ALEXANDRE DJOUHRI ET LES INTOUCHABLES
Ali Baba.
Proche et Moyen Orient
ALEXANDRE DJOUHRI ET LES INTOUCHABLES – Ali Baba. Le microcosme germanopratin respire. Le politicien moyen pousse un ouf de soulagement. La Justice reprend soudain des couleurs. Le 7 janvier 2018, le sulfureux intermédiaire, homme d’affaires franco-algérien, Alexandre Djouhri est interpellé à l’aéroport d’Heathrow à Londres en vertu d’un mandat d’arrêt européen (libéré sous forte caution les 10 janvier 2018). Il est vrai que l’attention de plusieurs magistrats instructeurs français se portait depuis plusieurs mois sur l’homme au langage cru, fleuri pour en savoir un peu plus sur le financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007 de la part de cet homme qui évoluait entre Alger, Genève, Londres, Moscou et quelques autres capitales arabes dont Tripoli. Plusieurs hauts personnages, en particulier le « cardinal » Claude Guéant ou le diplomate atypique, Boris Boillon ont déjà été interrogés sur cette affaire par la fine fleur de l’instruction en France. Tous jurent que jamais le dictateur libyen n’aurait versé un seul centime à l’ex-président de la République. Juré, craché, tout ceci n’est que pur mensonge destiné à discréditer leur mentor, Nicolas Sarkozy. Ceux qui prétendraient le contraire ne seraient que de vulgaires affabulateurs auxquels la Justice devrait faire rendre gorge tôt ou tard.
Rappelons que l’intéressé s’était vu confier dans le passé un certain nombre de missions sensibles au début de la guerre en Libye par des officiels français. Seul petit grain de sable (parmi bien d’autres tant le carnet d’adresses de l’intéressé est bien fourni) dans cette affaire, Alexandre Djouhri, qui est présenté comme l’ennemi public numéro un, était officiellement invité (avec le traditionnel carton aux armes dorées de la République) et intuitu personae à la résidence de l’ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt à l’occasion de la réception qu’offrait le président de la République, Emmanuel Macron lors de sa visite officielle à Alger le 6 décembre 2017. Et, c’est là que le bât blesse. Comment Jupiter peut-il inviter à la Résidence de France, plus connue sous son appellation de « Villa des Oliviers » une personne aussi « défavorablement connue » de la maréchaussée française et des justices française et helvétique ? Patatras lorsque le volatil sort l’information. C’est le sauve-qui-peut et le c’est pas moi, c’est l’autre. Comme toujours dans ce genre de bavure diplomatique, les courageux ne sont pas légions. Chacun se renvoie élégamment la patate chaude, chargeant lâchement les petits copains de tous les maux de la terre. Qu’apprenons-nous par l’édition du 10 janvier 2018 du volatil ? « De retour à Paris, Jupiter a ainsi engueulé son ministre des Affaires étrangères : ‘je suis pour une diplomatie de l’exigence, pas des affaires’. Jean-Yves Le Drian a aussitôt fait passer le message à l’ambassadeur d’Alger et au secrétaire général du Quai d’Orsay, , un ami de Djouhri, nommé à ce poste par… Macron ». Et, la boucle est bouclée. En un mot, cela veut dire que l’incident est clos et que l’affaire en restera là en dépit de sa gravité.
Revenons à la chaîne possible de responsabilités dans cette affaire. Il appartient aux services de l’ambassade, sous la responsabilité personnelle et propre de l’ambassadeur (l’ex-inspecteur général du quai d’Orsay, Xavier Driencourt, beau-frère de l’ex-président du Conseil constitutionnel et ancien du cabinet Juppé), de proposer au protocole de l’Élysée (Frédéric Billet) une liste d’invités pour la traditionnelle réception qu’offre le chef de l’État à ses hôtes algériens et à la colonie française locale. En toute logique diplomatique, ce projet de liste peut/doit être soumis pour approbation au président de la République (celui qui dort deux à trois heures par nuit et qui lit tout, nous dit-on) directement ou indirectement par le canal de la cellule diplomatique de l’Élysée dirigée par Philippe Étienne au sein de laquelle existe une conseillère Afrique du Nord-Moyen-Orient, Ahlem Gharbi. Le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler et son adjoint sont vraisemblablement consultés. Au Quai d’Orsay, le directeur de cabinet du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (Emmanuel Bonne, ex-ambassadeur à Beyrouth et ancien de la cellule diplomatique de François Hollande) et le directeur d’Afrique du Nord Moyen-Orient ou ANMO (Jérôme Bonnafont, chiraquien, ex-porte-parole de l’ancien président, ex-ambassadeur à Tel Aviv, New Dehli, Madrid…) ont pu/du être consultés sans parler sur secrétaire général du Quai d’Orsay, Maurice Gourdault-Montagne (proche de Dominique de Villepin, conseiller diplomatique de Jacques Chirac, ex-ambassadeur à Londres, Berlin, Pékin et familier d’Alexandre Djouhri). Une enquête administrative rapide et sérieuse aurait rapidement permis de montrer où se situait la faille « protocolaire ». Qu’a-t-on véritablement fait ou pas fait ? Nous ne le saurons vraisemblablement jamais. Décidemment, on ne traite pas tous ces hauts fonctionnaires comme le vulgum pecus (les agents dits d’exécution ou les agents de catégorie A ne bénéficiant pas de « protections » de toutes natures) par des sanctions administratives (du premier au quatrième degré en fonction de la gravité de la faute). Un simple petit coup de fil de notre lorientais à ses ouailles de la Maison des bords de Seine, suffit à apaiser l’ire de Jupiter. Et, l’affaire est dans le sac, elle est prestement étouffée… Tout ce petit monde de l’entre-soi va pouvoir dormir sur ses deux oreilles… sauf si le feuilleton du volatil apportait quelques développements supplémentaires dans les semaines à venir. Sait-on jamais !
Il est presque certain qu’Alexandre Djouhri va jouer le rôle de fusible, de bouc émissaire, d’arbre qui cache la forêt dans cette affaire du possible financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Il découvrira à cette occasion que les intouchables, cela n’existe pas seulement en Inde, mais aussi dans notre douce France.
L’Afrique est connue pour ses divisions internes et sa prédisposition aux conflits, en particulier ceux encouragés de l’étranger, et c’est dans cet esprit qu’il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter pour sa stabilité en 2018. En partant de l’Afrique du Nord vers l’Afrique australe, l’Égypte est régulièrement attaquée par des terroristes dans le Sinaï et ailleurs, ce qui constitue une menace réelle pour le gouvernement du président al-Sissi. En outre, l’Égypte estime que sa sécurité en matière d’approvisionnement en eau est menacée par les plans éthiopiens de construction du barrage de la Grande Renaissance.
La poursuite du développement de ce méga-projet devrait voir les tensions s’intensifier entre les deux États alors qu’il approche de son achèvement. Cela pourrait même permettre à l’Égypte d’étendre son soutien au peuple éthiopien des Oromos, la plus grande minorité du pays engagée dans des manifestations antigouvernementales à grande échelle depuis un an et qui a récemment commencé à se heurter au sujet des droits fonciers avec la minorité somalienne. Un conflit pourrait prendre des dimensions internationales si le groupe terroriste somalien al-Shabaab décide d’intervenir en faveur de ses compatriotes ethniques.
Le proche voisin égyptien, la Libye, est toujours pris dans une guerre civile aux multiples camps, mais ce conflit s’est depuis cristallisé en une rivalité est-ouest et pourrait être partiellement résolu par les élections présidentielles de l’année prochaine. La situation dépend de Saif Kadhafi et du général Haftar au sujet d’un accord de coopération politique entre eux. Quant à l’Algérie, le décès inévitable du président Bouteflika, vieillissant et apparemment handicapé, pourrait susciter des spéculations sur le possible retour du pays à la guerre civile de 1990, mais son « État profond » assurera probablement une transition en douceur comme en Ouzbékistan en 2016. Se déplaçant vers le sud dans le Sahara, le Mali est toujours un nid infesté de terroristes que la France et ses alliés du G5 au Sahel sont incapables de résoudre. De plus, ses problèmes ont commencé à se répandre à travers la frontière vers les pays voisins, le Burkina Faso et le Niger. Ce dernier est un État exceptionnellement fragile et défaillant avec les taux de natalité les plus élevés au monde.
Le Niger jouxte le Nigeria et est allié avec lui dans une guerre contre la terreur symbolisée par Boko Haram. Ils se battent aux côtés du Tchad et du Cameroun, mais le géant de l’Afrique de l’Ouest sur le territoire duquel ce conflit est en train de se dérouler commence à s’effriter. Il y a toujours eu des divisions entre le nord musulman et le sud chrétien, qui ont été réunis en une seule colonie en 1914. Ces divisions ont éclaté de façon spectaculaire lors de la guerre civile nigériane de 1967-1970 sur la région sécessionniste autoproclamée du sud du Biafra. De nos jours, il y a des signes que l’appauvrissement chronique de cette région riche en pétrole provoque de nouveau la violence anti-étatique, que ce soit sous la forme de « rebelles », de bandits ou de terroristes. Pire encore, le « Biafra » borde les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun qui sont au cœur d’un conflit séparatiste, dans une région de ce pays que ses partisans appellent « Ambazonia » devenu très violent ces derniers mois.
Ensuite, non seulement le Cameroun est affligé par Boko Haram et le séparatisme « ambazonien » mais il s’occupe aussi de nombreux réfugiés de la République centrafricaine, qui est entrée dans un état de guerre civile génocidaire entre chrétiens et musulmans depuis 2013, rivalisant avec son voisin, le Soudan du Sud, pour prétendre au triste titre d’État le plus dysfonctionnel du monde. Ces deux États forment ce que l’on pourrait appeler une « ceinture d’États défaillants » dans le centre du continent. Alors que ces deux conflits pourraient s’aggraver au cours de l’année à venir, leurs conséquences humanitaires pourraient n’être que bien peu de choses si la République démocratique du Congo retombe dans la guerre civile, ce qu’elle est en train de faire. La dernière guerre du Congo a tué environ 5 millions de personnes, pour la plupart de maladie et à cause de famines. Le conflit actuel de basse intensité est « justifié » par l’idée que le président Kabila retarde les élections nationales alors qu’il est principalement alimenté par des intérêts miniers.
L’assassinat de 15 soldats de la paix des Nations Unies dans le nord-est du Congo par l’organisation terroriste et salafiste anti-ougandaise appelée « Forces démocratiques alliées » montre que ce coin de pays n’est pas à l’abri de violences et que l’Ouganda pourrait devenir incontrôlable si le président Musaveni devait mourir sans aucun successeur clairement désigné. Le scénario pourrait se dérouler selon la perspective algérienne, où l’État profond prendrait les choses en mains dans l’intérêt de la stabilité nationale. On pensait autrefois que le Burundi voisin était en crise, mais le président Nkurunziza a réussi à faire disparaître les combattants antigouvernementaux qui s’opposaient à son troisième mandat controversé. Cela dit, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi ont tous été impliqués à un moment ou un autre dans la dernière guerre du Congo, de sorte que l’effondrement de la République démocratique pourrait avoir des conséquences inattendues pour eux aussi.
À proximité de la pointe sud du continent, le parti au pouvoir du FRELIMO au Mozambique, pays riche en gaz, poursuivra probablement les pourparlers de paix avec l’opposition armée de la RENAM, et le Zimbabwe va probablement poursuivre sa transition en direction de la paix. En ce qui concerne l’hégémonie régionale en Afrique du Sud, le nouveau président de l’ANC, Cyril Ramaphosa, continuera à réformer le parti de l’intérieur en le rendant plus favorable aux business mais aussi moins multipolaire avant les élections nationales de 2019. Mais en dehors du potentiel toujours présent de violences xénophobes ou liées au marché de l’emploi, aucune déstabilisation politique à grande échelle n’est attendue. Au total, pour résumer les principales lignes de faille africaines de 2018, la guerre contre la terreur au Mali pourrait s’étendre à d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest et les conflits séparatistes du Nigeria et du Cameroun pourraient se transformer en un seul espace de combat transnational. L’Éthiopie continuera à être contestée par certains groupes Oromos, alors que le Congo pourrait glisser dans une guerre civile qui attirerait de nouveau de nombreux participants internationaux. Enfin, l’Afrique du Nord pourrait être stabilisée, tandis que l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud ne verront pas de changement majeur.
Andrew Korybko
Source Oriental Review
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone