Les États-Unis s'orientent vers une présence ouverte en Syrie après la déroute de l'État islamique
Article originel : U.S. moves toward open-ended presence in Syria after Islamic State is routed
Par Karen DeYoung* et Liz Sly**
Washington Post, 22.11.17
Traduction SLT
L'administration Trump étend ses objectifs en Syrie au-delà de l'État islamique pour y inclure un règlement politique de la guerre civile du pays, un engagement déconcertant et potentiellement indéfini qui pourrait entraîner les États-Unis dans un conflit avec la Syrie et l'Iran.
Avec des forces loyales au président Bachar al-Assad et à ses alliés russes et iraniens qui s'en prennent maintenant aux dernières villes contrôlées par les militants, la défaite de l'État islamique en Syrie pourrait être imminente - avec la fin de la justification étatsunienne d'être là.
Les responsables étatsuniens affirment qu'ils espèrent utiliser la présence continue de troupes US dans le nord de la Syrie pour appuyer les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes, afin de faire pression sur Assad pour qu'il fasse des concessions lors des pourparlers de paix à Genève. Les négociations devraient reprendre à la fin de ce mois, après plus de trois ans sans résultat.
Les forces d'Assad, avec l'aide cruciale des milices parrainées par l'Iran, ont repris le contrôle d'une grande partie du reste du pays dans leur guerre séparée avec les rebelles syriens luttant pour mettre fin au régime autocratique du président.
Un retrait abrupt des États-Unis pourrait achever la récupération du territoire syrien par Assad et contribuer à garantir sa survie politique - un résultat qui constituerait une victoire pour l'Iran, son allié proche.
Pour éviter ce résultat, les responsables étatsuniens disent qu'ils ont l'intention de maintenir une présence militaire étatsunienne dans le nord de la Syrie - où les Etatsuniens ont formé et aidé les FDS contre l'État islamique (EI) - et d'établir une nouvelle gouvernance locale, en dehors du gouvernement Assad, dans ces régions.
Lorsque les négociations politiques ont commencé à Genève il y a plus de trois ans, les rebelles - avec l'aide des bailleurs de fonds arabes occidentaux et sunnites - contrôlaient une bonne partie de la Syrie et étaient bien mieux placés pour exiger le retrait d'Assad dans le cadre d'un règlement.
Cependant, la puissance aérienne russe et les forces terrestres alliées iraniennes ont fortement modifié la situation au profit d'Assad, tant sur le champ de bataille qu' à la table des négociations. La Russie et l'Iran ont également indiqué leur intention de rester.
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En plus d'étendre la présence des États-Unis en Syrie, l'administration cherche également une nouvelle coopération avec la Russie. Plus tôt ce mois-ci, le président Trump et le président russe Vladimir Poutine ont signé une déclaration commune soutenant le processus de Genève. Les deux dirigeants ont parlé de nouveau par téléphone mardi, quelques heures après Poutine a été photographié embrassant Assad lorsque les deux se sont rencontrés dans la station russe de Sotchi.
La Russie, ainsi que l'Iran et la Turquie, accueillent cette semaine leur propre conférence politique sur la Syrie, un rassemblement qui pourrait bloquer des positions qui rendraient les objectifs étatsuniens plus difficiles à atteindre.
Les responsables étastuniens ont souligné qu'une présence militaire permanente des États-Unis en Syrie est nécessaire pour veiller à ce que les vestiges de l'État islamique soient récupérés et que les communautés repeuplées soient stabilisées par la gouvernance locale. La lutte contre l'EI n'est pas terminée", a déclaré un fonctionnaire, utilisant un acronyme pour l'État islamique.
Mais le fonctionnaire, l'un des nombreux intervenants qui ont parlé sous condition d'anonymat pour discuter de la planification et des initiatives en cours, a décrit la mission indéfinie des forces étatsuniennes comme étant "double".
"L'expansion initiale de l'Etat islamique a été rendue possible par le vide d'autorité laissé par la guerre civile syrienne, a déclaré le responsable. Ce vide a été créé par l'absence d'un processus politique légitime", et le groupe militant, ou ses successeurs, le comblera à nouveau si l'"aspect politique" n'est pas résolu.
Lorsqu'on lui a demandé la semaine dernière combien de temps les troupes étatsuniennes resteraient en Syrie, le secrétaire à la Défense Jim Mattis a répondu : " Nous n'allons pas partir maintenant" avant qu'un accord politique ne soit conclu entre Assad et l'opposition syrienne. "Nous allons nous assurer de fixer les conditions d'une solution diplomatique. . . . Pas seulement, vous savez, combattre militairement et dire ensuite bonne chance pour le reste."
L'effectif officiel des troupes étatsuniennes actuellement déployées en Syrie est de 503 hommes, envoyés pour former et assister les FDS. On estime que le nombre réel est beaucoup plus élevé, y compris des centaines de forces d'opérations spéciales supplémentaires, de contrôleurs aériens avancés, d'équipages d'artillerie et autres envoyés pour des déploiements temporaires de plusieurs mois.
Mattis dit qu'aucune décision n'a été prise quant au nombre de soldats qui resteront. Ils attendront jusqu'à ce que "le processus de Genève soit terminé", a-t-il dit. "Ça ne veut pas dire que tout le monde restera. Ça ne veut pas dire ça. . . certaines troupes s'en vont."
Selon Nicholas Heras, du Center for a New American Security, basé à Washington, Nicholas Heras, les plans de maintien de la présence de troupes indiquent un changement de mission, passant de la défaite de l'État islamique à une stratégie plus large de la Maison-Blanche visant à contrer l'influence iranienne.
"Les conditions sont réunies pour que la campagne contre l'EI se transforme en campagne contre l'Iran ", a déclaré M. Heras. "Les États-Unis n'ont pas de plan directeur pour rester, mais ils ne sont pas pressés de partir non plus", a-t-il dit. "En n'inscrivant aucun calendrier à la fin de la mission étatsunienne. . . le Pentagone est en train de créer un cadre pour maintenir l'engagement des Etats-Unis en Syrie pour les années à venir."
Ces derniers mois, les États-Unis et la Russie ont établi une zone de cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie, près des frontières avec Israël et la Jordanie. L'accord exige que l'opposition et les troupes gouvernementales - avec leurs alliés de la milice libanaise du Hezbollah soutenue par l'Iran - s'arrêtent de progresser.
Israël a déclaré que l'accord n'allait pas assez loin pour répondre à ses préoccupations concernant l'influence massivement étendue de l'Iran en Syrie à la suite de la guerre civile, qui comprend le déploiement de conseillers militaires du Corps des gardes révolutionnaires iraniens (CGRI) et de milices alliées dans de vastes parties du pays contrôlées par le gouvernement Assad. Certaines de ces forces se trouvent à moins de 10 kms des territoires occupés par Israël sur les hauteurs du Golan.
Washington et Moscou ont également négocié des lignes de déconflit à l'est, où les forces gouvernementales, aidées par des frappes aériennes russes, ont avancé contre l'Etat islamique vers la frontière irakienne dans la même zone où les FDS, avec leurs soutiens étatsuniens, pousse le sud contre les militants.
Dans des déclarations de colère la semaine dernière, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov et le ministère russe de la Défense ont accusé les États-Unis d'avoir aidé directement les forces de l'État islamique en conflit avec les forces syriennes qui se dirigent vers la frontière irakienne, et d'avoir permis aux terroristes d'échapper aux offensives étatsuniennes contre eux, tant en Syrie qu'en Irak. Le département de la Défense des États-Unis a tout aussi violemment nié les accusations.
Les États-Unis et la Russie ont choisi de mettre l'accent sur les différentes parties de l'accord entre Trump et Poutine, signé plus tôt ce mois-ci lors d'une conférence régionale asiatique, et d'engager leurs gouvernements à soutenir le processus de Genève.
L'administration US a salué le soutien de la Russie aux négociations qui, selon elle, mèneront au départ d'Assad. Elle mise en partie sur les dispositions de la table de négociation de Genève qui permettent à la diaspora syrienne, y compris des millions de réfugiés anti-assad qui ont fui les violences qui y ont eu lieu, de voter lors d'élections qui se tiendront éventuellement sous surveillance internationale.
Pour sa part, la Russie a pris acte de la reconnaissance par l'accord de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie. La semaine dernière, Lavrov a souligné que la Russie et l'Iran, contrairement aux États-Unis, sont en Syrie à l'invitation de son gouvernement. Le gouvernement syrien dénonce régulièrement les troupes étatsuniennes comme des "occupants" et menace de les expulser.
L'accord prévoit également le retrait éventuel des forces étrangères de Syrie, mais la Russie a clairement indiqué que cette disposition ne s'applique qu'à la zone de cessez-le-feu du sud-ouest et au positionnement des milices plus éloignées de la frontière israélienne.
La Russie, au nom d'Assad, a longtemps insisté pour que les négociations de Genève se tiennent sans conditions préalables - code pour laisser la porte ouverte à la poursuite du pouvoir d'Assad. Au cours de sa campagne, Trump semble d'accord, indiquant que les Etats-Unis pourraient trouver un but commun avec Assad et ses alliés dans la lutte contre l'Etat islamique.
"Notre priorité n'est plus de nous asseoir et de nous concentrer sur la sortie d'Assad", a déclaré en mars Nikki Haley, l'ambassadrice de Trump auprès de l'ONU. En même temps, le sénateur John McCain (Républicain-Arizona) affirmait que le nouveau gouvernement s'acheminait vers une "négociation faustienne avec Assad et Poutine, scellée par une promesse vide de coopération antiterroriste".
*Karen DeYoung est rédactrice adjointe et correspondante principale de la sécurité nationale pour le Washington Post.
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**Liz Sly est la chef du bureau du Post à Beyrouth, couvrant le Liban, la Syrie et la région. Elle a passé plus de 17 ans à couvrir le Moyen-Orient, y compris la première et la deuxième guerre en Irak. D'autres affectations incluent Washington, l'Afrique, la Chine, l'Afghanistan et l'Italie.
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