Les mots insultants de Donald Trump devraient nous rappeler que les Etats-Unis doivent tout aux Haïtiens (The Intercept)

Les insultes de Donald Trump devraient nous rappeler que les Etats-Unis doivent tout aux Haïtiens
Article originel : Donald Trump’s Vile Words Should Remind Us That America Owes Everything to Haitians
Par Jon Schwarz
The Intercept

Traduction SLT.

Des femmes passent devant une fresque murale dans le quartier de Little Haiti le 17 mai 2017, à Miami.

Selon le Washington Post, le président Donald Trump a qualifié Haïti et les pays africains de "pays merdiques" lors d'une réunion au Bureau ovale sur l'immigration jeudi. Le Post a également rapporté que Trump a ensuite déclaré que les États-Unis devraient essayer d'attirer plus d'immigrants de pays comme la Norvège.

La plupart des réactions à ces propos se sont naturellement concentrées sur le racisme de Trump. Mais il vaut la peine de se rappeler que ses commentaires sont grotesques pour une autre raison : sans la bravoure des Haïtiens, Thomas Jefferson n'aurait jamais été en mesure d'achever l'achat de la Louisiane en 1803, et les États-Unis tels que nous les connaissons aujourd'hui n'existeraient pas.

Cela a été presque complètement oublié aux États-Unis, alors c'est le bon moment pour nous en souvenir.

La plupart des Etatsuniens ne savent pas que la France a colonisé d'immenses étendues de l'Amérique du Nord. À ce moment-là, le principal vestige de cette histoire, c'est quand on va à la Nouvelle-Orléans pour Mardi Gras et qu'on crie ivre, "Let the good times roll" ("Laissez le bon temps rouler.").

Mais à la fin des années 1700, la France "possédait" effectivement une grande partie de ce qui est aujourd'hui les États-Unis, ainsi que le tiers occidental de l'île caribéenne d'Hispaniola. Les Français l'appelaient Saint-Domingue. Aujourd'hui, on l'appelle Haïti.

La France a fait de Saint-Domingue une société esclavagiste avec un seul objectif : produire la plus grande quantité possible de produits de base, en particulier le sucre. Elle a finalement fourni 75 pour cent de tout le sucre sur terre et a généré plus de richesse que les 13 colonies étatsuniennes réunies.

Ce niveau de productivité exigeait une cruauté incroyable. On estime qu'un tiers de chaque cargaison d'esclaves africains est mort dans les trois ans suivant leur arrivée à Saint-Domingue. Un survivant posa plus tard ces questions au sujet des Français :

    "N'ont-ils pas pendu des hommes la tête baissée, étouffés dans des sacs, crucifiés sur des planches, enterrés vivants, écrasés dans des mortiers ? Ne les ont-ils pas forcés à manger de la merde ? Et, après les avoir écorchés avec le fouet, ne les ont-ils pas jetés vivants pour être dévorés par les vers, ou par les fourmis, ou ne les ont-ils pas attachés à des piquets dans le marais pour être dévorés par les moustiques ? Ne les ont-ils pas jetés dans des chaudrons de sirop de canne ? N'ont-ils pas mis des hommes et des femmes à l'intérieur de barils cloutés de crampons et roulé des flancs de montagnes dans l'abîme ? N'ont-ils pas remis ces misérables noirs à des chiens mangeurs d'hommes jusqu' à ce que ces derniers, rassasiés de chair humaine, aient laissé les victimes pour qu'elles soient terminées à la baïonnette et au poignard ?"

Comme on pouvait s'y attendre, cela a entraîné des révoltes d'esclaves épisodiques. Étonnamment, une rébellion qui a commencé en 1791 a finalement réussi une décennie plus tard - c'est la seule fois qu'une révolte d'esclaves ait gagné dans l'histoire de l'hémisphère occidental.

En 1803, la France a perdu des dizaines de milliers de soldats et manque dangereusement d'argent liquide. Napoléon propose donc à Jefferson, alors président, l'accord de toute une vie : la France vendra la totalité de la Louisiane française aux États-Unis pour seulement 15 millions de dollars. Comme vous vous en souvenez dans l'enseignement de notre histoire en 5ème année, c'était l'achat de la Louisiane.

Juste un coup d'oeil à une carte montre pourquoi cela a fait des Etats-Unis le pays qu'il est maintenant. Ce n'est pas simplement parce que les États-Unis ont acquis 1.332.252 de kilomètres carrés, ce qui a instantanément doublé la superficie du pays (et représente toujours le quart de la masse continentale des États-Unis). De façon toute aussi significative, notre nouveau territoire s'étendait du Canada jusqu' à la Nouvelle-Orléans et au golfe du Mexique, ouvrant ainsi la voie à notre expansion vers l'ouest jusqu'à l'océan Pacifique.

Donc pas de rébellion haïtienne, pas d'achat en Louisiane, et les États-Unis auraient été enfermés à l'est du Mississippi, peut-être pour toujours.

Mais ne me croyez pas sur parole. Voici ce qu'Alexander Hamilton a écrit juste après la conclusion de l'accord :

    Nous sommes redevables au climat mortel de Saint-Domingue, au courage et à la résistance obstinée de ses habitants noirs. …

    Bonaparte s'est trouvé absolument contraint par la situation, de renoncer à son projet chéri de coloniser les rives du Mississippi : et ainsi faire gagner le gouvernement des Etats-Unis, par l'opération imprévue des événements. .... Reconnaissons donc, avec toute l'humilité qui nous est due, qu'il s'agit là d'une autre de ces instances marquantes des interpositions d'une providence excessive....

Trump ne va évidemment pas reconnaître, avec toute l'humilité qui s'impose, que nous sommes redevables au courage et à la résistance obstinée des Haïtiens. Mais le reste d'entre nous peut et doit le faire.

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