9.6, « avant de retomber progressivement à une valeur de 6.2 en 2012 ». Cela signifie qu’en moyenne, « 12% de l’énergie extraite ou captée du Royaume-Uni n’est pas utilisée dans l’économie ou dans la société à des fins productives ou de bien-être, mais doit plutôt être réinvestie dans les secteurs de l’énergie pour produire plus d’énergie ».
L’article s’inspire des travaux antérieurs des économistes Court et Fizaine suggérant que la croissance économique continue nécessite une EROI sociétale minimale de 11, basée sur l’intensité énergétique actuelle de l’économie britannique. Implicitement, le Royaume-Uni baisse de plus en plus en dessous de cette référence depuis le début du XXIe siècle :
« Ces premiers résultats montrent que de plus en plus d’énergie doit être utilisée dans l’extraction de l’énergie elle-même plutôt que par l’économie ou la société britannique. »
Cela implique également que le Royaume-Uni a dû maintenir une croissance économique soutenue par le biais d’autres mécanismes en dehors de son propre contexte énergétique domestique : en particulier, comme nous le savons, l’augmentation de la dette.
Ce n’est donc pas une coïncidence si les ratios dette/PIB ont continué de croître dans le monde entier. Comme l’EROI est en déclin, une bulle insupportable de la dette fondée sur l’exploitation des classes ouvrières et moyennes est la principale méthode pour maintenir la croissance – une entreprise qui, à un moment donné, sera inévitablement écrasée sous son propre poids.
Nous avons besoin d’une nouvelle économie
Selon l’économiste du MIT et Harvard, June Sekera – qui dirige le projet d’économie publique à l’Institut de développement et d’environnement mondial (GDAE) de l’Université Tufts – le déclin de l’énergie nette prouve que la théorie économique néoclassique ne convient tout simplement pas.
Dans le document de travail n°17-02 publié par le GDAE, Sekera soutient que : « L’une des contributions les plus importantes de l’économie biophysique est sa critique selon laquelle l’économie traditionnelle ne tient pas compte des bases biophysiques de la production et de l’énergie en particulier. »
Les décideurs, dit-elle, « ont besoin de comprendre l’impératif biophysique : le rendement énergétique net de la société diminue. D’où la nécessité d’une économie biophysique, et pour les décideurs de comprendre ses messages centraux. »
Pourtant, un problème clé est que l’économie traditionnelle est empêchée de comprendre l’existence même d’un déclin de l’énergie nette en raison d’une obsession idéologique du marché. Le résultat est que la production qui se fait en dehors du marché est perçue comme une aberration, une forme d’ingérence gouvernementale, étatique ou « politique » dans la dynamique « naturelle » du marché.
Et c’est pourquoi le marché à lui seul est incapable de trouver des solutions à la crise énergétique nette qui conduit à la stagnation économique mondiale. Le paradigme du marché moderne se limite fatalement par les dynamiques suivantes : « des horizons à court terme, la croissance comme une nécessité, un recyclage des déchets gratuit, les profits vitaux ». Ce qui le rend « incapable de produire des solutions exigeant un investissement à long terme et sans profit. »
Ainsi, Sekera appelle à une nouvelle « économie publique » à la mesure de ce qui est nécessaire pour une transition énergétique réussie. La nouvelle économie publique stimulera les innovations scientifiques et technologiques révolutionnaires qui résolvent les « problèmes de besoins communs » fondés sur « la prise de décision répartie et l’action collective ».
Les solutions qui en résulteront nécessiteront « un investissement à long terme : des investissements sans bénéfice immédiat en termes de produits vendables, pas de ROI (retour sur investissement) visible, pas de profit à court terme. Un tel investissement ne peut être généré que dans un environnement non marchand, dans lequel le paiement est collectif et le profit financier n’est pas le but. »
Le seul problème est que, comme Sekera le reconnaît elle-même, le principal incubateur et agent de l’économie publique non marchande est le gouvernement – mais le gouvernement lui-même joue un rôle clé dans le démantèlement, l’évidement et la privatisation de l’économie publique non marchande.
Il n’y a qu’une seule solution à cette énigme, aussi difficile que cela puisse paraître :
Les citoyens eux-mêmes, à tout les niveaux, ont la possibilité de travailler ensemble pour sauver et régénérer de nouvelles économies publiques en mettant en commun leurs ressources humaines, financières et matérielles pour faciliter l’émergence de structures économiques plus viables et durables. Une partie de cela inclura l’adaptation aux sources d’énergie post-carbone.
Loin de représenter la fin de la prospérité, cette transition représente une opportunité pour redéfinir la prospérité au-delà de l’idée d’une accumulation matérielle sans cesse croissante ; et recadrer la société dans le but de répondre aux besoins physiques, psychologiques et spirituels réels de tous les humains.
Ce qui émergera des efforts pour le faire n’a pas encore été écrit. Mais ces efforts définiront les contours de la nouvelle économie post-carbone, alors que le poids insoutenable de l’ancienne est en train de disparaître lentement et douloureusement jusqu’à une agonie longue et chaotique.
Dans les années et les décennies à venir, la réalité de la nécessité d’une nouvelle science économique qui reflète la dynamique de l’intégration fondamentale de l’économie dans l’environnement biophysique deviendra de plus en plus évidente.
Alors, disons adieu à la croissance sans fin néolibérale.
Dr Nafeez Ahmed est un journaliste d’investigation récompensé depuis 16 ans et créateur d’INSURGE, un projet de journalisme d’investigation d’intérêt public. Il est chroniqueur « Changement de système » à VICE’s Motherboard.
Source : Insurge Intelligence, Nafeez Ahmed, le 21 août 2017.
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.