Jared Kushner et Mohamed bin Salman sont aujourd'hui les plus grands dangers au Moyen-Orient.
Article originel : The Greatest Dangers in the Middle East Today are Jared Kushner and Mohamed bin Salman
Par Patrick Cockburn
The Independent
Traduction SLT
Les néo-con et les penseurs de droite, qui déclaraient en 2003 qu'une guerre avec l'Irak serait un échec, sont de retour à Washington, poussant à une guerre avec l'Iran - et sont plus forts que jamais..
J'étais dans ma chambre d'hôtel à Bagdad, rue Al-Sadoun, dimanche soir dernier, pour parler des chances de stabilité en Irak qui s'annonçaient, lorsque les murs et le sol ont commencé à trembler. Ils ont tremblé sur le côté, en haut et en bas plusieurs fois comme si ma chambre était la cabine d'un bateau dans une mer agitée.
Ma première pensée confuse était qu'il devait y avoir eu une énorme explosion de bombe, ce qui expliquerait le basculement de tout ce qui m'entourait. Mais presque simultanément, je me suis rendu compte que je n'avais pas entendu le bruit d'une explosion, donc une meilleure explication était qu'il y avait un tremblement de terre, bien que je n'avais jamais pensé que Bagdad était dans une zone sismique.
Les mouvements saccadés des murs et du plancher de ma chambre étaient si spectaculaires que je me demandais si le bâtiment allait s'effondrer. Je regardai sous le bureau où j'étais assis, mais l'espace était trop petit pour que je puisse m'accroupir. Je me suis mis à genoux et j'ai commencé à ramper vers la salle de bain, qui est censée être l'endroit le plus sûr en cas d'explosion de bombe, et j'ai supposé que la même chose doit être vrai aussi pour les tremblements de terre.
J'étais arrivé à peu près à mi-chemin quand la secousse s'est arrêtée. Les lumières étaient encore allumées, ce qui semblait bon signe. Je suis retourné sur un tabouret et j'ai googlé "Bagdad tremblement de terre" sur mon ordinateur portable et j'ai lu une série de tweets alarmés confirmant que c'était bien ce qui venait de se passer.
Il s'agissait d'un séisme d'une magnitude de 7,3 à 31 kms de Halabja, une petite ville du Kurdistan irakien située à 240 kms au nord-est de Bagdad et près de la frontière iranienne. Neuf personnes ont été tuées en Irak, mais les dégâts catastrophiques se sont produits en Iran, où 530 personnes sont mortes.
Autrefois, un tremblement de terre comme celui-ci serait considéré comme un présage: un avertissement du mauvais temps à venir. Les pièces de théâtre de Shakespeare sont remplies de ces sinistres présages qui précèdent communément les assassinats et les défaites au combat. Ce serait dommage dans le cas de l'Irak d'aujourd'hui car, pour la première fois depuis que Saddam Hussein a commencé sa guerre contre l'Iran en 1980, les perspectives semblent positives.
Le gouvernement central est plus fort qu'auparavant, battant l'Etat islamique (EI) suite au siège de Mossoul qui a duré plus de neuf mois et mettant fin au mouvement de sécession du Kurdistan irakien en réoccupant pacifiquement Kirkouk et d'autres territoires contestés.
Ces succès sont certes substantiels, mais ce qui a vraiment changé le paysage politique irakien, c'est qu'il n' y a plus de communauté, de parti ou de faction qui combattent le gouvernement central avec l'aide financière et militaire de bailleurs de fonds étrangers. Pour une fois, l'Irak entretient de bonnes relations avec tous les pays voisins.
Le tremblement de terre n'annonce peut-être pas une recrudescence de la violence générée en Irak, mais dans la réalité, il rappelle utilement que le pays, comme le reste du Moyen-Orient, est vulnérable aux événements imprévus et imprévisibles. Bien sûr, c'est toujours une possibilité n'importe où, mais jamais plus qu'aujourd'hui à cause de l'étrange changement de caractère de deux puissances traditionnellement conservatrices dans la région: les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite. Auparavant déterminés à préserver le statu quo politique, elles sont toutes deux devenus nerveuses et enclines à couper la branche sur laquelle elles sont assises.
Peu avant le tremblement de terre de Bagdad, je faisais le point sur la stabilisation de l'Irak auprès d'un diplomate européen. Il a dit que c'est peut-être vrai, mais que le véritable danger pour la paix "vient d'une combinaison de trois personnes: le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman, le gendre de Trump et émissaire du Moyen-Orient Jared Kushner, et Bibi Netanyahou en Israël".
Probablement, les Saoudiens et les Etatsuniens exagèrent la volonté de Netanyahu et d'Israël d'aller à la guerre. Netanyahu a toujours été fort sur la rhétorique belliqueuse, mais prudent sur le conflit militaire réel (sauf à Gaza, qui relevait plus du massacre que d'une guerre).
La puissance militaire d'Israël a tendance à être exagérée et son armée n' a pas gagné une seule guerre depuis 1973. Les engagements antérieurs avec le Hezbollah ont mal tourné. Les généraux israéliens savent que la menace d'une action militaire peut être plus efficace que son utilisation pour maximiser l'influence politique israélienne, mais qu'aller en guerre signifie perdre le contrôle de la situation. Ils connaissent le dicton du chef d'état-major allemand du XIXe siècle, Helmuth Von Moltke, selon lequel "aucun plan ne survit au contact avec l'ennemi".
Mais même si les Israéliens n'ont pas l'intention de combattre le Hezbollah ou l'Iran, cela ne veut pas dire qu'ils ne voudraient pas que quelqu'un d'autre le fasse pour eux. Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi m'a dit plus tôt ce mois-ci dans une interview que sa plus grande crainte était un affrontement étatsuno-iranien en Irak. Cela pourrait se faire directement ou par l'intermédiaire de supplétifs, mais dans l'un ou l'autre cas, cela mettrait fin au processus de paix fragile.
Du côté optimiste, la politique étatsunienne en Irak et en Syrie est largement dirigée par le Pentagone et non par la Maison-Blanche, et n'a pas beaucoup changé depuis l'époque du président Obama. Elle a réussi à détruire l'EI et son califat autoproclamé.
Les guerres en Irak et en Syrie ont déjà des vainqueurs et des perdants: le président Bachar al-Assad reste au pouvoir à Damas, tout comme le gouvernement dominé par les Chiites à Bagdad. Un axe essentiellement chiite soutenu par l'Iran dans quatre pays - Iran, Irak, Syrie et Liban - s'étend de la frontière afghane à la Méditerranée. C'est le résultat des guerres depuis 2011, qui ne vont pas être inversées, sauf par une invasion terrestre étatsunienne - comme cela s'est produit en Irak en 2003.
Le grand danger au Moyen-Orient aujourd'hui est que le Prince héritier Mohamed bin Salman et Jared Kushner semblent avoir une compréhension biaisée et irréaliste du monde qui les entoure. L'inspecteur Clouzot semble avoir une plus grande influence sur la politique saoudienne que Machiavel, à en croire les plaisanteries entourant la démission forcée de Saad Hariri en tant que Premier Ministre du Liban. Ce genre de chose ne va pas effrayer les Iraniens ou le Hezbollah.
Les signes indiquent que l'Iran a décidé de faire beaucoup de chemin pour éviter la confrontation avec les États-Unis. En Irak, on rapporte qu'il soutiendra la réélection d'Abadi comme premier ministre, ce que les États-Unis veulent également. L'Iran sait qu'il a remporté la victoire en Irak et en Syrie et qu'il n'a pas besoin d'en vanter les mérites. Il peut aussi croire que le prince héritier utilise une rhétorique nationaliste anti-iranienne pour asseoir son propre pouvoir et n' a pas l'intention de faire grand-chose à ce sujet.
Personne n'a beaucoup à gagner d'une autre guerre au Proche-Orient, mais les guerres sont généralement déclenchées par ceux qui se trompent sur leurs propres forces et intérêts. Les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite sont devenus des "jokers" dans le peloton régional. Les néo-con et les penseurs de droite, qui disaient en 2003 qu'une guerre avec l'Irak serait facile, sont de retour à Washington pour faire la guerre à l'Iran - et sont plus forts que jamais.
Les guerres au Moyen-Orient devraient prendre fin, mais elles pourraient entrer dans une nouvelle phase. Les dirigeants des États-Unis et de l'Arabie saoudite ne veulent peut-être pas d'une nouvelle guerre, mais ils pourraient se fourvoyer dans une nouvelle guerre.