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Le film Pentagon Papers (The Post) et l’affaire des « papiers du Pentagone » (Consortium News)

par James DiEugenio 20 Février 2018, 05:45 "Papiers du Pentagone" Spielberg Film Critique

Le nouveau film « The Post raconte l’histoire des Pentagon Papers dans une perspective curieuse qui ignore une grande partie du scénario de l’histoire réelle, comme l’explique James DiEugenio.

 

Imaginez un film sur un partisan d’une guerre américaine dans le Tiers-Monde qui, en tant que fonctionnaire du Département d’État, décide de visiter et observer cette guerre sur le terrain. Après plusieurs mois, il apprend que la plupart de ce que nos dirigeants ont dit au public au sujet de la guerre était faux. En réalité, notre camp ne gagnait pas, et la plupart des déclarations faites pour cet engagement étaient fausses. Par exemple, les patrouilles censées protéger certaines zones n’existaient même pas. Les rapports écrits décrivant ces patrouilles étaient simplement inventés. Par conséquent, les troupes américaines et les indigènes étrangers avec lesquels nous étions alliés mouraient par milliers pour des raisons frauduleuses.

Tom Hanks dans The Post.

 

Quand il revient de son déplacement à l’étranger, le fonctionnaire apprend l’existence d’une étude secrète du ministère de la Défense. Elle révèle une grande partie que ce qu’il avait pu observer. L’étude est supervisée par son ancien patron, qui lui en donne accès. Il rencontre ensuite un politicien qui est contre la guerre et ils commencent à partager certaines idées pour s’y opposer. Ce politicien décide de se présenter à la présidence pour mettre fin à la guerre. Mais il est assassiné alors qu’il est sur le point de remporter l’investiture de son parti. En conséquence, un nouveau président prend ses fonctions, mais il n’est pas très intéressé par la fin de ce qui est devenu un désastre permanent. En fait, le nouveau président étend en réalité les opérations de combat aux deux pays voisins.

L’ancien faucon est devenu une colombe qui se consacre à terminer la guerre. Il décide que sa seule option est de copier l’étude secrète car elle montre toutes les tromperies et les échecs de la guerre. Il se rend à Washington et propose à quatre politiciens anti-guerre de la lire au Congrès. Ils ont tous des raisons de refuser.

 

Il décide alors d’aller voir un vieil ami reporter qui, comme lui, est passé du soutien à la guerre à son opposition. Son journal décide de publier une longue série basée sur l’étude secrète. Mais le troisième jour de la publication, le nouveau président dépose une requête en justice pour arrêter la publication. Donc, notre protagoniste va voir une vieille connaissance dans un journal rival, et ce journal décide de publier. Ils sont également poursuivis en justice mais notre colombe convertie envoie des copies à beaucoup d’autres journaux, presque vingt en tout. Ils les publient tous. Et il trouve finalement un sénateur pour mentionner les documents dans les archives du Congrès. Le nouveau président l’accuse de vol et d’espionnage. Mais l’administration du président utilise plusieurs moyens contraires à l’éthique pour l’inculper – y compris d’influencer le juge avec une promotion professionnelle. Ces actes sont rendus publics et les accusations invalidées. Il devient célèbre et, à juste titre, un héros national.

Qui ne voudrait pas voir un film basé sur cette histoire ? Qui n’aimerait pas faire partie d’un film basé sur cette histoire ?

Eh bien, évidemment, Tom Hanks et Steven Spielberg ne le feraient pas. Au lieu de cela, ils ont produit un film, The Post, décrivant un ensemble d’événements très différents.

Ces premiers paragraphes décrivent l’épreuve qu’a traversée Daniel Ellsberg pour mettre au jour ce qui allait être connu sous le nom des Pentagon Papers. En copiant ces documents secrets et en les diffusant dans divers journaux, Ellsberg et son ami Anthony Russo risquaient d’aller en prison pour une peine cumulée de 150 ans.

Russo est allé en prison pour avoir refusé de témoigner contre Ellsberg. Leur procès dura plusieurs semaines à Los Angeles en 1973. Mais en cours de procédure, le procureur du Watergate révéla que le FBI avait illégalement mis Ellsberg sur écoute, que la Maison Blanche avait envoyé des cambrioleurs pénétrer dans le bureau de son psychiatre, et que le président Richard Nixon et son aide de camp John Ehrlichman avaient offert à leur juge, Matt Byrne, la direction du FBI pendant le procès. À la suite de ces abus, les accusations contre Ellsberg et Russo ont été rejetées.

Tout cela, et beaucoup plus encore, est abondamment détaillé dans le livre de 2002 d’Ellsberg, Secret : A Memoir of Vietnam and the Pentagon Papers. (Secrets : un mémoire sur le Vietnam et les Pentagon papers) Ce livre fournit l’échafaudage pour une histoire captivante pleine de drame épique et personnel. Dans les 457 pages du bon livre d’Ellsberg, Ben Bradlee, rédacteur en chef du Washington Post, est mentionné une seule fois, à la page 392. Katharine Graham, propriétaire et éditrice du Post, n’est pas mentionnée du tout. Mais c’est sur Bradlee et Graham que Hanks et Spielberg ont décidé de baser leur film sur les Pentagon Papers.

 

 

Ellsberg et le Times

Pourtant, en nommant le film The Post, Hanks et Spielberg falsifient même qui devrait être crédité pour avoir révélé les Pentagone Papers dans la presse. Comme indiqué ci-dessus, Ellsberg était allé voir quatre politiciens à Washington et leur avait demandé d’insérer la volumineuse étude des Pentagon Papers dans les archives du Congrès. Il a pensé que ce serait la façon légale la plus sûre pour lui de sortir l’étude puisque la clause de libre débat de la constitution protège les sénateurs et le membre du Congrès d’être interrogés pour ce qu’ils disent à la Chambre. (ibid, page 361) Mais, pour diverses raisons, les sénateurs George McGovern, William Fulbright, Charles Mathias et le représentant Pete McCloskey, ont tous refusé.

C’est à ce moment qu’Ellsberg a contacté un homme qu’il avait rencontré alors qu’il était au Vietnam, le journaliste du New York Times Neil Sheehan. Lors de sa première affectation au Vietnam, Sheehan – comme son ami et collègue David Halberstam – avait été un partisan de la guerre. Lui et Halberstam ont critiqué la politique du président Kennedy pour ne pas être assez agressive et pour ne pas avoir intégré de troupes de combat américaines. (David Halberstam, The Making of a Quagmire, pages 321-22). Mais une fois qu’ils ont vu que l’escalade du président Johnson n’avait pas fonctionné, ils ont commencé à avoir des doutes sur l’extension de l’implication américaine. En 1971, Sheehan remettait sérieusement en question ses anciennes croyances sur la guerre.

 

À cette époque, Ellsberg était professeur assistant au MIT, alors le reporter alla à Cambridge. Il lut certains de ces documents et prit des notes. Il en parla ensuite à ses éditeurs du Times. Ellsberg avait donné à Sheehan la clé de son appartement pour un week-end, il n’était pas là et Sheehan – à l’insu d’Ellsberg – copia les Pentagon Papers et les emporta à New York. (Ellsberg, page 375)

À ce stade, l’un des héros masqué de l’affaire des Pentagon Papers s’est manifesté. James Goodale était le conseiller juridique du Times. En mars 1971, il avait été averti que le journal pourrait se trouver en possession d’une grande quantité d’informations classifiées. Au cours des trois mois suivants, lui et son assistant ont étudié toutes les questions juridiques en jeu et ont prédit les moyens possibles par lesquels le président Nixon pourrait arrêter la publication par le biais de restrictions préalables.

Il a ensuite consulté les histoires que le Times voulait publier. Il y en avait une sur la façon dont Johnson avait utilisé de fausses informations sur l’incident du Golfe du Tonkin en 1964 pour adopter une résolution du Congrès visant à faire la guerre au Nord-Vietnam. Goodale a prédit que l’administration utiliserait les Pentagon Papers comme un moyen de continuer la guerre de Nixon et du vice-président Spiro Agnew contre la presse. Il a ensuite planifié les moyens de défense que le Times pourrait utiliser pour neutraliser l’attaque de l’administration.

L’analyse juridique de Goodale était remarquablement presciente : ce sont les questions qu’il a étudié en mars qui ont décidé du cas pour le Times en juin. (Goodale, Fighting for the Press, pages 41-43) Une fois que le Times a eu les documents, il y eut un débat aux niveaux supérieurs de la direction sur la publication ou non. Le rédacteur en chef Abe Rosenthal a menacé de démissionner si ce n’était pas le cas. Et c’est la menace de démissions massives qui a convaincu Punch Sulzberger, propriétaire du Times, de les publier. Mais une fois cette décision prise, le cabinet juridique conservateur républicain du Times les a abandonnés. Par conséquent, à la veille du procès, c’est Goodale qui a mis sur pied une équipe de défense ad hoc, littéralement du jour au lendemain. (ibid, page 71) C’est cette équipe – qui comprenait le professeur de Yale Alexander Bickel et Floyd Abrams au cabinet de Cahill Gordon – qui a plaidé durant les premières audiences sur l’affaire des Pentagon Papers à New York.

 

L’implication du Post

Contrairement à ce que montre le film de Hanks/Spielberg, dès le lendemain de la parution, le 13 juin 1971, Nixon ne s’est pas mis en colère. Après tout, les Pentagon Papers s’arrêtaient en 1968, avant l’élection de Nixon. Les histoires du New York Times avaient porté sur les intensifications pendant l’administration Johnson. Ce premier jour, l’avocat de la Maison-Blanche, Charles Colson, avait conseillé à Nixon de ne pas réagir de manière excessive, ce qu’il a fait. (Steve Sheinkin, Most Dangerous (le plus dangereux), page 217)

Il y a eu deux personnes qui ont inversé la position de Nixon. Le premier était Henry Kissinger, conseiller national en sécurité de Nixon. Kissinger connaissait Ellsberg depuis ses séjours à Harvard. Quand Nixon est entré en fonction, Ellsberg avait consulté Kissinger sur diverses options pour la guerre depuis son poste chez Rand Corporation. (Ellsberg, pages 231-34) Kissinger connaissait les documents du Pentagone et il soupçonna presque immédiatement qu’Ellsberg les avait donnés au Times. Le surlendemain de la parution, Kissinger parla à Bob Haldeman, chef d’état-major de Nixon. Il lui dit que le président devait maintenant agir, car il y avait une subversion totale du gouvernement. Il a ensuite dit à Nixon que ces histoires quelque part lui donnaient l’air d’une mauviette. (Sheinkin, page 221)

Nixon a demandé au procureur général John Mitchell son opinion sur la question. Mitchell, qui avait été un avocat d’affaires à New York, a donné à Nixon de mauvais conseils juridiques. Il a dit au président que le gouvernement avait intenté un procès pour empêcher un journal de publier auparavant. Et il était d’usage de fournir au journal un préavis écrit de cette action en justice. (Goodale, page 73) Cette information était complètement fausse. Un tel acte, légalement appelé restriction préalable, ne s’était jamais produit auparavant en Amérique. La raison en est qu’aux États-Unis, contrairement à la Grande-Bretagne, il n’y a pas de loi sur les secrets officiels pour justifier l’arrêt de la parution avant que l’information ne soit imprimée.

Goodale le savait grâce à ses recherches. Par conséquent, lorsque Mitchell a retransmis un télégramme au Times, Goodale leur a conseillé de ne pas obéir à la demande d’arrêter la parution. Mitchell s’est ensuite adressé au tribunal pour demander une ordonnance de restriction temporaire (TRO) au motif que la série causait un tort irréparable à la sécurité nationale. Cela a été accordé à New York par un juge nouvellement nommé du nom de Murray Gurfein. Pendant ce temps, Nixon embauchait quelques amis – Maxwell Taylor, John Tower, Averill Harriman – pour attaquer le New York Times. (ibid, page 85)

C’est seulement à ce moment-là, après un an de lutte d’Ellsberg pour rendre public les Pentagon Papers, que le Washington Post est entré en scène. Et ça ne s’est pas passé comme le film le montre. Par exemple, Ben Bradlee n’a jamais envoyé d’espion pour infiltrer le bureau du New York Times ; par conséquent cet espion fictif n’a jamais vu une maquette d’une première page avec le nom de Sheehan dessus.

Comme l’écrit Ellsberg dans Secrets, il n’avait jamais prévu d’aller au Washington Post. Dunn Gifford, un ami de Sheehan, qui est totalement absent du film, lui a d’abord suggéré d’aller au Post. Ellsberg a écrit que, seul, il n’aurait jamais pensé au Post de lui-même. (Nous allons spéculer sur la raison pour laquelle il en était ainsi plus tard, voir les pages 388-89 d’Ellsberg.) Mais à ce moment-là, avec le TRO de la Justice en marche, le Times restant une journée sans parution, avec Gifford le pressant d’aller voir n’importe où ailleurs afin de conserver la dynamique en cours, Ellsberg, par l’intermédiaire d’un ami, a appelé le journaliste Ben Bagdikian, qui travaillait pour le Washington Post. (ibid, page 391).

 

Libertés prises pour le scénario

Les problèmes du film avec sa dramaturgie, qui, comme nous le verrons, va s’aggraver, est due à trois faits intimement liés. Le premier réside dans la décision des scénaristes – Liz Hannah et Josh Singer – de raconter l’histoire au travers du Washington Post. Du coup, cette décision leur a fourni une piètre source de documents. Et cela est dû au fait que le Post n’a figuré dans l’histoire que pendant deux semaines. Pourtant, comme nous le verrons, la saga des Pentagon Papers s’est étendue sur plus de deux ans.

Les sources principales du scénario sont le livre de Katharine Graham, Personal History, l’autobiographie de Ben Bradlee, A Good Life, et la biographie autorisée de Bradlee écrite par Jeff Himmelman, Yours in Truth. Ces trois récits ne diffèrent pas beaucoup dans l’information. Et le plus long des trois est celui de Graham, qui totalise seulement 12 pages. Un problème dramatique est que Graham et Bradlee n’ont jamais vraiment agi pour atteindre un objectif. Ils ont été investis d’un rôle dans cette affaire en réagissant donc à des événements extérieurs : l’histoire du Times, les discussions de Mitchell, TRO, Ellsberg et Gifford. Pour échapper à ce problème dramatique, les auteurs ont créé l’espion ersatz de Bradlee et, comme nous le verrons, d’autres fabrications.

Mais il y a aussi une utilisation différente de la dramaturgie qui s’insinue dans l’histoire. Celle-ci traite des raisons pour lesquelles le Post voulait l’histoire en premier lieu. Tout au long du film, Bradlee est dépeint comme une sorte de croisé à la fois pour la vérité et le droit à la liberté d’expression pour la presse. Plus tard dans le film, pour faire avancer cet angle, le script fabrique une autre scène. Vers la fin, lorsque Graham décide d’imprimer ou non les documents – ses avocats lui ont conseillé de ne pas le faire –, elle se présente pour parler à Robert McNamara, l’ancien secrétaire à la Défense. Cette scène a été fabriquée – il n’y a aucune preuve dans un livre sur l’affaire. Et elle est fabriquée pour deux raisons apparentes. Premièrement, d’une façon ou d’une autre, on pouvait dire que Graham était surprise de ce qui s’était passé au Vietnam sous la direction de McNamara et, deuxièmement, montrer que McNamara essayait de convaincre Graham de ne pas imprimer les documents du Pentagone.

Daniel Ellsberg en couverture du Time après avoir divulgué les Pentagon Papers

 

Pour quiconque connaît l’affaire des Pentagon Papers et l’histoire du Washington Post, il n’y a pas d’autre façon de le dire : cette scène est un conte de fées insultant. Robert McNamara a effectivement commandé un compte rendu sur les Pentagon Papers en 1967. Afin de s’assurer qu’il était objectif et détaillé, il n’a délibérément exercé aucune influence sur lui pendant les 18 mois qu’il a fallu pour le terminer. La chaîne de commandement dans la rédaction et l’édition de cette précieuse encyclopédie provenait de l’adjoint de McNamara, John McNaughton, et de l’assistant de McNaughton, Morton Halperin.

Halperin a nommé Leslie Gelb, analyste de recherche, pour superviser diverses équipes afin d’écrire les différents chapitres. Selon Gelb, il n’a jamais eu de difficulté à obtenir des documents une fois qu’il a invoqué le nom de McNamara. L’une des raisons pour lesquelles McNamara voulait que l’étude soit classée Top Secret était que son patron, Lyndon Johnson, ne l’apprenne pas. McNamara savait que LBJ le supprimerait. (Sheinkin, page 125) En d’autres termes, sans McNamara, il n’y aurait pas eu de Pentagon Papers. Et il n’y a aucune preuve qu’il ait jamais essayé d’empêcher la publication de ce compte rendu.

En second, l’idée que Kay Graham a été surprise par les révélations dans les Pentagon Papers ne concorde pas non plus avec le dossier. Lorsque Graham a pris le contrôle du Washington Post en 1964, le président Johnson a immédiatement déployé l’artillerie lourde pour gagner sa confiance et ses faveurs. Une des raisons pour cela était qu’il voulait l’avoir elle et le Post de son côté alors qu’il commençait à intensifier la guerre.

 

Quiconque a été témoin de la course présidentielle de 1964 entre les candidats du GOP, Barry Goldwater et Johnson, se souvient que Johnson a qualifié Goldwater de faucon extrémiste du Vietnam en disant qu’il n’enverrait pas de garçons américains pour faire ce que les soldats asiatiques devraient faire. (Joseph Goulden, Truth is the First Casualty, pages 38, 164) Comme Frédéric Logevall l’a montré dans son livre Choosing War, c’était une tromperie délibérée. À tout le moins, à l’été 1964, Johnson avait commencé à planifier une intervention américaine directe dans la guerre. (Voir Logevall, p. 128-30). Cela se ferait par l’intensification des bombardements du nord et, plus tard, par l’intervention de troupes de combat au sol. La date cible était février de 1965. Johnson l’a manquée d’un mois : les deux ont commencé en mars.

Devons-nous croire que Graham n’a pas entendu Johnson faire les promesses qu’il a faites en 1964 ? Était-elle alors aveugle à l’intensification aérienne à travers l’opération Rolling Thunder, et les 540 000 troupes de combat ultérieures sur le terrain en 1968 ? Et d’une façon ou d’une autre, elle n’a pas remarqué la différence ? Il n’y avait ni troupes de combat sur le terrain, ni aucune opération Rolling Thunder [Tonnerre Roulant] sur le Vietnam le jour où John F. Kennedy a été tué.

La vérité est que, comme l’ont montré plus d’un biographe de Kay Graham, l’offensive de charme de Johnson a porté ses fruits. En fait, en avril 1964, LBJ invita Graham et les dirigeants du Post à déjeuner à la Maison Blanche. Dans la salle à manger familiale, il a demandé leur soutien pour son intensification prévue de la guerre en Indochine. (Carol Felsenthal, Power, Privilege and the Post, page 234) En d’autres termes, Graham savait que Johnson mentait alors qu’il entamait la campagne électorale. Malgré cela, le Post a approuvé ses attaques contre le Nord-Vietnam après l’incident du Golfe du Tonkin en août 1964. (ibid.) En fait, le Post est allé plus loin. Ils ont fustigé les deux sénateurs qui avaient voté contre la résolution du Golfe du Tonkin. Le journal écrivait qu’il était faux d’assimiler la résolution à une déclaration de guerre. En fait, c’est ce que Johnson a fait, il l’a utilisée. (ibid, page 304)

Il n’y a jamais eu une quelconque hésitation de la part du Post dans la gradation des étapes d’escalade en 1965. Comme l’a dit un observateur au sujet de Graham : « Elle aimait être respectable et était très inquiète d’être différente de la norme ». (Ibid., P.239). Ceci permit de laisser Johnson faire appel à des assistants pour lui demander des modifications à des articles sur la guerre. Parfois, Graham invitait tout le niveau supérieur du Département d’État à dîner, sachant que Dean Rusk était un pur faucon. (ibid, page 240) LBJ l’a envoyée faire un voyage au Vietnam où elle a rencontré le Général Westmoreland. À son retour, elle a demandé à son comité de rédaction si quelqu’un pensait qu’ils devraient soulever la question du retrait. Quand un rédacteur a dit qu’il l’avait fait, elle a répondu: « Vous êtes tellement stupide ». (Ibid, p.241)

Comme les escalades de Johnson ont continué en 1966, le Times a commencé à être au moins un peu critique de certains éléments. Par exemple, ils ont déploré les victimes civiles dans le bombardement de Hanoï. Le Post a défendu le bombardement et critiqué le Times, en comparant leur histoire à « celles dans des tracts de propagande communiste ». (Ibid, page 255) Puis le Post a critiqué Martin Luther King quand il s’est prononcé contre la guerre en 1967. (ibid, p. 256).

 

Le Post rejoint la « Big League »

Mais peut-être l’indication la plus forte de la mesure dans laquelle le Post continuerait à appuyer l’escalade massive de la guerre de Johnson a eu lieu en 1968. Ward Just avait été le principal reporter du Post au Vietnam. Il n’a jamais remis en question les causes de la guerre, ou si l’Amérique devrait être là. Mais c’était un journaliste honnête et précis qui essayait de représenter les choses telles qu’elles étaient sans les contourner.

Le problème était qu’après l’offensive du Têt, toute forme de réalisme donnait à Johnson et à l’effort de guerre une réputation plutôt mauvaise. La lumière de Johnson et Westmoreland au bout du tunnel était devenue sombre. Alors Bradlee à cet instant a évincé Just et l’a remplacé par Peter Braestrup. Comme Johnson, Braestrup a fait valoir que l’offensive du Têt était vraiment un échec pour Hanoï et une victoire militaire pour l’Amérique. En fait, il a écrit un très long livre pour défendre cette thèse bizarre. (Daniel Hallin, The Uncensored War, page 173) Ce compte rendu peut expliquer pourquoi Ellsberg n’a jamais pensé à donner les documents au Washington Post.

Ce récit m’a fait grincer des dents à cause d’une autre scène vers la fin. À l’audience de la Cour suprême à Washington, Graham entre seule dans le bâtiment. Une jeune assistante juridique hispanique lui montre une porte latérale pour entrer dans la salle d’audience. En marchant dans le couloir, elle remercie Graham car qu’elle avait un frère parti au Vietnam. Comprendre Graham et le Post – ce que le scénario ne veut pas que nous fassions – que c’était le soutien de Graham à cette guerre qui avait aidé au départ de son frère pour le Vietnam. Si l’on avait besoin de plus pour nous convaincre de la façon dont cette image détourne les faits, tout ce qu’il faut savoir, c’est que Graham a soutenu la réélection de Nixon. Ce n’est pas seulement après l’affaire des Pentagon Papers, mais après la couverture initiale du naufrage du Watergate. (Robin Lerber, Katharine Graham, page 134)

Par conséquent, quelle était la raison pour laquelle le Post était si désireux de publier les Pentagon Papers ? C’était tout simplement une question d’ambition démesurée de Bradlee. Graham a même admis cela. Elle a rappelé plus tard que Bradlee « a été rendu fou par le Times possédant cet énorme et important matériel ». (Felsenthal, P. 299) Le but primordial de Bradlee une fois qu’il est entré dans un poste de rédacteur au Post était de faire jeu égal avec le New York Times. En d’autres termes, quand ceux qui étaient au pouvoir parlaient du « journal de référence », il voulait changer cette discussion en « journaux de référence » pour que le Post ait le même genre d’imprimatur que la Grey Lady [surnom du New York Times, NdT]. Bradlee lui-même a admis que c’était le cas.

 

Il a déclaré plus tard que les Papiers du Pentagone étaient un moment clé pour le Post. Pas pour ce qu’il y avait dans les documents, ni pour l’impact que cela aurait sur la guerre. Mais parce que cela signifiait que le Post avait grimpé dans ce qui, pour lui, était les plus hauts gradés du journalisme américain. Se référant à lui-même et Graham, il a déclaré : « Un de nos objectifs tacites était d’amener le monde à se référer au Post et au NYT dans le même mouchoir de poche, ce qu’ils n’avaient pas réussi à faire auparavant. Après les Pentagon Papers, ils l’ont fait ». (Graham, Personal History, p.458) Ou pour le dire en termes de football, comme Bradlee avait coutume de le faire : « Le score était de 36-0 et nous essayions d’égaliser ». (Sanford Ungar, The Papers and the Papers, page 131)

Probablement la pire scène dans le film vient après que le procureur général Mitchell a obtenu un TRO contre le Washington Post. Par conséquent, après deux jours, le Post a dû arrêter la publication et attendre l’issue de la décision de la Cour suprême. Le journaliste Ben Bagdikian entre dans le bureau de Bradlee et place un grand sac d’épicerie sur son bureau. Il dit alors quelque chose comme : j’ai toujours voulu faire partie d’une rébellion. Bradlee regarde dans le sac et le porte ensuite au bureau de Graham. Là, il commence à sortir les autres journaux qui ont maintenant publié les Pentagon Papers. Éditeurs et journalistes célèbrent avec jubilation.

Encore une fois, il n’y a aucune preuve que cette scène s’est produite. Ce qui s’est réellement passé, c’est qu’après sa conversation avec Dunn Gifford, Ellsberg a décidé qu’il ferait mieux de commencer par faire plusieurs copies des documents. Par conséquent, sur une base échelonnée, il les distribuait ensuite à d’autres journaux intéressés. Une fois qu’ils avaient été interdits, il les donnerait à un autre journal. Tout compte fait, il y avait quatre journaux que Mitchell a décidé de poursuivre en justice. En plus du Times et du Post, le St. Louis Post Dispatch et le Boston Globe ont également eu une injonction. Mais les documents, à travers le groupe de soutien d’Ellsberg, ont continué à sortir, jusqu’à et même après la décision de la Cour suprême. (Ungar, P. 190) L’idée que ces journaux ont été inspirés par Graham, ou habilités par elle, est simplement faux. C’était Ellsberg qui les autorisait à ses risques et périls. Tout comme il a donné l’autorisation originellement au Times et au Post. La version de Hanks / Spielberg excise ce fait clé.

 

Un conte de fée très convenu

Parce que le film a été réalisé par Spielberg, il est assez habilement fait. Il a presque toujours été un réalisateur visuellement pointu. Mais il a aussi dit à son sujet que – contrairement à Alfred Hitchcock ou à Michelangelo Antonioni – il n’avait vraiment pas de style visuel. Il a ajouté qu’il voyait sa fonction comme étant au service de l’intention de l’écrivain, adaptant ainsi son style à la matière. Ici il fait un bon travail sur ce point.

La séquence de montage où le Post sort son histoire à la une basée sur les Pentagon Papers est un moment d’action très bien cadré : qui va du bureau de copie aux camions de livraison. La scène avec Graham dans sa tanière décidant de publier les documents entourés d’opinions divergentes par ses conseillers en affaires et éditoriaux est filmée d’en haut, véhiculant l’idée que des forces puissantes la poussent à prendre une décision fatidique. La pénultième scène avec Graham et Bradlee dans la salle d’imprimerie après que le tribunal a décidé en leur faveur, et qu’ils peuvent maintenant publier à nouveau, est joliment composée : la caméra se rétracte jusqu’à ce que les deux personnages soient éclipsés par l’image et le son de la presse imprimant l’édition des Pentagone Papers.

L’immeuble du Washington Post dans la ville de Washington, D.C. (Photo crédit : Washington Post)

Meryl Streep est Kay Graham. Elle livre sa performance habituellement étudiée, techniquement solide, préparée avec précision. Mon seul problème avec son jeu, c’est que le personnage est écrit comme si c’était le premier jour de travail de Graham. À ce stade, Graham était responsable du journal depuis huit ans. L’idée qu’elle se frayait un chemin dans sa position est difficile à avaler. Dire que Tom Hanks joue Bradlee serait une déclaration trompeuse. Streep fait ce que Hanks ne fait pas : elle utilise ses pouvoirs mentaux et émotionnels pour créer quelqu’un d’autre. Hanks est – à tous égards – Hanks, pas Bradlee. A une exception près, le reste des personnages semble choisi pour l’apparence : ils ressemblent à des membres du conseil d’administration ou à des apprentis-journalistes. Cette exception est Bob Odenkirk de Breaking Bad qui montre une véritable gamme de jeu dans son interprétation de Ben Bagdikian.

Comme mentionné, en 1967-68 Ellsberg s’était rapproché d’un candidat présidentiel qui était d’accord avec lui sur la guerre, mais qui a été assassiné avant les élections de novembre 1968. Ce candidat était, bien sûr, Robert Kennedy. Kennedy voulait qu’Ellsberg soit son principal conseiller sur le Vietnam. En fait, dans son livre, Ellsberg laisse entendre que c’était Kennedy qui a donné quelques documents au New York Times qui ont aidé à empêcher une autre escalade par Johnson après l’offensive du Têt. Et pendant sa campagne présidentielle, Ellsberg a travaillé sur un discours pour RFK sur le Vietnam. (Ellsberg, pages 203, 218) Quand il a appris que Kennedy avait été tué, Ellsberg s’est effondré et a pleuré pendant une demi-heure. Il a ensuite écrit : « J’ai aimé Bobby. Il a été le seul homme politique en qui j’aie jamais cru » (Ibid, p.220) Mais comme le film marginalise Ellsberg, cet aspect important et émouvant de l’histoire n’apparaît nulle part à l’écran.

Et n’apparaît pas non plus le sénateur qui a effectivement lu les documents du Pentagone à la tribune du Sénat, ce qui a rendu la décision de la Cour suprême pratiquement sans conséquence pour ce qui est de leur publication. Ce sénateur était Mike Gravel de l’Alaska. Il a commencé à lire les documents tard dans la nuit avant l’annonce de la décision de la Cour suprême. Après environ quatre heures, il s’est presque effondré et les a transportés pour les placer dans le compte-rendu. (Ungar, page 262) Il l’avait chronométré de sorte que son sous-comité serait absent et par conséquent il ne pourrait y avoir aucune objection à sa motion. C’est ce compte rendu sténographique qui a produit la première version privée des Pentagon Papers, du nom de Gravel, de Beacon Press dans le Massachusetts.

Après que la Cour suprême eut statué au sujet du Times et du Post, Nixon et Mitchell n’ont pas abandonné. Ils ont ouvert une procédure de grand jury dans le Massachusetts pour s’en prendre à Ellsberg, Gravel et Beacon Press. Cela a échoué en raison du privilège de débat dont jouissent tous les sénateurs qui prennent la parole. (ibid, page 284) Mais ils ont inculpé Ellsberg et Anthony Russo en Californie, où Rand était localisé. Russo est allé en prison pendant sept semaines au motif d’accusations pour outrage pour avoir refusé de témoigner contre Ellsberg. Il l’a fait alors même qu’on lui accordait l’immunité en échange de son témoignage. (ibid, page 273) Mitchell a accusé Ellsberg avec onze chefs d’accusation, qui ont mené à la peine d’emprisonnement maximale de 115 ans, ou prison à vie. Russo a été accusé de trois chefs d’accusation, qui ont porté un maximum de 35 ans de prison.

Contrairement à ce que le film essaie de transmettre, c’est ce procès qui a été directement impacté par le Watergate. Parce que les poursuites judiciaires du Watergate ont démasqué la surveillance électronique illégale d’Ellsberg, le cambriolage chez son psychiatre, et la tentative de Nixon d’influencer le juge Matt Byrne en lui offrant la direction du FBI pendant le procès. À cause de ces actes, les accusations ont été rejetées. (Ellsberg, pages 444-449)

The Post tente de laisser entendre que la publication des Pentagon Papers a causé le Watergate. Comme l’ont montré de nouvelles recherches d’auteurs comme Robert Parry et Ken Hughes, ce ne fut pas le cas. Ce qui a provoqué la création de l’Unité des plombiers à la Maison-Blanche, c’est la crainte de Nixon que des documents cachés n’exposent son ingérence dans les élections de 1968 par l’entremise d’Anna Chennault et des fonctionnaires à Saïgon. Cette action a entravé les efforts de paix de Johnson en 1968 et a aidé Nixon à vaincre Hubert Humphrey.

 

Comme le lecteur peut le voir, The Post n’est pas près de raconter l’histoire complète sur les Pentagon Papers, ou la perfidie de l’administration Nixon en essayant d’empêcher leur publication. Et ce qu’il présente est – de l’avis du critique – sérieusement biaisé. Si Hanks et Spielberg s’intéressaient vraiment à l’histoire, la seule façon de rendre justice à cette histoire aurait été une mini-série en quatre parties. Cela aurait permis de réaliser une histoire à la fois honnête et authentique, mais aussi de produire des optiques plus dramatiques.

Cinématographiquement parlant, les meilleures parties de The Post sont les premières scènes au Vietnam et le vol et la copie des Pentagon Papers. Mais en outre, cette approche aurait permis l’introduction de personnages légendaires comme le général Ed Lansdale et le colonel Jean Paul Vann, puisque Ellsberg les avait rencontrés et servis tous les deux au Vietnam. Nous aurions alors pu rencontrer plus tard d’autres personnages qu’Ellsberg a rencontrés comme Kissinger, McGovern et RFK. Mais ce genre de présentation – avec Ellsberg demandant à Kissinger en public combien de civils lui-même et Nixon envisageaient de tuer en Indochine en un an, ne sachant pas que Nixon avait déjà dit à Kissinger qu’il se fichait des morts civils – cela aurait produit un film beaucoup plus dur et tranchant que celui-ci. (Ellsberg, pages 353-54, 419)

Au lieu de cela, Hanks et Spielberg nous ont fourni un conte de fées Washington/Hollywood. Un film « feel good » qui ne fonctionne que pour ceux qui ne sont pas au courant des faits sous-jacents, que leurs scénaristes et eux-mêmes ont tronqués et modifiés pour produire l’effet désiré. La meilleure chose que je peux dire à propos de ce film est qu’il pourrait inciter le spectateur à acquérir la vraie histoire en lisant le livre d’Ellsberg Secrets : A Memoir of Vietnam and the Pentagon Papers.

 

*James DiEugenio est un chercheur et un écrivain sur l’assassinat du président John F. Kennedy et d’autres mystères de cette époque. Son livre le plus récent est Reclaiming Parkland.

 

Source : James DiEugenio, Consortium News, 22-01-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Le film Pentagon Papers (The Post) et l’affaire des « papiers du Pentagone » (Consortium News)
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