Hier, nous apprenions – quand bien même son nom n’a pas été cité directement – que le gouvernement demandait à la directrice du Conseil national du numérique, Marie Ekland, d’évincer Rokhaya Diallo dudit conseil. Quelques jours plus tôt, pourtant, le gouvernement installait officiellement le Conseil national du numérique et la présence de Rokhaya Diallo ne semblait poser aucun problème. Il serait d’ailleurs naïf de croire que le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, et a fortiori le président Emmanuel Macron ne connaissaient pas la future composition du conseil bien avant l’annonce officielle. Les deux – il est totalement inenvisageable que Monsieur Macron n’ait pas, au moins, validé la décision de demander l’éviction de Madame Diallo – n’y trouvaient rien à redire et c’est une campagne haineuse de la part de la droite la plus extrême (les Valls, Fourest, Boyer, Printemps Républicain et consorts) qui a abouti à cette décision.
Cette hystérie autour de Rokhaya Diallo de la part de ces tristes personnages émane à n’en pas douter du fait que cette spécialiste du numérique connue et reconnue de par le monde est également une farouche militante de l’antiracisme politique et de la lutte contre l’islamophobie, combats que ces personnes ne tolèrent pas. Dans son communiqué froid et tranchant comme la lame d’une guillotine, Mounir Mahjoubi, tout acquis à sa couardise explique que « le conseil national du numérique a besoin de sérénité pour travailler, et les derniers échanges sur la composition du Conseil soulignent que ces conditions ne sont pas pleinement réunies ». Cette phrase m’a personnellement fait penser à l’interdiction d’une journée réservée aux femmes dans un parc aquatique près de Marseille il y a quelques temps qui avait finalement été interdite pour troubles possibles à l’ordre public après les menaces de la fachosphère. Cette décision prise par l’exécutif en dit long sur l’état de délabrement intellectuel de notre pays en même temps qu’elle souligne, s’il le fallait, qu’une double hypocrisie est présente au plus haut sommet de l’Etat.
L’ère des vociférations
Il aura donc fallu qu’un petit groupe de personnes, très actives et très bruyantes, se mette en branle pour que le gouvernement cède à leurs passions tristes et leur accorde ce qu’il voulait, c’est-à-dire la tête de Madame Diallo. Cette France rance qui vocifère à longueur de temps semble être bien plus entendue par l’exécutif que les personnes qui tentent d’expliquer patiemment et rationnellement des choses à ce gouvernement. Céder à leurs vociférations sur le cas de Madame Diallo de la part du gouvernement n’est, malheureusement, même pas une surprise lorsque l’on regarde le passif de l’exécutif qui, après quelques mois au pouvoir, est déjà bien lourd. Il n’y a d’ailleurs rien de surprenant à cela lorsque l’on se rappelle qu’au moment de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron faisait tout pour ne pas se mettre à dos cet électorat (ainsi qu’en ont témoigné certains de ses balbutiements ou ses visites à Philippe de Villiers par exemple).
Je le disais plus haut, l’attitude du gouvernement n’est pas un cas isolé et céder aux vociférations de cette France rance semble être devenu un modus operandi de la part de ce gouvernement. Le traitement des migrants, l’inscription de l’état d’urgence dans le droit commun, les multiples propos odieux tenus par Emmanuel Macron, etc. ne sont pas des éléments à prendre séparément les uns des autres. Ils méritent au contraire d’être regardés d’un point de vue global parce qu’ils font système et constituent une forme de fil d’Ariane d’une politique réactionnaire et identitaire. Certains médias nous ont vendu – quelques-uns continuent à essayer de le faire – l’élection d’un Kennedy à la française et nous nous retrouvons avec un avatar de Manuel Valls, il est vrai un peu plus souriant. Les vociférateurs semblent avoir une vision bien effrayante du débat public. C’est, en somme, soyez d’accord avec nous ou vous en serez expulsés. Cet ostracisme abject démontre à quel point leurs passions tristes ont contaminé le plus haut sommet de l’Etat.
L’hypocrisie au plus haut
Au-delà du drame que constitue cette éviction du fait que cette France rance a gagné, cette décision est le révélateur, à mes yeux, d’une double hypocrisie qui règne au sommet de l’Etat. La première, la plus évidente et celle qui saute aux yeux, est bien sûr inhérente à la formulation du communiqué de presse du secrétaire d’Etat. Ce louvoiement qui est le sien pour ne pas dire nommément la personne qui pose problème ni de manière claire et définie pourquoi ladite personne pose problème. On peut y voir une certaine pusillanimité de la part d’un exécutif qui demande l’éviction sans aller au bout de sa logique. Cette première hypocrisie n’est nullement une surprise sitôt que l’on a compris comment fonctionnait Emmanuel Macron depuis la campagne présidentielle jusqu’à aujourd’hui avec sa propension à être volontairement flou.
Il existe pourtant une autre hypocrisie qui, elle, met bien plus à mal les prétentions d’Emmanuel Macron et de son gouvernement. Le locataire de l’Elysée a, en effet, expliqué à qui voulait l’entendre qu’il fallait tourner la page et changer de monde. Ce bouleversement qu’il prétendait porter reposait notamment sur un pilier, celui du choix par la compétence. Aussi avons-nous vu débarquer à la tête des ministères un nombre important de ministres provenant du secteur privé puisque, dans la logique du nouveau président, la compétence se trouve avant tout dans le privé. Dans le cas de Rokhaya Diallo la compétence est manifeste. Elle est reconnue et attestée par nombre de spécialistes et Madame Diallo intervient notamment auprès de l’ONU sur ces questions numériques – pas plus tard qu’hier elle était d’ailleurs en Egypte sur invitation de l’ONU pour discuter, ironie de l’histoire, des discours de haine sur Internet. Le communiqué de Mounir Mahjoubi met en outre à mal l’indépendance supposée du Conseil national du numérique.
Nous le voyons donc, le gouvernement a une nouvelle fois cédé à la partie rance de la France, cette même partie qui vocifère contre tout débat relatif à la PMA ou à l’euthanasie. Vociférer en étant de cette partie-là de la France semble être le moyen le plus sûr d’être écouté par un gouvernement qui a clairement choisi son bord malgré toutes les formules creuses de communication vantant son progressisme. Dans cette nuit noire et menaçante, faisons notre le vers génial d’Apollinaire et rallumons les étoiles. Il en est grand temps.