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Quai d’Orsay : La forteresse vide ... (Proche et Moyen-Orient)

par Guillaume Berlat 6 Février 2018, 15:15

Quai d’Orsay : La forteresse vide ... (Proche et Moyen-Orient)

« On n’est jamais si bien servi que par soi-même ». Telle pourrait être la conclusion à tirer du long entretien accordé par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian à Isabelle Lasserre, l’experte unanimement reconnue des relations internationales dans le quotidien Le Figaro daté du 22 janvier 2018, date du « sommet de l’attractivité » organisé par le chef de l’État à Versailles. Le titre de cet entretien retenu par l’ex-ministre de la Défense de François Hollande est déjà tout un programme : « J’ambitionne une diplomatie qui agisse concrètement »1. Ce texte comporte de notre nouveau Talleyrand photographié en pied et impérialement assis en son palais d’Orsay sur les bords de Seine près de l’hôtel de Lassay (celui occupé par le président de l’Assemblée nationale) à trois jours de la « Nuit des idées » instaurée par Laurent Fabius. À la décharge de notre excellentissime ministre, il faut lui reconnaître une résilience hors du commun pour résister à l’ouragan Jupiter qui est partout à la fois et qui marche allègrement sur ses plates-bandes diplomatiques. Il ne lui laisse que quelques maigres os à ronger, tâche qu’un directeur d’administration centrale pourrait aisément effectuer à une époque où la Cour des comptes rappelle avec vigueur l’obligation d’une meilleure maîtrise de la dépense public au président de la République venue fêter la nouvelle année avec les magistrats de la rue Cambon.

 

Il est vrai que notre lorientais préféré, qui a parfaitement réussi à l’hôtel de Brienne, semble un peu plus gauche à l’hôtel d’Orsay. Il est vrai que notre jeune septuagénaire semble un peu perdu avec les codes de la diplomatie, de ses diplomates, confronté qu’il est à un monde qu’il peine à décrypter. Le diplomate ne se manie pas comme le militaire. Le bicorne est plus souple que le glaive mais ô combien plus retors. « La nuit des idées » serait plutôt la journée du brouillard ! En ce début d’année 2018, il est utile de disposer de la substantifique moelle de la pensée diplomatique du ministre en charge des relations internationales pour mieux l’analyser, dans un premier temps, puis pour mieux la juger, dans un second temps. Dans ces temps de pensée unique et aseptisée, une bonne disputatio ne peut pas faire de mal pour éclairer utilement l’expert de la chose du dehors. Présentée par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères comme une diplomatie lorientaise qui, sous l’influence bienfaitrice de Jupiter, culminerait désormais à l’Everest, elle n’est en réalité qu’une diplomatie lorientaise qui serait malheureusement plutôt à l’ouest au sens propre et figuré du terme.

 

UNE DIPLOMATIE LORIENTAISE À L’EVEREST

Si l’on accepte de remettre en perspective cet entretien de Jean-Yves Le Drian pour la commodité de la présentation, l’on peut schématiquement établir une distinction très classique entre quelques principes directeurs (au service des citoyens français) et quelques points d’application dans le monde (au service de la paix).

 

Les principes directeurs : au service des citoyens français

Comme il l’avait fait à l’occasion de la semaine des ambassadeurs2, Jean-Yves Le Drian, de manière paradoxale, place sa diplomatie « au service de tous les Français ». On aurait pu penser qu’elle fut placée au service de la France. En toute hypothèse, cette diplomatie à la sauce bretonne se décline sous quatre volets : assurer la sécurité des citoyens français (cela ne peut pas faire de mal), régler les crises à l’étranger (ni plus, ni moins), promouvoir nos intérêts économiques à l’étranger (diplomatie économique oblige) et renforcer l’Union européenne (elle en a bien besoin). Le ministre précise sa pensée en déclarant que, dans un contexte où « la France est plus attendue que jamais » (un cocorico ne peut pas faire de mal dans ce genre d’entretien), il « ambitionne une politique étrangère (il nous semblait que celle-ci relevait du seul président de la République) qui, plutôt que de s’en tenir aux commentaires, ne soit pas hors-sol (parfait langage technocratique abscons et sans consistance) et agisse concrètement ». Pour atteindre ces ambitieux objectifs, le ministre propose de refuser la diplomatie du commentaire journalistique des déclarations des dirigeants de la planète, de privilégier une diplomatie du dialogue avec tout le monde pour résoudre les crises dans le monde, une diplomatie de l’influence spécialement au sein de l’Union européenne (bien pâle encore), une diplomatie de la disponibilité de la France (sur les crises coréenne et yéménite). Pour mettre en œuvre sa politique, Jean-Yves le Drian déclare qu’il est en contact permanent avec le président de la République qu’il rencontre tous les mardis (comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, confond allégrement deux concepts voisins mais différents : politique étrangère et diplomatie). Il précise qu’il revient au chef de l’État de conduire la politique étrangère de la France qui « appartient à son domaine réservé » (expression triviale qui ne reflète qu’imparfaitement l’esprit et la lettre de la constitution du 4 octobre 1958). À trop simplifier le droit constitutionnel, on est parfois conduit à raconter n’importe quoi. Ainsi, nous sommes pleinement rassurés, le capitaine tient bon la barre du paquebot France.

Comment le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères décline-t-il ces grands principes dans les grandes crises qui secouent aujourd’hui le monde ?

 

Les points d’application : au service de la paix dans le monde

Pour de très compréhensibles raisons de priorité, Jean-Yves Le Drian passe en revue quelques thématiques importantes des relations internationales actuelles à la charnière de deux années au moment où le gotha de la planète va se retrouver à Davos3. Il évoque successivement l’Iran, la Syrie (il y consacre une majeure partie de ses commentaires), la Corée du nord, les États-Unis, l’Union européenne, l’influence française, la Russie, le Yémen, la diplomatie planétaire de Jupiter.

Sur l’Iran, le ministre précise que la « position française est faite de fermeté et d’équilibre » et qu’il se rendra dans ce pays le 5 mars 2018 (cette visite censée préparer celle d’Emmanuel Macron a déjà été repoussée deux fois au cours des derniers mois). Elle a pour objectifs principaux : l’interdiction de l’acquisition de « l’arme atomique » (cela s’appelle l’arme nucléaire), l’encadrement du programme balistique (Cf. résolution 2231 du CSNU), la cessation de l’aide iranienne au Hezbollah libanais et aux rebelles houthistes au Yémen.

Sur la transition en Syrie avec un « conflit qui est en train de muter », le ministre est plus disert. Il se livre à la traditionnelle critique en règle du régime pour tous ses méfaits : humanitaire (à la Ghouta4), chimiques (la France organise le 23 janvier une réunion à Paris sur le sujet avec 30 États5) et géopolitique (la pagaille dans la région). La France, qui souhaite la stabilisation de la situation, prend des mesures concrètes pour organiser des élections et rédiger une constitution. Paris prône l’inclusivité de toute solution du problème. Au passage, il égratigne le processus de négociation mis en place par Moscou à Astana et l’action de l’Iran en Syrie et au Liban. Un peit coup de patte à ces affreux, ne peut pas faire de mal et permet de se donner bonne conscience

Sur la Corée du nord, la France est disponible et encourage les négociations sur une dénucléarisation de ce pays. Excellente nouvelle !

Avec les États-Unis de Donald Trump, nous avons trois désaccords : climat, accord nucléaire iranien, transfert de l’ambassade à Jérusalem. Mais, nous sommes « pragmatiques ». Il est vrai que Jupiter vient de recevoir une invitation en règle à effectuer une visite officielle à Washington…alors que Donald Trump n’est pas le bienvenu à Londres6.

Sur la Russie, Jean-Yves Le Drian est relativement flou. Il faut « respecter ce grand pays » avec lequel nous divergeons sur l’Ukraine, les armes chimiques. Nous attendons des clarifications de Moscou sur tous ces sujets. Serguei Lavrov les a explicitées lors de sa traditionnelle conférence de presse annuelle. Il n’a pas mâché ses mots.

Sur l’Europe, enfin. Emmanuel Macron situe délibérément sa démarche dans une perspective européenne et entend que nos partenaires portent nos initiatives afin de conférer un effet démultiplicateur à notre diplomatie. Au passage, Jean-Yves Le Drian passe la brosse à reluire à Jupiter qui est un acteur majeur du changement, égratignant à l’occasion l’action de François Hollande dont il a été pendant cinq ans le zélé ministre de la Défense. Comprenne qui voudra (pourra) comme le disait le poète Paul Éluard.

Ainsi exposée, objectivement et fidèlement, la quintessence de la pensée du chef de la diplomatie française, il importe désormais de porter un regard critique sur sa pratique quotidienne à l’aune des exemples récents qu’il fournit ou qu’il passe sous silence pour des raisons vraisemblablement peu avouables, en particulier l’éternelle question de la dénonciation des violations des droits de l’homme dans les pays autoritaires, voire dans les dictatures avec lesquels nous privilégions les rentes de la diplomatie économique.

 

 

UNE DIPLOMATIE LORIENTAISE À L’OUEST

Au moment où la gouvernance mondiale et les risques géopolitiques inquiètent les élites7, le propos du chef de la diplomatie française parait presque décalé, voire primesautier par certains aspects. C’est que la pratique diplomatique de Jean-Yves Le Drian pêche à plus d’un titre même s’il souligne qu’il mène une « diplomatie sans trompe-l’œil » : tout à la fois diplomatie de l’affichage, diplomatie de la contradiction et diplomatie des bons sentiments.

 

La diplomatie de l’affichage : le primat de la com’

Le moins que l’on puisse dire est que manque singulièrement à cet entretien d’un ministre régalien (vraisemblablement préparé et revu par ses plumes, ses communicants et les grands esprits de son cabinet et de son Centre d’analyse et de prospective stratégique ou CAPS pour les initiés) une dimension stratégique et prospective du monde et des principales menaces et crises ! Une colonne vertébrale, pourrait-on dire. Nous sommes en permanence dans l’anecdotique, le commentaire journaliste même si Jean-Yves Le Drian s’en défend (« nous n’avons pas à devenir les commentateurs des déclarations américaines »). Que fait Jupiter lorsqu’il tance Donald Trump à propos de ses déclarations sur « les pays de merde » ? Nous ne saurons pas – du moins grâce à ce texte creux – quel diagnostic la diplomatie française porte sur les pathologies mondiales et encore moins sur les remèdes, autres que ponctuels ou homéopathiques8. Nous n’en saurons pas plus sur la redistribution des cartes au Proche et au Moyen-Orient9. Et, le ministre d’ajouter sur ce sujet le plus sérieusement du monde : « nous avons aujourd’hui une force et une capacité d’influence que nous n’avons pas connues depuis longtemps ». Est-ce de l’humour breton ? Est-ce qu’il ne perdrait pas le nord et serait un peu à l’ouest à trop voyager et à ne pas établir de priorités dans ses très hautes et très exigeantes fonctions ? La diplomatie est un subtil cocktail de bon sens et de retenue.

Trente États qui participent à ce qui s’apparente à moins à une authentique conférence (celle sur les armes chimiques du 23 février 2018 destinée à frapper de sanctions tous ceux qui auraient participé de près ou de loin à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie) qu’à un défilé de haute couture qui dure une seule journée, chaque orateur disposant d’un temps limité pour exposer ses idées10. À cette occasion est lancé un « partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques » à l’initiative de Paris et mettant en avant la première mesure, le gel des avoirs de 25 entités et responsables d’entreprises soupçonnés d’alimenter le programme syrien d’armes chimiques. Avec cela, nous compteons faire avancer la paix en Syrie ! Qui ne souvient pas de la conférence sur la paix au Proche-Orient organisé le 15 janvier 2017 par Jean-Marc Ayrault ? Les participants se donnaient bonne conscience en clamant haut et fort leur attachement à une solution qu’ils savaient irréaliste. C’est ce que l’on qualifie de diplomatie du témoignage surtout lorsqu’on déclare que la France est disponible sur les dossiers nord-coréen et yéménite. Pour être plus trivial, personne ne nous demande rien mais nous voulons donner l’impression d’exister contre vents et marées. En diplomatie, comme dans d’autres domaines, il y a deux catégories d’États : ceux qui savent et ne disent rien ; ceux qui ne savent pas et qui parlent pour ne rien dire ! Tout cela donne lieu à de très belles photos de famille (Cf. conférence de la Celle Saint-Cloud sur la Libye de l’été 2017) mais cela ne fait pas avancer d’un pouce la solution des problèmes. Si ce n’est secrète, la diplomatie efficace est discrète. C’est le gage de son succès comme l’histoire le démontre amplement. Comme le soulignait le diplomate Romain Gary : « tous les diplomates savent que c’est sur la pointe des pieds que l’on va le plus loin ». Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Yves Le Drian y va gaiement avec ses gros sabots bretons tel un éléphant dans un magasin de porcelaine

Nous sommes bien au cœur de cette « méthode de com’ qui consiste à faire du bruit médiatique tout le temps pour mieux couvrir les grincements semble bien plaire à Jupiter »11. Comme le souligne justement Thierry de Montbrial : « De plus en plus incohérent, l’Occident mène une campagne toujours plus idéologique contre les États considérés comme illibéraux, lesquels le regarde plutôt avec mépris. Tout ça peut déraper »12.

 

La diplomatie de la contradiction : la confusion des genres

« On peut définir la diplomatie comme l’art de lutter avec insuccès contre la force des choses » disait le grand ambassadeur Paul Cambon. Mais, pour parvenir à cet objectif difficile, un minimum de cohérence s’impose. Ce qui ne devrait pas être chose trop compliquée au pays de la logique et de René Descartes. Or, au cours des dernières années, il semble que la diplomatie française pêche sur le plan de la cohérence alors même que dans ce domaine, rien n’est simple et ne se ramène à une formule algébrique. Par sa formation, le diplomate cherche l’efficacité, non l’effet. Car, l’essentiel dans la diplomatie, c’est de ne jamais trop présumer de ses forces, travers très jupitérien qui pense qu’un projet annoncé est un projet exécuté (Cf. feu son projet de groupe de contact sur la Syrie. Comment parvenir à concilier des intérêts divergents avec Iraniens, Russes, Turcs ? Là se trouve la clé de la solution du problème et, surtout, d’un retour de la France sur la scène moyen-orientale. Nous en sommes encore loin à lire le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères qui parle de « politique inclusive » tout en continuant sur les traces de Laurent Gaffius à pratiquer une « politique exclusive ». Dans la vie internationale, il n’y a pas les bons et les méchants. Le manichéisme n’a pas sa place dans la diplomatie française qui prétend parler à tous et rechercher des résultats concrets.

À lire très attentivement son entretien, il est clair que la diplomatie de Jean-Yves Le Drian est frappée au sceau de la confusion permanente. Et, ce n’est malheureusement pas une nouveauté chez notre lorientais désorienté13. Confusion dans les termes, d’abord. « J’ambitionne une politique étrangère qui, plutôt de s’en tenir aux commentaires, ne soit pas hors sol et agisse concrètement » déclare le ministre au Figaro. Il ignore encore (plus de sept mois après sa prise de fonctions) que la politique étrangère (le cap) relève selon les termes de la constitution de la compétence du président de la République et la diplomatie (la route à suivre) revient au ministre des Affaires étrangères. On croit rêver en pensant que ce texte a été relu par des hauts fonctionnaires issus de l’ENA où l’on enseigne le droit constitutionnel. Confusion dans l’analyse, ensuite, ce qui est encore plus grave. On reste coi au chapitre américain sur le silence du chef de la diplomatie concernant un point fondamental, l’unilatéralisme de Donald Trump14. Or, Jupiter n’a de cesse de rappeler dans toutes ses interventions que l’alpha et l’oméga de la gouvernance mondiale à la française repose sur le multilatéralisme (Cf. son intervention à Davos du 24 janvier 201815). Existerait-il un hiatus entre ce que nous disons et ce que nous faisons ? Ce qui serait condamnable à Moscou serait véniel à Washington ? Drôle de conception de la vie internationale ! Comment peut-on dire sérieusement que « la guerre au Yémen est dramatique » en passant sous silence les bombardements saoudiens avec des armes françaises (certains voudraient traîner la France devant la CPI pour crimes contre l’humanité) et en faisant uniquement porter la responsabilité des combats sur l’Iran via les Houthistes ? (si responsabilité il y a, elle est largement partagée entre plusieurs puissances régionales, Arabie saoudite en tête de liste). En bon français, cela se nomme de l’a priori ou du préjugé. Des mots à la réalité, il y a un gouffre… La maladie de l’emphase des paroles et des promesses.

 

La diplomatie des bons sentiments : l’hypocrite droit de l’hommisme

« Je n’aime pas la politique sentimentale et c’est la politique sentimentale qui nous replonge dans les malheurs de la révolution et de la guerre » aimait à répéter ce grand maître incontesté de la diplomatie que fut Talleyrand. On nous rapporte qu’à l’issue de la réunion de Paris sur les armes chimiques, les ministres des Affaires étrangères américain, britannique, français, jordanien et saoudien se seraient concertés sur une action commune dans le dossier syrien pour « remettre le processus diplomatique de Genève au centre de l’action diplomatique ». Diantre ! Comment imaginer un seul instant faire avancer le dossier syrien si complexe (sept ans de guerre) sans la présence des ministres des Affaires étrangères iranien, russe, syrien et turc sauf à croire au Père Noël surtout au moment où les autorités d’Ankara mènent le branle dans le nord de la Syrie pour faire la chasse aux kurdes16 (et commencent à inquiéter l’OTAN17) et cela avec l’accord implicite de Moscou et de Washington18 (la France n’est curieusement pas mentionnée alors que Jean-Yves Le Drian déclare que la France est entendue et attendue). Comme le souligne si justement, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine : « Les bons sentiments ne garantissent pas la paix. Il faut des procédures, des organisations, qui permettent de détecter les risques et de prévenir les conflits »19. On n’en croit pas ses yeux lorsque l’on lit sous la plume de Jean-Yves Le Drian cette phrase mémorable sur la Syrie qui respire l’irréalisme à plein nez : « La seule solution pour qu’un processus de paix puisse avoir sa chance, c’est de créer un environnement stabilisé qui permette d’organiser des élections et de former une nouvelle Constitution ». Alléluia !

Outre l’indigence du style et du propos, la substance fait cruellement défaut. Un mot fondamental fait défaut, celui de confiance sans laquelle rien de durable ne peut être envisagé. Il n’a toujours pas compris l’utilité des « zones de désescalade » mises en place par les Russes avec la participation active des acteurs locaux. Quant à la martingale des élections et de la constitution, elle ne marche nulle part, pas plus en Afghanistan ou en Irak qu’au Mali (en une semaine, on compte plusieurs dizaines de morts aux quatre coins du pays)20 ou en RCA, voire prochainement en Libye ! Cela fait partie de la boîte à outils des Américains que nous nous évertuons à copier avec le succès que l’on sait. Quelles méthodes la diplomatie française possède-t-elle dans sa manche pour faire baisser la tension en Syrie et dans la région pour parvenir à une paix et à une reconstruction du pays ? À quoi cela sert-il de dire que la reconstruction se fera grâce aux Européens et que les Russes n’en ont pas les moyens ? Qu’a fait la diplomatie européenne depuis le début de la crise syrienne pour aider à résoudre le problème ? Rien.

Pourquoi chevaucher des chimères pour demain alors que la diplomatie française est incapable depuis la fin 2010 de proposer une solution coopérative et inclusive pour retrouver les chemins de la paix en Syrie, comme ailleurs, du reste dès aujourd’hui ? Faute de disposer de la moindre influence, nous nous contentons de proférer des anathèmes, d’exclure, de sanctionner. Quand déciderons-nous de rouvrir notre ambassade à Damas, à reprendre le fil du dialogue interrompu entre services de renseignement français et syrien pour prétendre pouvoir jouer un rôle post-conflit ?

L’inventaire des crises, la complexification des conflits, la pesanteur de notre impuissance, l’inachèvement des guerres, tout concourt à entretenir la conviction qu’il faut revenir en arrière. C’est un vent mauvais qui balaie la planète. Sur tous les continents, on le sent souffler, à des degrés divers, avec des intensités variables, comme si notre époque, si rétive aux bouleversements consentis, croyait pouvoir les retarder en renversant le fil du temps.

La régression est partout ; elle s’empare des opinions publiques, suscite des vocations politiques effarantes, divise les intellectuels, distrait les médias…21 Que nous raconte le chef de la diplomatie française ? Beaucoup de balivernes et de billevesées. Son entretien est à l’image de la démarche jupitérienne. Entre la surenchère de la démagogie, le cabotage politique et l’agitation perpétuelle, nous vivons dans l’acceptation de l’inacceptable. Rien ne sert d’utiliser des artifices de joueurs de bonneteau.

La France doit impérativement retrouver sa tradition diplomatique pour pouvoir jouer un rôle dans le concert des nations en cessant de se rengorger de la « souveraineté européenne » qui n’existe pas et n’a du reste jamais existé. Est-il besoin de souligner, dans ce contexte, la faillite de l’Europe ! Cessons d’envoyer des messages contradictoires qui brouillent l’essentiel. On ne peut vouloir respecter la Russie et la traiter comme l’ennemie de la Guerre froide. On ne peut vouloir créer une défense européenne en regardant toujours vers l’OTAN. Les temps de l’hypocrisie, des fausses bonnes idées, de ceux qui se sont toujours trompés au cours de la décennie écoulée doit être révolu. Faute de quoi, le Quai d’Orsay restera la matrice de la diplomatie du vide.

Guillaume Berlat
29 janvier 2018



1 Isabelle Lasserre (propos recueillis par), Jean-Yves Le Drian : « La France mène une diplomatie sans trompe-l’œil. J’ambitionne une diplomatie qui agisse concrètement », Le Figaro, 22 janvier 2018, pp. 1 et 6.
2 Guillaume Berlat, Zeus a rendez-vous avec Hermès : vers une diplomatie de la transformation, www.prochetmoyen-orient.ch , 4 septembre 2017.
3 Isabelle Chaperon/Sylvie Kauffmann, Davos, le forum le plus politique de la planète, Le Monde, Économie & Entreprise, 24 janvier 2018, pp. 1-2-3.
4 Laure Stephan, Les civils pris au piège de la Ghouta, Le Monde, 25 janvier 2018, p. 5.
5 Marc Semo, La charge de Rex Tillerson contre Moscou et les armes chimiques, Le Monde, 25 janvier 2018, p. 5.
6 Alexandra de Hoop Scheffer, Une diplomatie qui isole Washington, Le Monde, 27 janvier 2018, p. 22.
7 Isabelle Chaperon/Sylvie Kauffmann, La gouvernance mondiale et les risques géopolitiques inquiétent les élites, Le Monde, Économie & Entreprise, 24 janvier 2018, p. 3.
8 Guillaume Berlat, 2017 : mécaniques du chaos, www.prochetmoyen-orient.ch , 1er janvier 2018.
9 Richard Labévière, Nord de la Syrie : la nouvelle guerre de l’Empire Global, www.prochetmmoyen-orient.ch , 22 janvier 2018.
10 Metin Arditi, Israël-Palestine : un rôle pour la France, La Croix, 22 janvier 2018, p. 27.
11 Erik Emptaz, Chaud, le Macron Show, Le Canard enchaîné, 24 janvier 2018, p. 1.
12 Thierry de Montbrial, « Les États-Unis ne retrouveront pas un rôle de leader », La Croix, 26 janvier 2018, p. 27.
13 Guillaume Berlat, Le désarroi de l’élève Le Drian : peut et doit mieux faire !, www.prochetmoyen-orient.ch , 10 juillet 2017.
14 Renaud Girard, Les ravages de l’unilatéralisme américain, Le Figaro, 16 janvier 2018, p. 17.
15 Cédric Pietralunga, À Davos, Macron veut « redonner du sens à la mondialisation », Le Monde, 26 janvier 2018, p. 2.
16 Éditorial, L’incursion turque en Syrie est périlleuse, Le Monde, 23 janvier 2018, p. 25.
17 Alain Kaval/Jean-Pierre Stroobants, Syrie : l’OTAN s’inquiète des visées turques, Le Monde, 27 janvier 2018, p. 3.
18 Claude Angeli, Erdogan joue les prolongations en Syrie, Le Canard enchaîné, 24 janvier 2018, p. 3.
19 Hubert Védrine/Joachim Bitterlich, Comment sortir d’une guerre ? « Les bons sentiments n’assurent pas la paix », La Croix, 22 janvier 2018, pp. 23-24-25.
20 Christophe Châtelot/Marie Bourreau, Le Mali de nouveau dans la tourmente, Le Monde, 27 janvier 2018, p. 2.
21 Christian Makarian, Crises et conflits : la dynamique de la régression, www.Lexpress.fr , 23 janvier 2018.

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